De tout côté, je lis des analyses parlant de frappes israéliennes imminentes contre l’Iran. Je ne pense pas que ces frappes vont avoir lieu dans l’immédiat, et je vois à cela plusieurs raisons.
La première est qu’une « fenêtre de tir » est passée : voici deux ans, quand George Bush n’avait pas quitté la Maison Blanche, des frappes ont, à ma connaissance, été envisagées. Le gouvernement Olmert a soupesé les avantages et les coûts et a considéré que les coûts, malgré un Président des Etats Unis très favorable à Israël encore en place, risquaient d’être supérieurs aux avantages. Je ne dispose pas de tous les éléments dont un gouvernement peut disposer avant de prendre ses décisions, j’ai souvent eu de vives réserves sur la gestion d’Ehoud Olmert, mais je peux comprendre qu’il se serait agi d’une opération à haut risque dont la pleine efficacité n’aurait pas été assurée. A l’époque, quand bien même les installations nucléaires iraniennes étaient déjà disséminées et souterraines en bonne partie, elles l’étaient moins qu’elles le sont aujourd’hui. Les paramètres présents sont différents, la « fenêtre de tir » n’est, pour l’heure, plus là et le gouvernement israélien le sait.
La seconde raison est qu’il faut, dès lors, attendre qu’une autre fenêtre de tir s’ouvre. Frapper désormais impliquerait non seulement de frapper des installations plus disséminées et plus souterraines, mais de le faire dans un contexte où les ennemis disséminés autour d’Israël se sont renforcés militairement, tandis que l’Iran lui-même se dotait de moyens de frapper Israël avec des missiles conventionnels.
Le contexte est aussi porteur de deux autres paramètres : d’une part, un isolement diplomatique d’Israël plus grand et l’idée que les sanctions prises contre le régime de Téhéran peuvent être efficaces, d’autre part, une attitude de l’administration Obama qui a été marquée essentiellement, depuis le départ, par une hostilité envers Israël, quand bien même Obama a récemment présenté, pour des raisons strictement électoralistes, un autre visage.
Avant d’envisager quoi que ce soit, Israël doit se donner des moyens de défense et de prévention : le bouclier anti-missile israélien devrait être opérationnel en novembre, et constitue, en ce sens, un moyen primordial qui amoindrira les capacités de nuisance du Hezbollah et du Hamas, ainsi que celles de l’Iran directement. Israël doit aussi se donner les moyens optimaux pour une pleine action de frappe, et des décisions restent à prendre en matière d’équipements et d’achats d’avions : elles sont en train d’être prises. Des entraînements en cours doivent se trouver poursuivis. Le droit à l’erreur est inexistant. Les conditions d’une efficacité optimale doivent, le cas échéant, être réunies. D’autant plus que l’Iran s’attend à être frappé, et que ses dirigeants le souhaitent presque.
Avant d’envisager quoi que ce soit, en outre, Israël doit atténuer, autant que faire se peut, les effets de l’isolement diplomatique actuel : ce qui implique de laisser aux sanctions le temps qu’il s’avère davantage encore qu’elles sont insuffisantes ou, ce à quoi je ne crois guère, le temps de prouver qu’elles ont un effet. Plus il sera possible que des pays occidentaux, les pays d’Europe en particulier, soient un minimum contraints de reconnaître que les sanctions sont inopérantes, plus Israël aura des arguments en sa faveur ou, pour le moins, des arguments qu’il sera difficile de tourner entièrement en sa défaveur. Tout indique, quoi qu’il se dise par ailleurs, au vu des données disponibles aujourd’hui, qu’il faudra encore de deux à trois ans avant que l’Iran dispose effectivement d’une arme nucléaire, ce qui diminue la dimension d’urgence absolue d’une action.
Les services israéliens savent, par ailleurs, que le mécontentement monte au sein de la population iranienne, que le bazar de Téhéran est en grève (ce dont les médias européens ne parlent pas du tout), et que, sans qu’elle soit de l’ordre du probable, une révolution intérieure renversant Ahmadinejad n’est pas inenvisageable. Je pense qu’Israël ne frappera, si Israël doit frapper, que lorsque toutes les autres options auront été écartées, strictement toutes, et que ce n’est pas encore le cas aujourd’hui.
