Publié par Guy Millière le 20 août 2010

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Tous les politologues le savent. Une présidence se trouve définie par les impulsions données au cours des premiers mois qui suivent l’élection. Ceux qui ont voté pour le nouveau Président discernent s’il suit le programme sur lequel il a été élu. Ceux qui n’ont pas voté pour lui s’opposent et critiquent. Au bout d’une période qui va de dix-huit mois à deux ans, les résultats de ce qui a été fait se dessinent et permettent de commencer à juger sur pièces. Un certain nombre d’autres éléments deviennent aussi apparent : le Président a-t-il une ligne claire ? A-t-il une détermination ? A-t-il le sens du commandement ? Espérer vouloir rebattre les cartes, impulser une nouvelle direction, faire table rase du passé récent à ce moment-là ne sert à rien.


Tout ce que je viens d’écrire s’applique à Nicolas Sarkozy dans le contexte français, et à ce qu’il faut bien appeler le naufrage de sa présidence. Nicolas Sarkozy s’est fait  élire sur un programme de rupture avec le déclin qui a marqué la France ces dernières années, de retour à l’espoir et au dynamisme. Il s’est présenté comme dessinant une ligne pour le futur et comme ayant détermination et sens du commandement.

 

Le bilan au bout de deux années était d’ores et déjà consternant. Au bout de plus de trois ans, il est pathétique. Nicolas Sarkozy n’a pas rompu avec quoi que ce soit. Il a accompagné. Il s’est fait le gestionnaire désordonné d’un glissement ininterrompu du pays vers le délitement. Il a tué tout message d’espoir susceptible de représenter un retour à l’esprit de dynamisme entrepreneurial en prétendant incarner ce dynamisme et en n’était qu’une caricature indigne, pas même un brouillon. Il a, ce faisant, redonné une nouvelle vigueur à un Parti socialiste dont les idées n’ont pourtant pas évolué depuis plus d’un siècle, ce qui est une performance négative remarquable. Il n’a rien présenté qui puisse apparaître comme une perspective d’avenir crédible. En lieu et place de détermination et de sens du commandement, il a offert une succession de gesticulations désordonnées et de gestes d’autoritarisme souvent marqués du sceau de l’arbitraire.

 

Economiquement, d’aucuns le présentent comme « libéral » : il faut vraiment ne rien connaître aux principes de base du libéralisme pour voir en Nicolas Sarkozy un libéral. Il faut aussi ne rien savoir des notions les plus élémentaires de la pensée économique pour voir en ses décisions un minimum de compréhension de l’économie contemporaine. En matière de droit et de justice, Nicolas Sarkozy n’a pas été « libéral » non plus. A vrai dire la direction suivie dans quasiment tous les domaines ressemble à un tracé erratique, digne de celui d’un conducteur en état d’ébriété avancée à qui on confierait quand même les commandes d’une voiture.

 

Je pourrais prendre les dossiers un par un, mais l’énumération deviendrait vite fastidieuse. Fiscalité ? D’un côté un « bouclier fiscal » dont le nom lui-même est ridicule et qui ne permet en aucun cas le retour des fortunes et des investissements en France, car les impératifs de la compétitivité planétaire n’ont jamais été soulignés par qui que ce soit, ou de manière très confuse, et les raisons qui ont pu inciter certains à fuir sont toujours là. La population aurait compris si on lui avait dit d’emblée que la France avait besoin d’investissements, d’entrepreneurs, de créativité, et que taxer tout cela à un niveau plus élevé que les concurrents du pays était suicidaire. Faute d’explication, nul n’a eu à comprendre quoi que ce soit, et de toute façon, il n’y avait rien à comprendre parce que c’était une décision asthénique semblant faite pour protéger quelques nantis. La trajectoire du sarkozysme en ce domaine conduit du Fouquets à l’affaire Bettencourt. Une réforme fiscale digne de ce nom aurait impliqué une baisse radicale des impôts et des charges au nom, souligné, de l’investissement et du redressement du pays. Elle se serait accompagnée d’un discours churchillien, « du sang, de la sueur et des larmes ». Elle aurait expliqué que le pays était au bord du dépôt de bilan et qu’il y avait urgence. Bilan sur ce point ? Nullissime.

