Publié par Guy Millière le 16 septembre 2010

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On m’a récemment posé une question simple : comment serait-il possible de redresser la France ? La réponse qu’une telle question appelle logiquement est simple aussi : c’est une tâche impossible. J’apporte cette réponse non pas parce qu’un redressement serait impensable théoriquement, mais parce qu’il est impensable en pratique.  

 

Cela fait quarante ans que je suis dans l’université française, et j’ai, décennie après décennie, vu celle-ci se détériorer, tout particulièrement dans un domaine essentiel : l’enseignement de l’économie. Il y a eu des économistes compétents en France, et il en reste quelques-uns : la plupart ont atteint l’âge de la retraite et son davantage connus hors de nos frontières qu’ils le sont à l’intérieur de celles-ci. Aucun homme politique ne leur demande leur avis ou ne prend en compte leurs analyses. Et pendant ce temps là, on affuble des charlatans du nom d’« économistes ». Parmi ceux qui ont étudié l’économie en France, ceux qui ont effectivement appris ce qui mérite le nom d’économie doivent représenter deux ou trois pour cent du total, ce qui est extrêmement faible. Dès lors que la formation reçue à l’université est inadéquate, l’inadéquation se dissémine dans tous les méandres de la société : dans les lycées et collèges, dans les médias, bien sûr, dans le monde culturel et associatif, et même dans les entreprises.  

 

Dans les années 1980, François Mitterrand ayant donné une impulsion marxiste au gouvernement du pays, il sembla qu’une opposition puisse, malgré tout, se structurer de manière cohérente. Il y eut des « Etats généraux de l’opposition ». J’y ai contribué. En 1986, quelques mesures utiles ont été prises. Au bout de deux ans, François Mitterrand fut reconduit. Depuis, il n’y eut plus jamais la même quête de cohérence. Le seul homme politique avec qui je me sois senti des affinités, Alain Madelin, s’est placé en retrait, pour des raisons que je comprends. Tous les partis politiques français aujourd’hui sont socialistes à des degrés divers. L’UMP française est sur la gauche du Labour Party britannique, le Parti socialiste est sur la gauche de l’UMP, Le Front National incarne une extrême-droite aux accents socialistes nationaux. Le reste est soit tellement à gauche qu’il serait difficile de trouver des équivalents dans un pays développé, soit au centre, c’est-à-dire nulle part. Les idées économiques qui constituent l’armature intellectuelle du parti conservateur britannique ou du parti républicain aux Etats-Unis sont reprises par des mouvements plutôt groupusculaires : le Parti libéral démocrate et Alternative libérale. Les idées politiques et géopolitiques qui accompagnent les idées économiques chez les conservateurs britanniques et chez les républicains américains sont totalement absentes.

 

Nicolas Sarkozy s’est fait élire en 2007 sur un mot aussi vague que « hope » et « change » qui ont si bien réussi à Obama : « rupture ». Mais il n’a, une fois au pouvoir rompu avec rien, ou alors si peu.

 

Je défie quiconque de me décrire la ligne constituant le sarkozysme dans un domaine quel qu’il soit. La tendance la plus nette que je perçois est un autoritarisme bonapartiste, mais celui-ci a davantage une dimension volontariste et gesticulatoire qu’une cohérence : tolérance zéro, oui, mais pour les automobilistes, pas pour les criminels, lutte contre l’insécurité, oui, mais en s’en prenant aux roms et pas aux zones de non droit qui prolifèrent. Certains qualifient la politique économique suivie par Sarkozy de « libérale » : vue depuis une position léniniste, sans doute que Sarkozy est libéral. Ayant une formation d’économiste et d’historien, je dois dire que je ne vois rien de libéral chez Sarkozy. Certains, aussi, le décrivent comme « atlantiste » : d’une part, il n’est pas facile d’être l’allié des Etats-Unis en un temps où il y a un Président anti-américain à la Maison Blanche, et ce mot aujourd’hui n’a pas de sens (comment s’allier à un Président qui entend mutiler les Etats-Unis et qui dédaigne l’Europe, car ses racines sont ailleurs ?), d’autre part, Sarkozy est prisonnier de la ligne suivie au cours des dernières décennies. Je lui reconnaîtrai d’être moins anti-israélien que Chirac (mais ce n’est pas difficile), d’être conscient du danger iranien (sans pouvoir rien faire) et d’avoir nommé quelques ambassadeurs intelligents, tels l’ambassadeur de France en Irak.

 

Je l’ai déjà dit : Sarkozy est le moins pire en termes économiques (les discours du parti socialiste sont nuls à en pleurer) ; en termes de droit, il me semble, hélas, pire que les socialistes. Je le préfère quand même à un socialiste, mais sans doute pas jusqu’au point d’aller voter pour lui. Et, de toutes façons, si le candidat socialiste doit perdre en 2012, il faudra qu’il mène une campagne catastrophique, sinon il sera élu.

 

Ayant montré que le redressement est impensable- en pratique – je pourrais répondre à la question posée- en théorie.  

 

Si nous n’étions pas dans la situation où nous sommes, je dirais qu’il faudrait baisser les impôts et les charges, d’une manière radicale. D’une part, la plupart des entreprises sont en concurrence à une échelle planétaire et les pays sont aussi en concurrence planétaire en termes de fiscalité. D’autre part, tout surcroît d’impôts et de charges est payé par le consommateur final, et plus il a à payer, moins il lui reste de moyens pour consommer et épargner.

 

Il résulterait de la baisse des impôts et des charges une baisse des recettes de l’Etat qui, dans un délai de deux à trois ans serait compensée par l’élargissement de l’assiette fiscale (davantage de salaires versés, davantage de consommation, davantage d’entreprises).  

