Publié par Guy Millière le 4 novembre 2010

 

LA BATAILLE COMMENCE

Les résultats des élections de mi mandat aux Etats-Unis sont, dans l’ensemble, conforme à ceux que j’attendais, à quelques exceptions près. Les gains républicains à la Chambre des représentants se situeront alentour de soixante cinq sièges, une fois tous les recomptages effectués, ce qui sera le renversement de tendance le plus important depuis plusieurs décennies, et une défaite cinglante pour le parti démocrate. Les gains au Sénat seront un peu moins importants que ceux que j’espérais : je m’attendais à un ou deux sièges supplémentaires pour les républicains, mais pas à un changement de majorité : trente sept sièges sur cent étaient concernés, pas davantage. Du côté des gouverneurs, le gain total est de dix sièges. Les victoires de Marco Rubio et d’Allen West en Floride ont été plus amples et plus nettes que ce n’était en général prévu, et ce sont des victoires de gens soutenus clairement par les tea parties, tout comme celle de Rand Paul dans le Kentucky. La défaite de Christine O’Donnell dans le Delaware été anticipée, mais son score est loin d’être déshonorant, malgré une campagne honteuse et sordide contre elle. Ma plus grande déception personnelle est la défaite de Sharon Angle, et la réélection de Harry Reid dans le Nevada. Et Harry Reid sera donc toujours là. Nancy Pelosi, élue de San Francisco, et donc inamovible dans son rôle de gauchiste éthérée, a été réélue, mais appartiendra désormais à la minorité, cédant sa place vraisemblablement à John Boehner. Les bastions démocrates restent le Nord Est, le Nord du Midwest, alentour des grands lacs et de Minneapolis, l’Oregon et, très largement, la Californie : ce qui est, hélas, logique. Comme tout Etat glissant à gauche sur la terre, la Californie fait fuir peu à peu ses forces vives, et attire des gens voulant vivre d’assistance. C’est un gâchis qui ne pourra durer indéfiniment, mais, pour l’heure, c’est un gâchis.

Malgré ses tentatives de séduction au cours des deux derniers mois, Obama n’est pas parvenu à reconduire en masses l’électorat juif vers les démocrates : en moyenne 50% des juifs ont voté démocrate. Ils étaient 79% en 2008. L’électorat latino lui aussi s’éloigne un peu des démocrates, et une génération de jeunes latino conservateurs et républicains émerge. L’électorat démocrate est constitué surtout désormais des noirs, des gens qui ont abandonné leurs études avant la fin du lycée, et qui se retrouvent très largement sur les listes du chômage et de l’assistance sociale, des gens qui ont fait cinq ans ou davantage d’études supérieures, et qui constituent la grande cohorte des bobos et, massivement, des moins de vingt huit ans. La classe moyenne, les petits entrepreneurs, les membres des professions indépendantes, les employés, ont voté très largement républicain. Les républicains sont très majoritaires aussi dans toute les tranches d’âge situées au delà de vingt neuf ans.  

Le soir du 2 novembre, on a fait la fête au siège de campagne des candidats républicains victorieux, des discours ont été prononcés, mais il n’y a eu aucun triomphalisme, et, au contraire, beaucoup de sobriété : c’est très normal. D’une certaine manière, c’est maintenant que le vrai combat va commencer, l’élection qui vient d’avoir lieu n’ayant été qu’un prologue. 

L’enjeu, le vrai, l’essentiel, ce sera novembre 2012. Ou bien Barack Obama rétablira sa position, aujourd’hui très compromise, et parviendra à se faire réélire, et en ce cas, tout indique qu’il fera tout ce qu’il peut pour faire passer le reste de son programme, et pour tenter de « changer radicalement les Etats-Unis » et les détruire. Ou bien Barack Obama ne fera qu’un seul mandat et repartira chez lui en janvier 2013.  