 

Entreprises ? Entre discours sur le travail impliquant de se lever tôt le matin, proclamation disant qu’il fallait sauver l’industrie française et pratiquer le volontarisme, et projets de relance de type keynesien ou de mise en place d’une « politique industrielle », une chatte ne saurait y retrouver ses petits. Un discours structuré aurait expliqué le passage à un fonctionnement post-industriel et post-capitaliste, les défis de la mondialisation, la nécessité d’innover, ce qui devait être fait pour entrer dans une économie du vingt-et-unième siècle où la désindustrialisation des pays développés se poursuivra, et où il faut miser sur le capital humain et intellectuel, sur les services, sur la production dématérialisée. Ce discours, je ne l’ai pas entendu. Je n’en ai même pas entendu des bribes ou des fragments. J’ai vu, par contre, de l’argent gaspillé dans des travaux publics inutiles, dans des mesures écologiques ineptes censées incarner la nouvelle lubie qu’est la « croissance verte » chère aux écologistes et autres anciens babas cool certains que le ciel va leur tomber sur la tête entre deux séances de yoga et deux fumettes de marijuana. Tenir un discours tel celui qui aurait dû l’être aurait impliqué, bien sûr, des mesures dans de multiples domaines : abolition des trente cinq heures, flexibilité généralisée des contrats de travail, simplification extrême des formalités de création d’entreprise, le tout accompagné de baisse drastique des charges. Il aurait fallu aussi revoir le système de formation et, en particulier, l’université, qui, pour une large partie, forme surtout de futurs syndicalistes et autres inadaptés sociaux. Il y aurait eu des grèves, certes, très dures sans doute. Mais quand un système est fait de crispations et de rigidités suicidaires, il faut oser affronter crispations et rigidités ou accepter d’en être prisonnier. Sarkozy s’est comporté en pitoyable prisonnier, et la France est cogérée par des syndicats stériles et stérilisants. La réforme des retraites elle-même est grotesque et pusillanime, et prétend sauver un système par répartition que nul ne sauvera : comment ? En passant à la retraite à soixante deux ans. La capitalisation ? Vous n’en entendrez pas parler. La raison pour laquelle le système en place actuellement est aussi honnête que les arnaques concoctées par Bernard Madoff ? Vous n’en entendrez pas parler non plus.. Bilan là encore ? Nullissime.

 

Sécurité ? C’était censé être le point fort de la présidence Sarkozy. Je ne dirai pas que c’est son point faible, car il n’y a que des points faibles. Les zones de non droit abandonnés aux gangs prolifèrent. Les banlieues de l’islam dont on parlait voici quelques années sont plus que jamais des banlieues de l’islam. Les débats sur la question de l’islam, précisément, sont absents. La sécurité des biens et des personnes n’est pas assurée. La tolérance zéro, par contre, s’applique aux automobilistes : les contraventions pour tous les motifs imaginables, cela rapporte aux caisses de l’Etat, et qu’importe si l’argent confisqué ne peut être utilisé à d’autres fins par ceux qui sont rackettés légalement. La police n’entre plus dans six cents quartiers du pays, mais des escouades entières dressent des embuscades pour piéger les malheureux qui n’auraient pas bien bouclé leur ceinture de sécurité. Des radars se chargent du reste de la récolte, et sont placés dans des lignes droites d’autoroute où il est évident que dépasser la vitesse limite de trois ou quatre kilomètre heures est un danger absolu. Quand un incident grave survient impliquant des truands, comme à Grenoble, il y a deux ou trois jours de gesticulation, et rien d’autre que de la gesticulation. Parfois aussi, on fait semblant : ainsi à Calais lorsqu’on a détruit la « jungle ». Les clandestins cherchant à passer la Manche n’ont pas disparu, ils ne sont pas moins nombreux, la situation n’est pas réglée : mais on a détruit des abris de fortune et tourné des images pour la télévision. Ainsi encore avec les camps de roms en ce moment. Même s’il y a des voleurs roms, les difficultés majeures aujourd’hui ne viennent pas des roms, chacun le sait. Les gens renvoyés en Roumanie vont prendre aussitôt un billet de retour par avion, chacun le sait. Confisquer quelques roulottes et saccager quelques campements ne va rien arranger, chacun le sait. Mais cela aussi fait des images pour la télévision. Cela peut flatter quelques tentations xénophobes. Et puis, s’attaquer à des gens moins nombreux et moins bien défendus et déjà persécutés dans leur pays d’origine, c’est tellement plus facile que de s’attaquer à la pénétration islamiste. Le bilan là n’est pas nullissime.  Il est sordide. Quand la police n’est nulle part où elle devrait être et en mille endroits où elle ne devrait pas être ou en lesquels sa présence ne devrait pas être une priorité, c’est qu’un glissement vers l’arbitraire et l’autoritarisme s’opère.

