Publié par Jean-Patrick Grumberg le 15 janvier 2011

 



Dans un câble de l'Ambassade des Etats Unis en Tunisie de juillet 2009, divulgué par Wikileaks, et dont le titre prémonitoire était : "La Tunisie dans la tourmente, que devons nous faire ?", on pouvait lire l'analyse suivante :

"Malgré les progrès économiques et sociaux de la Tunisie, la liberté politique est très faible. La Tunisie est un Etat policier, il y a très peu de liberté d'expression ou d'association, et de sérieux problèmes de droits de l'homme. Le gouvernement tunisien peut faire valoir les quelques progrès politiques de ces dix dernières années, comme par exemple la disparition du contrôle des livres importés, et l'accès de la Croix Rouge Internationale à de nombreuses prisons. Mais pour chaque pas en avant, il y en a un en arrière, comme par exemple la confiscation de plusieurs médias par des proches du Président Ben Ali.

Le problème est clair : La Tunisie est dirigée par le même Président depuis 22 ans. Il n'a aucun successeur. Et même si le Président Ben Ali mérite qu'on le crédite d'avoir continué à instaurer de nombreuses règles progressistes initiées par le Président Bourguiba, lui et son régime ont perdu le contact avec le peuple tunisien. Ils ne tolèrent aucun conseil ni aucune critique, que ce soit sur le plan intérieur ou extérieur. Ils comptent de plus en plus sur la police pour contrôler et concentrer leur pouvoir. Et la corruption, dans le cercle intime du Président se développe. Même le tunisien moyen sait cela, et le flot des récriminations se fait de plus en plus audible. Les Tunisiens détestent Leila Trabelsi et sa famille. En privé, les opposants au régime se moquent d'elle ; même les gens près du pouvoir critiquent son comportement. Pendant ce temps, la grogne monte à cause du taux de chômage élevé et des inégalités régionales. Par conséquent, les risques d'instabilité sont forts et ils augmentent."

 

On se souviendra aussi de la mise en garde faite récemment par Julian Assange : "je vais bientôt publier des documents qui vont renverser les royaumes des pays arabes" 

 

Dans les rues de Tunis, c'est le calme total, la police a remplacé l'armée. Tout déplacement de groupes de plus de trois personnes est interdit. Des hélicoptères ont survolé Tunis toute la nuit pour tenter de freiner les pilleurs et les bandes, qui se sont déchaînées : vols, viols, violences. La propriété de Ben Ali a été une des premières visée, des bandes de pilleurs ont emporté téléviseurs, DVD et gadgets tandis que la police, de l'autre coté de la rue, ne bougeait pas.

Le reste du monde arabe est en état d'observation. En Libye, des émeutes ont éclaté à Benghazi et à Sabha, et des manifestants ont saisi des appartements en cours de construction, pour manifester contre le coût prohibitif de l'immobilier. Gaddafi a donné l'ordre à la police de laisser faire, afin d'éviter que le pays ne s'embrase. Là encore, Facebook, twitter et les blogs, ainsi que al Zaeera ont bloqué toutes les tentatives de censure des médias officiels.

A Cuba, le gouvernement effrayé a totalement censuré l'information de la révolution pacifique tunisienne et de la fuite de Ben Ali, et là encore, c'est internet qui a permis aux cubains de suivre les évènements.

Sur les premiers tweets du matin, on peut lire « 1 down, 21 to go » (1 coulé, encore 21 à descendre), ou encore « the domino effect just started » « l'effet domino ne fait que commencer »

Ben Ali se trouve avec sa famille en Arabie Saoudite où il a été accueilli par le roi. Il était bien attendu en France, car plusieurs sources révèlent que les policiers étaient en poste hier en fin de journée, dans les rues autours de l'aéroport où devait atterrir Ben Ali. On peut imaginer que plusieurs de ses fidèles amis, en France, et l'on songe au maire de Paris bien entendu, lui ont conseillé de ne pas demander l'asile politique en France, pour la simple raison que l'avenir de la Tunisie étant à écrire, le gouvernement français ne pourrait pas refuser, avec sa très importante population immigrée, et si Tunis le lui réclame, d'extrader Ben Ali pour le juger. Certains sources affirment que Ben Ali ait tenté de faire le forcing des français, ce qui a encouragé le porte parole du gouvernement de faire une déclaration tant d'apaisement vis à vis des arabes de France que d'avertissement à Ben Ali, qu'en cas de demande d'asile politique par l'ex président tunisien, Paris prendrait avis auprès des autorités constitutionnelles tunisiennes.

En apprenant que l'avion transportant Ben Ali a atterri à Jeddah, en Tunisie, on grince des dents : « c'est le monde à l'envers, sa femme Leila avec ses robes de couturiers et ses extravagances va devoir porter le voile ! ». Selon différentes sources, sa femme et son gendre seraient à Dubaï.

De nombreux observateurs ont noté l'absence des islamistes durant les derniers évènements. Aucun islamistes ne se trouvaient parmi les manifestants. « On a vu aucun slogan réclamant un Etat islamique, ni mentionnant l'islam politique ». « C'est une révolution pour la libération du peuple de ce régime autoritaire, et la présence de toutes les composantes de la société montre que les islamistes ne sont pas présents en tant qu'idéologie » explique un professeur, dans la rue.

La révolution tunisienne du 14 janvier 2011 a trouvé dans l'internet et twitter un allié solide. Alors que les journalistes se voyaient interdire l'accès à Sidi Bouzid, la petite ville d'où la guerre civile est partie, et que les médias, sous contrôle, parlaient de vandalisme et de terrorisme, les tunisiens communiquaient entre eux par Facebook, publiant des images et des vidéos qui relataient les événement sans aucune censure, et grâce à Twitter. C'est ainsi que d'un bout de la Tunisie à l'autre les tunisiens ont suivi le cours de évènements qui les encourageaient, localement, à étendre le mouvement.

Il serait bien excessif de dire, même si certains journalistes créatifs ne manqueront pas de le soutenir, qu'il s'agit de la première « Twitter Révolution », mise à feu par Wikileaks et entretenue par Facebook, mais leurs contributions à sans aucun doute permis au peuple tunisien de contourner la censure, de s'informer en temps réel, et a joué le rôle d'accélérateur.

On ne peut s'empêcher, d'ailleurs, et toutes proportions gardées, de faire un parallèle avec la France, où la censure et la manipulation de l'information par les médias sont très fortes, voire totales sur les sujets sensibles. A la différence de la Tunisie, les français, dans leur ensemble et dans tous les milieux sociaux, ont une assez forte confiance dans l'autorité et la véracité de la chose écrite, et plus encore de la chose vue au JT. La France a su être assez rusée pour maintenir sa longue tradition du fou du roi qui seul pouvait dire les vérités qui s'imposent, ce qui explique la tolérance d'un Ivan Rioufol, d'un Eric Zemmour (à condition qu'il n'aille pas trop loin dans la révélation des faits), et autres Guignols de l'info. En France, l'information et la liberté d'expression ne circulent que sur Facebook et sur les blogs.

Jean-Patrick Grumberg

Wikileaks : http://www.guardian.co.uk/world/us-embassy-cables-documents/217138

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