Les deux années à venir sont à  lire à la lumière de cet enjeu. Les Républicains, même s’ils avaient obtenu la majorité au Sénat, ne pourront faire passer aucune loi et aucun projet, car Obama disposera d’un droit de veto dont il usera. Ils peuvent juste freiner la mise en œuvre des projets déjà enclenchés, refuser de voter des dépenses et des projets démocrates supplémentaires. Ils peuvent aussi donner de la voix. Ils auront un rôle majeur dans la définition du budget qui sera présenté à l’automne 2011, et devront trouver un point d’équilibre leur permettant de ne rien céder et, en même temps, de ne pas risquer d’être présentés comme une force d’obstruction.  

Aussi faible soit leur pouvoir réel, ils devront justifier la confiance qui leur a été accordée. La population américaine a bien moins voté pour eux qu’elle n’a voté contre les démocrates, et contre tout ce qu’a fait l’administration Obama jusqu’à présent. Ils devront montrer qu’ils incarnent l’espoir et le futur, et qu’Obama incarne l’échec et le désastre.  

En freinant la mise en œuvre de la loi sur la santé, ils devront proposer une alternative, qui sera celle qu’un Président républicain mettra en œuvre à partir de 2013. Et cette alternative existe : renforcement de la liberté de choix et de la concurrence entre assurances, diminution des possibilités de saisir la justice et d’intenter des procès qui ont, ces dernières années, fait la fortune de milliers de « trial lawyers » et le malheur de milliers de médecins et d’assurés. Cette alternative doit être énoncée au Congrès et devant l’opinion.   

En revenant sur la loi sur la finance, et en freinant sa mise en œuvre, là encore, ils devront proposer une alternative aussi, et expliquer en quoi cette loi est nuisible pour l'économie américaine et pour les investissements.  

En refusant de voter des dépenses supplémentaires, ils ne devraient avoir aucun mal pour expliquer que toute dépense de plus effectuée par le gouvernement alourdira les déficits, endettera le pays et hypothèquera son avenir.  

En établissant le budget, il leur faudra insister sur la nécessité de maintenir le budget de la défense, et de faire des coupes ailleurs. Il leur faudra mettre à nu cette perversion du langage par laquelle Obama et les démocrates aujourd’hui rebaptisent « investissements » les dépenses du gouvernement, comme si celui-ci était une entreprise dont tous les citoyens seraient les employés. 

Il leur faudra, très vite, batailler sur le front des impôts et taxes : Obama va sans aucun doute se dire « favorable » au maintien des baisses d’impôts pour les classes moyennes, tout en se disant favorable à une hausse d’impôts sur les plus riches, qui sont aussi les investisseurs et les entrepreneurs. Et il proposera un ensemble ficelé à l’avance, attendant que les républicains disent qu’il faut maintenir les baisses d’impôts pour tout le monde et se « démasquent » comme les politiciens des « riches ». Ils devront défaire l’ensemble ficelé et revenir aux principes de l’économie de l’offre : les capitaux d’aujourd’hui sont l’investissement de demain et la croissance et l’emploi d’après demain.  

Un autre ensemble bien ficelé devrait suivre, venant de la Maison Blanche : il comprendra sans doute des « investissements dans les énergies propres » accompagnés d’autorisations parcimonieuses d’exploitation des ressources pétrolières et gazières du pays. Les Républicains devront là aussi défaire l’ensemble qu’ils recevront, insister sur les nécessités d’avoir recours aux ressources énergétiques du pays, et montrer que les « investissements »  proposés sont coûteux, sans avantages, et ont conduit, parmi d’autres facteurs, la Californie à la ruine.  

Il y aura bien d’autres pièges. Obama ne pouvant pas faire passer de lois nouvelles aura, sur un plan intérieur, pour objectif, de faire trébucher les républicains. L’objectif des républicains devra être que ce soit Obama qui trébuche, et qui apparaisse pour ce qu’il est. 

Obama, je l’ai déjà dit, aura davantage de marge de manœuvre en politique étrangère. Mais il n’aura pas du tout l’ensemble des cartes en main. Il ne pourra signer aucun accord international, aucun traité, sans avoir l’accord du Congrès, et on peut gager qu’il ne l’aura pas. Il ne pourra prendre aucune sanction qui n’aurait l’aval du Congrès.  