 

Je pourrais parler de la justice, qui continue à relever du n’importe quoi, de l’irrespect de la présomption d’innocence, de l’emprisonnement de gens qui ne devraient pas être en prison tels ce septuagénaire qui défendait sa propriété et n’a fait que se défendre ou de gens placés en garde à vue seulement pour faire « du chiffre », de la libération, par contre, de criminels récidivistes qui, eux, devraient rester incarcérés et sont remis en situation permettant de récidiver. Je pourrais parler du crétinisme institutionnalisé qu’on a appelé Grenelle de l’environnement auquel on avait convié l’imposteur Al Gore lui-même.  Je pourrais parler, enfin, d’une politique étrangère titubante et dans laquelle il serait difficile de discerner un embryon de principe : au coup par coup, on reçoit le dictateur libyen ou son homologue syrien, des représentants du Hezbollah, et on fait remarquer, par contre, au Premier ministre israélien que ses actions sont « disproportionnées » ou qu’il n’en fait pas assez en direction des mouvements terroristes palestiniens car, il ne faut pas se le cacher, le Fatah de Mahmoud Abbas est aussi un mouvement terroriste.

 

Nicolas Sarkozy, dit-on, envisage de se représenter, et va entrer en campagne. Il entend rebattre les cartes : s’il s’agissait d’une partie de poker, on pourrait dire qu’on a vu déjà tous ses trucs, et qu’il n’y a rien dans sa panoplie qui puisse vraiment séduire ou tromper, sinon ceux qui veulent être trompés et qui sont des praticiens du masochisme. Veut-il impulser une nouvelle direction ? Il faudrait encore que quiconque sache quelle direction il a suivi jusque là, et on peut gager qu’il ne le sait pas lui-même. J’ai écrit voici quelque temps que piocher une lubie chez les « écologistes, une autre chez les socialistes, une troisième au Front National, cela ne fait pas un programme, mais une succession d’éclaboussures.  Faire table rase du passé récent ? La population discerne qu’elle a un Président confus, agité, fébrile, opportuniste, capable de s’en prendre aux faibles pour mieux continuer à se coucher devant les plus forts, et incapable d’incarner un souffle, un élan ou de porter un optimisme qui ne soit pas en carton pâte ou en plaqué or.

 

Nicolas Sarkozy peut, malgré  tout, être réélu. Il peut y avoir plus nul que lui, et les électeurs peuvent s’apercevoir qu’il y a plus nul que lui. Quand j’entends les dirigeants du parti socialisme, je me demande si ce sont des imbéciles ou s’ils pensent que les imbéciles sont ceux à qui ils s’adressent. Leur programme à eux est aussi neuf qu’un exemplaire du Capital de Karl Marx qu’on aurait égaré trop longtemps en milieu humide. Je ne me donnerai même pas la peine de réfuter ce qu’il contient : il y a des choses si basses et si insignifiantes que cela ne vaut pas la peine de se baisser pour les ramasser. Dominique Strauss-Kahn semble, parfois, être le seul socialiste intelligent, mais outre le fait qu’il y a une contradiction dans les termes : socialiste et intelligent, cela ne va pas ensemble, lorsqu’on imagine ceux qu’il pourrait recruter, on a envie d’emprunter immédiatement la sortie de secours. On me reproche parfois de dédaigner le Front National : c’est un parti qui fait des propositions socialistes en les teintant seulement de « préférence nationale », ce qui témoigne d’une incompréhension totale du monde contemporain et accole deux mots, socialiste et national qui, lorsqu’ils vont ensemble, rappellent des souvenirs glauques. C’est un parti qui pense que lutter contre l’immigration est la panacée et la clé de tous les problèmes, ce qui peut séduire certains analphabètes, mais n’en est pas moins profondément débile. C’est un parti qui a, en politique étrangère, des fréquentations très douteuses et des inclinations nauséabondes semblant dictées par des relents d’antisémitisme : je pense à la mansuétude vis-à-vis de l’Iran d’Ahmadinejad ou du Liban sous la coupe du Hezbollah. C’est un parti qui est, à mes yeux, un symptôme d’une déliquescence et d’une situation pathologique, tout comme l’extrême-gauche est un symptôme de la même déliquescence et de la même situation pathologique. 

 

Le choix sera donc entre un Président nul, des imbéciles ou des gens prenant les autres pour des imbéciles, et, à la marge, des symptômes destinés, je pense, à n’avoir qu’un avenir de symptômes. Quel choix ! Je ne me fais aucune illusion sur la possibilité qu’une femme ou un homme surgisse magiquement et vienne incarner la liberté économique, l’instauration d’un état de Droit, et une position défendant la civilisation occidentale : il y faudrait un travail des idées qui ne se fait pas et ne peut se faire que de manière quasiment marginale, car tout est cadenassé, médias, maisons d’éditions, institutions d’enseignement. Et en ces conditions, je le dis d’avance : je préfère m’abstenir.  Je m’adresse à ceux qui veulent garder les yeux ouverts, même si c’est pour regarder venir un cataclysme. De toute façon, la France n’est qu’un fragment brisé sur un continent qui lui-même se dirige vers le crépuscule, alors…

 

Guy Millière 
 
 

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