Publié par Guy Millière le 3 mai 2011

La mort d’Oussama Ben Laden est une excellente nouvelle. On peut dire que justice est faire, en partie tout au moins. L’homme qui a créé al Qaida et qui porte la responsabilité des trois mille morts du 11 septembre 2001, de la destruction du World Trade Center, de l’attaque contre le Pentagone et de nombreux autres attentats meurtriers n’est plus. Il a connu la fin qu’il méritait depuis longtemps. Pour que justice soit faite pleinement, il faudrait que les autres têtes pensantes de l’organisation soient elles-mêmes mises hors d’état de nuire, en particulier Ayman al Zawahiri.

On doit noter d’emblée certains détails très significatifs. Le premier est que Ben Laden ne se cachait pas dans les montagnes de la frontière, dans les zones tribales, mais résidait dans une banlieue chic d’Islamabad, capitale du Pakistan : ce n’était pas un homme traqué, mais un homme protégé. Il est impossible que le gouvernement pakistanais, l’armée et les services secrets du pays n’aient pas eu connaissance de l’endroit où il se trouvait et ne l’aient pas, de fait, protégé. Le Président pakistanais a dit que le Pakistan avait participé à l’opération contre Ben Laden. On peut raisonnablement penser que cela n’a pas été le cas. Le gouvernement américain dira que ce que dit le Président pakistanais est vrai pour lui permettre de sauver la face. Il n’empêche : le Pakistan est un pays qui aide le terrorisme islamique, et si quiconque en doutait, la preuve est là, flagrante.

Autre détail : ce qui semble avoir permis d’en finir avec Ben Laden est un ensemble de renseignements obtenus de prisonniers enfermés à Guantanamo. Ces prisonniers ont donné des indications sur la façon dont Ben Laden communiquait, par relais et messagers. C’est en suivant ces pistes que sa cachette a été découverte. L’utilité de Guantanamo et des interrogations qui y sont menées vient d’être démontrée, de manière flagrante. Le camp de Guantanamo a été créé par George Walker Bush, Obama voulait le fermer. La fin de Ben Laden fait partie intégrante de ce qu’on doit à la politique de lutte contre le terrorisme islamique mise en place par Bush.

Enfin, on aura davantage de détails bientôt : Ben Laden a été tué tandis qu’il utilisait comme bouclier humain une femme. Ce n’est pas une attitude démontrant un courage particulier, mais plutôt un comportement de lâche. C’est un point sur lequel il sera utile d’insister.

On doit, bien sûr, rendre hommage à  l’efficacité des Navy Seals qui ont mené l’opération, qui n’était pas facile, dans le territoire d’un pays étranger, avec discrétion, pertinence et bravoure. L’armée américaine, lorsqu’elle a la possibilité d’agir sans être entravée, reste la meilleure armée du monde. Au delà de l’hommage qu’il faut rendre, on peut penser que cela constitue, en soi, un message à toutes les organisations terroristes et à tous ceux qui voudraient frapper les Etats-Unis et le monde libre.  

On doit, hélas, noter aussi que des erreurs graves ont d’ores et déjà été commises, qui sont sans aucun doute liées à la gestion du dossier par l’administration Obama. Il aurait été mieux de prendre Ben Laden vivant et de le traduire en jugement après l’avoir fait parler. Une condamnation à mort et une exécution auraient suivi. Il semble que Ben Laden ne se soit pas laissé prendre vivant. Il se dit aussi que le commando avait l’ordre de le tuer et de s’emparer de son corps. Si l’ordre a été celui-ci, c’est un ordre qu’on peut considérer comme regrettable.  

Pour le moment, aucune photographie, aucune vidéo, aucune preuve visuelle indubitable de la mort de Ben Laden n’a été apportée, et c’est extrêmement dommageable. Si aucune preuve visuelle n’est apportée, la rumeur va se disséminer dans le monde musulman disant que Ben Laden n’est pas mort, et ces rumeurs vont courir. Si ces rumeurs courent, la faute de l’administration Obama sera lourde.  

Enfin, avoir décidé de faire disparaître immédiatement le corps de Ben Laden en le jetant à la mer vient s’ajouter à l’erreur précédente. Le corps aurait dû être vu, montré à des journalistes du monde entier. Ce qui semble avoir motivé l’administration Obama, là, a été de respecter les préceptes de l’islam. La Maison Blanche a fait savoir que Ben Laden a eu une cérémonie funéraire musulmane : son corps a été lavé par des musulmans avant d’être placé dans un linceul blanc et mis en mer dans le linceul. N’avoir pas montré le corps est aberrant. Avoir traité son corps selon les préceptes de l’islam est une façon d’être respectueux envers un homme qui ne méritait aucun respect. L’administration Obama reste, fondamentalement, dans une posture d’apaisement islamiquement correcte. Elle ne satisfait même pas les Musulmans : certains disent que le corps aurait du être enterré, d’autres que Ben Laden n’était plus digne d’être musulman, d’autres que c’est un martyr et qu’Obama est un hypocrite. L'apaisement marche mal.  