 

Cette baisse des recettes de l’Etat entraînerait des déficits accrus sur une période de deux à trois ans, après quoi les déficits diminueraient pour les raisons indiquées ci-dessus. Ces déficits impliqueraient une obligation de baisse des dépenses de l’Etat, baisse qui elle-même devrait être forte et significative, de façon à ce que les prélèvements obligatoires baissent en quatre ou cinq ans d’au moins dix pour cent par rapport à ce qu’ils sont aujourd’hui.  

 

De façon à verrouiller ces décisions élémentaires et indispensables, celles-ci devraient faire l’objet d’ajouts à la Constitution fixant une proportion maximale de prélèvements et, à terme, une interdiction des déficits budgétaires.  

 

De façon à limiter et à compenser la baisse des retraites sur les trois prochaines années, un programme de privatisation des entreprises appartenant encore directement ou indirectement à l’Etat devrait être mis en œuvre, ainsi qu’un programme de privatisation du domaine public (divers parcs et monuments pourraient trouver preneurs sur les marchés internationaux).  

 

Il faudrait, bien sûr, simplifier radicalement les procédures de création d’entreprise, bien au delà de ce qui a été fait aujourd’hui, de façon à ce que le coût en temps et en argent de ces procédures baisse fortement et vite.  

 

Divers secteurs devraient être privatisés et ouverts pleinement à la concurrence : celui de l’assurance maladie en tout premier lieu. Des comptes épargne santé sur le modèle proposé par les travaux de l’Institut Turgot devraient être mis en place. Le secteur des retraites devrait lui-même de toute urgence passer d’un système par répartition d’ores et déjà en faillite, à un système par capitalisation.  

 

Les systèmes d’allocation chômage devraient être modifiés dans le sens de ce qu’on appelle dans le monde qui parle anglais, le « workfare » : toute allocation s’accompagne de l’obligation de remplir des tâches confiées aujourd’hui à des employés municipaux : le nombre de ceux-ci pouvant ainsi se trouver diminué drastiquement.

 

L’université, secteur dont je parlais en commençant, devrait se trouver réformée : et là aussi, un programme de privatisation totale ou partielle devrait être mis en œuvre de façon à ce que des entreprises qui sont censées produire du savoir deviennent effectivement des entreprises qui produisent du savoir, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Des universités privées, pour vivre, ont besoin de montrer que leurs étudiants ont d’effectifs débouchés en fin d’études, et doivent passer des accords de partenariat avec des entreprises. 

 

Le secteur de la sécurité et de la justice lui-même doit être revu profondément. Il manque à la France une déclaration des droits fondamentaux qui pourrait être équivalente au Bill of Rights anglais et au Bill of Rights américain, et qui garantisse une fois pour toute la liberté de parole, le droit de propriété, la présomption d’innocence qui n’existe pas aujourd’hui. Une telle déclaration devrait être promulguée dans le cadre d’une refonte constitutionnelle à même d’équilibrer les pouvoirs bien davantage qu’ils ne le sont aujourd’hui. Le Président devrait, entre autres, se voir privé du droit de dissolution, et un Président ayant commis un crime ou un délit devrait pouvoir être destitué par un vote du congrès. Le Conseil constitutionnel devrait être remplacé par une forme de Cour Suprême, gardienne de la Constitution et de la déclaration des droits. La justice devrait être indépendante du pouvoir politique, les procédures de nomination des juges devraient être revues. Une police tenue de respecter la présomption d’innocence pourrait se tourner pleinement vers son vrai rôle, qui est d’assurer la sécurité des biens et des personnes, et non de procéder à des contrôles arbitraires. Autre secteur à privatiser : les prisons. Elles sont trop peu nombreuses en France, et trop de criminels sortent trop vite.  

 

Ces diverses mesures sont impensables en pratique, je sais. Je pourrais expliquer pourquoi elles forment un tout dans lequel chaque élément est nécessaire au bon fonctionnement des autres.  

 

Comme elles sont impensables en pratique, comme, de surcroît, d’autres facteurs jouent, tels les flux migratoires et la dénatalité, nous resterons dans le naufrage lent et graduel dans lequel nous sommes. Dans quelques années, la pauvreté aura gagné du terrain, les zones de non droit aussi. La France sera plus islamisée, plus violente, plus divisée, le chômage plus important, les retraites plus maigres. Les jeunes qui resteront vivront de manière chiche et précaire. Il n’y aura pas d’effondrement brusque et violent. Un Etat ne fait pas faillite : on « restructure » sa dette lorsqu’il s’avère que tout remboursement est impossible et qu’il faut sauver ce qui peut l’être. La France avance vers la « restructuration » de sa dette. Ceux qui travailleront dans vingt ans auront un pouvoir d’achat asthénique, subiront des prélèvements écrasants, quitteront l’univers du travail  à soixante-dix ans ou plus.   

 

Des touristes américains, indiens, chinois viendront visiter les musées et les monuments. On leur dira ce qu’on dit aujourd’hui dans les pays pauvres : que les rues le soir ne sont pas sûres.    

 

Jacques Attali, l’économiste que tout le monde lit, ce qui est normal puisque c’est un économiste socialiste, a publié voici peu un livre appelé « Tous ruinés dans dix ans », dont j’aurai l’occasion de reparler. Tout n’est pas faux chez Attali. En tout cas, pour la France, le titre devrait être « presque tous ruinés dans dix ans, sauf ceux qui ont les moyens et les possibilités de vivre à un niveau planétaire » : une minorité assez mince…

Guy Millière

 

PS J’aurais pu ajouter que l’Union Européenne joue un rôle dans tout cela. Je l’ai déjà fait. J’y reviendrai dans un autre texte.

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