Les Républicains pourront faire entendre leur point de vue concernant l’Iran, et demander des comptes à Obama sur sa politique d’apaisement et de semi complicité. Ils pourront faire entendre leur point de vue sur la Russie, la Chine, le reste du monde. Même s’ils ne peuvent prendre de décisions. Ils pourront faire entendre leur point de vue concernant Israël. Obama sera tenté d’avancer à sa manière vers la « paix » : les Républicains pourront rendre son avancée plus compliquée, puisqu’ils tiendront les cordons de la bourse. Netanyahu va avoir davantage de marge de manœuvre lui-même, puisqu’il y aura au Congrès, davantage d’amis d’Israël. 

Les deux années qui commencent vont être, décidément, passionnantes. Elles vont être périlleuses et difficiles. John Boehner, en prononçant son discours de remerciements le soir de l’élection, avait les larmes aux yeux : non pas tant parce qu’il était ému, mais parce qu’il mesurait l’immensité de la tâche, et son extrême complexité.  


Je n’ai pas à changer une ligne de ce que j’écris dans « La résistible ascension de Barak Obama ». L’homme qui est à la Maison Blanche est un idéologue et un extrémiste. Il n’a renoncé à rien, et surtout pas à briser les reins des Etats-Unis et ceux d’Israël. Il ne changera pas de cap ou d’objectif.  

Il ne s’attendait pas à semblable résistance, non. Il ne s’attendait pas aux « tea parties ». Il mise tout désormais sur le premier mardi de novembre dans deux ans, et entend tout à la fois pousser les Républicains à la faute, et s’attribuer les bénéfices de tout résultat qui s’avérerait positif. Son discours et sa conférence de presse le 3 novembre ne peuvent tromper personne : les Américains sont impatients et frustrés de ne pas voir encore de résultats, a-t-il dit. C’est faux : les Américains ne veulent pas de la politique menée, et discernent que la situation actuelle est le résultat de cette politique. Les Américains n’ont pas encore compris, a-t-il ajouté. C’est faux encore. Les Américains, en leur majorité, ont très bien compris. Ils ont tellement bien compris qu’ils ont voté pour dire « non ». Et ils attendent des Républicains qu’ils inversent la tendance, et arrêtent le train fou lancé par Obama.

Obama a précisé qu’il était prêt à travailler avec les Républicains. C’est faux, toujours : ou disons qu’il est prêt à travailler avec les Républicains comme un chasseur est prêt à travailler avec ce qu’il espère être sa proie. Aux Républicains de ne pas être la proie, et de montrer au chasseur que sa poudre est humide et sent le moisi. Certains démocrates du Congrès, sachant qu’ils doivent repasser devant leurs électeurs dans deux ans, pourraient voter avec les Républicains.  

Ceux qui ont suivi les résultats à la télévision française n’ont, bien sûr, pas pu comprendre quoi que ce soit. La France est d’ores et déjà dans l’état de destruction vers lequel Obama veut conduire les Etats-Unis. Les diverses chaînes, y compris celles du câble, avaient fait un effort particulier : cent pour cent des commentateurs tenaient un discours démocrate, et semblaient avoir reçu les questions et les réponses en direct de l’entourage d’Obama. Peuvent-ils faire mieux la prochaine fois ? Est-il possible d’aller au delà de cent pour cent ?

Je n’étais invité nulle part, bien sûr. J’ai tant de défauts : je connais les Etats-Unis. Je connais l’administration Obama si bien qu’elle me fait horreur. Je connais les Républicains et les « tea parties ». Il valait mieux inviter, effectivement, des gens qui, s’ils avaient commenté la vie soviétique, et si l’URSS existait encore, auraient mérité de recevoir collectivement le prix Lénine, pour leurs bons et loyaux services. En dehors de moi-même, il y avait à Paris des Républicains : mais ils ne pouvaient être invités puisqu’ils étaient républicains. Il y avait des connaisseurs lucides des Etats-Unis, tels mon amie Anne-Elisabeth Moutet : mais ils ne pouvaient être invités non plus. Ils risquaient de s’éloigner de la ligne du parti unique. Pauvre pays….

 

Guy Millière

 

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