Publié par Abbé Alain René Arbez le 31 mai 2011

Je publie ci-dessous une passionnante analyse de l'abbé Alain René Arbez (Genève) sur les liens entre Chrétiens et Israël. Dans le cadre de la société libre et laïque de culture judéo-chrétienne et de l'islam, cette analyse contribue au travail des idées et elle a toute sa place sur notre blog. Michel Garroté

Dans le monde catholique, Calvin est connu comme un réformateur déterminant, autant dans l’histoire genevoise, européenne, que dans des contrées plus lointaines, comme les Etats-Unis, et l’Afrique. Mais il est encore largement perçu en négatif. Les controverses concernent, on s’en doute, la question des sacrements, du ministère pastoral, et la régulation de l’autorité. Certes, nous sommes aujourd’hui dans l’après-concile Vatican II, et les abus que dénonçait Calvin avaient été reconnus, des changements considérables sont intervenus dans la pratique de l’Eglise. Il est clair que – d’un point de vue strictement catholique – Luther et Calvin ont fait émerger une contre-Eglise, une communauté de foi parallèle et donc coupée de cette colonne vertébrale successorale remontant à la période apostolique.

En réalité, si la Réforme a fonctionné si rapidement, en Allemagne puis dans la république genevoise, c’est parce que depuis des siècles, une forte aspiration à une conversion ecclésiale s’était exprimée au sein même de l’Eglise catholique. D’une manière ou de l’autre, avec ou sans scission institutionnelle, cette purification devait nécessairement se produire. Le besoin d’une clarification théologique dans la vie de foi est manifeste déjà dans l’Eglise médiévale et s’affirme avec la Renaissance. « Ecclesia semper reformanda » : le célèbre adage forgé au 15ème s. par le prêtre et théologien mystique Jean Gerson, vise à la fois la personne du croyant et l’institution ecclésiale. Des prédicateurs itinérants proclament la nécessité d’une « reformatio » de l’Eglise annoncée depuis le 13ème siècle.

Au moment du 5ème concile du Latran, Gilles de Viterbe, cardinal humaniste, connaisseur de la Bible, propose de réformer « homines per sacra, non sacra per homines », réformer les hommes par les choses sacrées, et non pas les choses sacrées par les hommes. Cependant, Erasme se dit déçu du peu de résultats obtenus concrètement après les décisions du concile du Latran. C’est dans un climat déjà acquis à l’urgence d’un profond changement des idées et des mœurs que prend tournure le mouvement de réforme initié à Erfurt par Luther et revisité depuis Genève par Calvin.

Il n’est pas si simple de se plonger dans les mentalités de ces temps mouvementés. Les esprits sont troublés par d’innombrables tragédies ; à cette époque où la vie humaine apparaît dans toute sa fragilité, la quête du sens et du salut éternel est contrariée par les déviances de certaines pratiques ecclésiales où il est bien difficile de discerner la foi et la superstition.

Qui ne reconnaîtrait pas comme prophétique la passion qui saisit Calvin d’évangéliser la piété des masses et de démystifier sans retenue les dévotions qui cachent au peuple l’essentiel de la foi ? La source de cette intransigeance purement spirituelle provient de sa relation fervente à la Bible (ancien et nouveau testament), ce qui fait de lui le « professeur ès saintes écritures » aux exigences radicales. Il devient un humaniste critique qui ne veut plus s’en laisser conter de la part des prétentions humaines à régenter les choses divines à leur convenance.

Dans un climat philosophique antérieur plutôt anthropocentrique, Calvin ré-instaure de fait une logique théocentrique, à contre courant pour délivrer l’homme de ses illusions de puissance. L’aspect positif est ici la référence biblique (« A Dieu seul la gloire ! »). Le versant négatif en est le pessimisme excessif que cette posture va engendrer et qui fera de lui la caricature d’un rabat-joie.