Enfin, comme je l’ai noté plusieurs fois, Israël doit tenir compte de l’administration Obama, et c’est là l’essentiel. Celle-ci est la plus hostile à Israël de toute l’histoire des Etats-Unis. Mais elle n’a pas réussi, quelles que soient ses manœuvres ou celle de ses agents, tels J Street, à faire basculer l’opinion américaine dans l’anti-israélisme. Elle doit maintenant compter avec les élections de mi-mandat, qui s’annoncent désastreuses pour les démocrates. Obama pourrait utiliser des frappes israéliennes survenant avant les élections pour s’en prendre à nouveau à Israël : après le 2 novembre, le contexte américain sera sans doute différent, plus favorable à Israël. Dès lors qu’elle est possible, l’attente ne peut aussi, sur ce plan, qu’être judicieuse et pertinente.
Certains, aux Etats-Unis, murmurent même qu’Obama pourrait lui-même, dans une manoeuvre de dernière minute destinée à retourner une situation intérieure qui tourne en sa défaveur, choisir d’agir lui-même d’agir et décider que l’armée américaine mène elle-même des frappes. C’est une hypothèse qui me semble extrêmement improbable. Mais avec un homme tel qu’Obama, je n’exclus rien, même l’improbable. Un homme sans scrupule qui vient de sacrifier les côtes du golfe du Mexique pour espérer faire passer une loi de contrôle strict en matière d’environnement pourrait prendre une décision imprévisible n’importe où s’il pense que cela le servira électoralement.
On pourrait ajouter la situation intérieure israélienne. Binyamin Netanyahu ne peut agir, de fait, sans l’accord du ministre de la défense Ehud Barak, du président Shimon Peres, du chef des armées Gabi Ashkenazi, du chef du Mossad Meir Dagan. Cela a été noté par de nombreux commentateurs, dont Bret Stephens du Wall Street Journal. Gabi Ashkenazi et Meir Dagan seront remplacés dans quelques mois, et cela pourrait changer la donne.
Si toutes les autres options sont épuisées, et je crains qu’elles le soient assez bientôt, si une révolution intérieure ne survient pas en Iran et n’est pas aidée par des occidentaux comprenant que ce pourrait être la moins mauvaise solution, une frappe israélienne pourrait s’avérer inéluctable et nécessaire.
A l’heure actuelle, la « fenêtre de tir » n’existe pas, non. Mais elle pourrait bien exister dans un futur proche.
Le rôle des amis d’Israël, en attendant, est d’expliquer, et surtout de rappeler, ce qui n’est pas fait suffisamment : que le problème immense que constitue la quête de l’arme nucléaire par l’Iran est un problème qui concerne tous les hommes libres de la planète, pas seulement les Israéliens, et que les premières victimes du régime iranien, aujourd’hui, maintenant, ce sont les Iraniens eux-mêmes. Les victimes, ce sont aussi, bien sûr, les Irakiens soumis à des attentats financés par l’Iran, les Libanais soumis au Hezbollah, les gens de Gaza, otages au cerveau lavé par le Hamas qui gardent eux-mêmes le seul soldat israélien présent à Gaza, Guilad Shalit. Cela pourrait être très vite les Israéliens, et Israël ne laissera pas faire.
S’il y avait moins de lâcheté à l’échelle internationale, le régime iranien appartiendrait déjà au passé, et Israël ne se trouverait pas confronté à une décision très difficile à prendre. Israël, pour le moins, serait davantage soutenu que ce n’est le cas aujourd’hui où certains poussent hypocritement Israël à agir tout en s’apprêtant à fustiger Israël dès que, le cas échéant, Israël agirait.
Guy Millière
PS. Cela n’a rien à voir, bien sûr, mais l’Union Européenne, la Turquie, et la Syrie demandent simultanément la liberté pour le Hamas de se réarmer à sa guise : pardon, je voulais dire, la levée du « blocus de Gaza ». Un scoop : l’Iran est lui aussi pour la levée du « blocus de Gaza ». S’aimer, comme disait l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction. L’UE regarde-t-elle dans la même direction que Bachar al Assad, Recep Tayyip Erdogan et Mahmoud Ahmadinejad ? Il y a, en tout cas, d’étranges coïncidences. La suite bientôt…
Guy Millière a dit:
Certains, aux Etats-Unis, murmurent même qu’Obama pourrait lui-même, dans une manoeuvre de dernière minute destinée à retourner une situation intérieure qui tourne en sa défaveur, choisir d’agir lui-même et décider que l’armée américaine mène elle-même des frappes.
De sa manière hypocrite à faire de la politique politicienne se basant seulemennt sur un pari électoral, je crois que c’est l’option que choisira le pantin de la maison blanche Obama.