La déclaration d’Obama annonçant la mort de Ben Laden, sans photo, sans preuve visuelle n’a été dans ces conditions qu’une déclaration strictement verbale. En pareil cas, le Commandant en chef aux Etats-Unis donne en général plus de détails et, en général, quelques preuves.  

Le Commandant en chef s’adresse aussi au peuple américain, détail à noter, depuis le bureau ovale, pas depuis la salle des communiqués à la presse : Obama a choisi la salle des communiqués à la presse, alors qu’il n’y avait pas de presse, pour donner sans doute une dimension plus solennelle à son propos. La solennité dans le geste, la magnification de sa propre personne, et une déclaration sans preuve : c’est tout le style d’Obama. Et encore n’a t-on diffusé en France qu’un extrait de la déclaration : dans la version qu’ont vu les Américains, il y a tout un couplet sur le bleu du ciel, la fermeté d’Obama, le respect de l’islam par Obama, etc… 

Quelles seront les conséquences ? Sur un plan intérieur aux Etats-Unis, la cote d’Obama va monter sans doute. Mais cela ne devrait pas avoir d’incidence majeure sur l’élection de 2012, qui est trop éloignée dans le temps, et qui se jouera beaucoup sur l’économie du pays. La nouvelle va faire du bien au moral des Américains et de l’armée américaine, et c’est un élément positif.  Néanmoins, si le retrait d’Afghanistan s’opère et laisse la place aux talibans, la mort de Ben Laden ne pourra pas cacher ce qui sera un fiasco plus large.  

Sur le plan du terrorisme, on peut penser que les diverses branches d’al Qaida, qui a éclaté en de nombreuses succursales, vont vouloir agir et exercer des représailles, mais on voit difficilement ce qu’elles peuvent faire de plus que ce qu’elles font déjà. Le terrorisme islamique en tout cas reste vivant, prêt à frapper. Il est actif dans le Maghreb, en Somalie, au Yemen, en Libye, au Maroc, aux Philippines, en Thaïlande. Il dispose toujours de cellules en Europe et en Amérique du Nord. Hillary Clinton a dit que la guerre contre le terrorisme se poursuit, et c’est un fait. George Walker Bush a dit que ce serait une guerre longue et il avait pleinement raison.  

On peut penser qu’al Qaida a perdu son leader symbolique et que c’est un coup sévère qui lui a été porté, mais Ben Laden n’était plus le chef  des opérations. Ce rôle était assumé par Ayman al Zawahiri. Il est assumé aussi par Anwar al-Awlaki, un islamiste américain installé au Yemen et qui dirige al Qaida dans la péninsule arabique.  

On doit constater que l’étoile d’al Qaida avait pali ces dernières années, l’organisation ayant tué, ces dernières années davantage de musulmans que d’infidèles.  

On doit dire, enfin, qu’en désignant le terrorisme et al Qaida comme ses ennemis essentiels, l’administration Obama laisse l’arbre cacher la forêt. Le danger n’est pas seulement terroriste : il est dans la montée globale de l’islam radical dans le monde musulman. Et cette montée est lourde aujourd’hui de davantage de menaces qu’al Qaida. Ben Laden est mort, l’islam radical est vivant. Il ne faut surtout pas l’oublier.  

Un tout dernier point : George Walker Bush disait que sans Etats voyous, le terrorisme islamique ne pouvait fonctionner. Tout indique que la complicité du Pakistan dans la protection de Ben Laden renvoie à une implication plus large : al Qaida existe parce que des pays comme le Pakistan se conduisent en Etats voyous. Le plus grand Etat voyou aujourd’hui est l’Iran. Immédiatement après lui vient la Syrie. Vient ensuite le Liban sous la coupe du Hezbollah. Le Pakistan vient ensuite, seulement ensuite. L’Afghanistan, si on le laisse de côté, peut redevenir un Etat voyou. Le Yemen peut devenir un Etat voyou. La doctrine Bush manque beaucoup dans la guerre en cours.  

La doctrine Obama détricote les effets de la doctrine Bush et désagrège ses principes essentiels : elle laisse les Etats voyous tranquille ; elle permet même que d’autres s’ajoutent à la liste.  

La donne, dans le monde musulman, tout particulièrement dans le monde arabe, n’a pas du tout changé.  

Mon hypothèse dès lors : Obama va retirer les troupes d’Afghanistan. Il va souligner sans cesse qu’une victoire majeure a été remportée avec la mort de Ben Laden. Il va tout faire pour s’entendre avec les Frères musulmans et autres « islamistes modérés ». Il va laisser l’Iran asseoir son hégémonie régionale. Il n’a pas du tout renoncé à rendre le monde plus sûr pour l’islam radical, pourvu que celui-ci ne choisisse pas le terrorisme. Sous prétexte de « victoire » sur al Qaida et de « printemps arabe », je ne serais pas surpris s’il insistait pour dire que le dossier urgent à régler est plus que jamais le conflit « israélo-palestinien » et s’il redoublait d’ardeur dans ses pressions sur Israël. 

Guy Millière

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