@ Guy,
Olmert, par ses suppliques, n’a sans doute fait que compliquer les choses. Il fallait mettre les Occidentaux du côté d’Israël, etc. “Mendicité” diplomatique. Résultat des courses, vous êtes le belliqueux, le va-t’enguerre… Et c’est un vrai bonheur de vous dire : “non!”. Surtout si on s’appelle GW Bush, et qu’on est cuit et recuit, à cause de ça…
Il y a plus simple : laisser l’Amérique et les pays arabes, l’Europe, prendre conscience des dangers imminents et n’intervenir que pour des préoccupations sécuritaires vitales, comme en 67 (sans le Président Johnson), et/ou parce qu’on vous le réclame tellement, qu’on peut bien faire une petite gâterie pour rappeler qui on est…
Or, sur le plan sécuritaire strict, vu la force de frappe d’Israël, en préventif ou seconde frappe sous-marine, etc, vu les systèmes anti-missiles, vu l’imprécision iranienne (tuant Jordaniens, Palestiniens, Libanais, et peut-être un peu de Sionistes-miklatim : abris nucléaires et chimiques dans chaque maison ou immeuble…),
Qui sont les premiers menacés? Les Arabes. Et oui, comme toujours, les grands Jihads chi’ites ou Sunnites commencent par quelques “sacrifices nécessaires” pour la gloire d’Allah.
Voir : déclarations d’un ministre des Emirats, voir rumeurs de panique et d’ultimatum d’Abdallah de Saoudie.
Obama n’a ni les nerfs, ni l’autorité pour calmer le roi dont il embrasse les bagouzes et la Djellabah.
Je dirais : c’est même grave.
Netanyahou, du fait de l’hostilité de l’administration, n’a pas le poids ni la force de conviction des pétrodollars à rallonge sur les Campus et au Congrès (cas Scowcroft/ Al Walid, traité avec Laurent Murawiec z”l).
Obama ne soutient ni le peuple iranien, ni ne rassure, hormis politique de contention (deuxième frappe,c’est-à-dire gros dégâts) ses “alliés sunnites”. Cela peut s’envenimer très vite, comme être reporté jusqu’au bord du précipice.
Il est empêtré en Afghanistan, cent fois comme son prédécesseur en Irak et choisit le même sauveur-Messie : le Roi David (Petraeus). On est làsur une “guerre de cent ans…” : comment se tirer en 2011?
Lieberman est partisan de mettre les Occidentaux devant leurs responsabilités. Moshe “Boogie” Ya’alon est un partisan du “long chemin” et de la guerre d’usure.
Ce n’est pas ne rien faire, mais pour que les fruits tombent des arbres, il faut qu’ils soient mûrs.
Trad de l’excellent Barry Rubin, d’IDC Herzliyah :
http://lessakele.over-blog.fr/article-pourquoi-israel-ne-devrait-pas-attaquer-les-installations-nucleaires-iraniennes-a-moins-d-y-etre-vraiment-contraint-54076027.html
cher mr milliere , il manque deux elements majeurs a votre analyse :
1/ la promiscuité entre la flotte us et les iraniens sans le detroit qui peut occasionner a tout moment un accrochage
2/ le ras le bol sensible des saoudiens et des egyptiens devant l’inaction d’obama
j’en ajouterai un troisieme qui semble eloigné mais ne l’est pas trop :une explosion dans une autre region du monde (corée ou frontiere colombie venezuela )
PS : mais quel oublieux! “comment se tirer en 2011?”,
*éventuellement par des milliers (75. 000) de documents-bidons parce que tellement authentiques que je vous jette le pavé dans la marre, à toutes fins utiles. Wikileaks/Julian Assange. Que tout le monde connaît déjà par coeur, mais c’est si bon de s’en souvenir.
Ce serait amusant de se lancer dans le conspirationnisme bon marché, pour déterminer, avec le temps, à qui “profite le crime”…
Quelques hypothèses sur le sujet?
L’administration américaine est forcée d’intervenir militairement contre Iran avant la fin de l’année. Les investissements financiers des compagnies pétrolières américaines dans la région sont aujourd’hui menacés plus que jamais. C’est normal est légitime que les Majors qui ont leur mot à dire à Washington réclament une intervention militaire de leur pays afin de préserver leur intérêt. Un Iran nucléaire conduirait à une hausse vertigineuse du prix du baril de pétrole. L’Iran forte de sa puissance atomique dictera sa loi aux pays arabes en les encourageant à nationaliser l’industrie pétrolière. L’Occident ne permettra pas à l’Iran et ses dirigeants fanatiques et imprévisibles de se doter d’armes de destruction massive. Un bombardement des sites atomiques iraniens par les forces américaines reste à priori une question de temps. A mon sens, c’est avant la fin de l’année.