En administrant un remède de cheval à l’Eglise pour la nettoyer de ses multiples déviances incontestablement paganisantes, Calvin devient un thérapeute de l’être humain dont l’intervention se veut bénéfique, certes, mais un thérapeute spirituel qui utilise le scalpel de la Parole de Dieu pour curer les âmes sans concession. Pourtant, on ne peut qu’apprécier cette sage proposition : « En connaissant Dieu, chacun peut mieux se connaître ». Il considère à juste titre les Ecritures bibliques comme le miroir éclairant des contradictions humaines et le manifeste évident du salut offert par Dieu en toute gratuité.

Mais influencé par St Augustin (resté imprégné de manichéisme) Calvin parvient à la conviction que l’être humain est profondément vicié par nature. Il est dommageable que son sens élevé de la transcendance de Dieu, facteur de rééquilibrage théologique bienvenu, l’amène à ce dualisme ravageur : « ou bien l’homme, ou bien Dieu ». Cette logique antagoniste inspirera jusqu’aux existentialistes du 20ème siècle !

Autre dimension essentielle de Calvin, à laquelle on peut adhérer avec reconnaissance, c’est sa relation innovante au judaïsme et à Israël. Il est de nos jours indispensable de prendre la mesure des découvertes exégétiques déterminantes réalisées depuis un siècle, avec la reconsidération de la judéité de Jésus et des apôtres, ainsi que des thématiques hébraïques du nouveau testament. Calvin était un visionnaire lorsqu’il enseignait l’unité de la Bible et la fraternité en alliance des juifs et des chrétiens. Etonnamment, c’est cette même affirmation que reprend le pape Jean Paul II à Mayence en 1980, lorsqu’il déclare « l’alliance avec Israël jamais révoquée ». Dans la même ligne que Calvin, et dans la logique conciliaire, il élimine ainsi toute théologie de la substitution.

Au regard des débats actuels sur l’œcuménisme, le grand mérite de Jean Calvin est d’avoir remis dès le 16ème siècle les chrétiens face à leur enracinement dans le patrimoine biblique et judaïque ; mais son témoignage nous appelle aussi à évaluer lucidement tout le travail à poursuivre dans les opinions chrétiennes encore perturbées par des siècles d’antijudaïsme et de marcionisme.

Ce retour aux sources communes reste la condition sine qua non pour une dynamique de progrès vers l’unité entre chrétiens qui ne se contente pas de gadgets œcuméniques. Aujourd’hui les catholiques partagent avec les protestants une même référence vitale à la Parole de Dieu – ancien et nouveau testament – on mesure le chemin parcouru depuis la proclamation du « sola scriptura » et les polémiques qui s’en suivirent !

En revanche, des pas audacieux restent à faire, semble-t-il, en raison de la radicalité réformatrice de Calvin : en voulant simplifier au maximum par souci de purifier l’Eglise de toute déviance humaine et ainsi retrouver les débuts supposés limpides de l’équipe apostolique, Calvin a, de ce fait, privé sa communauté de supports spirituels, ce qui cérébralise les liturgies réformées. La tendance s’est par la suite amplifiée lors du passage du protestantisme par les Lumières et la surévaluation de la raison, génératrice de courants divers.

Il semble qu’au final, la tradition issue de Calvin se soit quelque peu éloignée de l’inspiration première du réformateur. Les médiations restent sous-estimées, l’aspect sacramentel est toujours réduit à sa plus simple expression, et le lien des pasteurs à leur Eglise s’est fragilisé. Quoi qu’il en soit, protestants et catholiques ont aujourd’hui de solides références bibliques communes pour s’enraciner ensemble dans le terreau judaïque et répondre ainsi d’une même voix aux terribles défis qui nous attendent face à l’islamisation croissante de l’Occident.

La montée de la visibilité islamique dans nos contrées s’accompagne du grignotage rapide des acquis civilisationnels judéo-chrétiens. Mais le problème le plus urgent est celui de l’antisémitisme musulman, allant de pair avec la délégitimation d’Israël. Amplifiant ce phénomène, on a d’une part un protestantisme anti-israélien actif au Conseil œcuménique des Eglises et de l’autre, des courants catholiques orientaux engagés à ranimer l’antijudaïsme primaire au sein des milieux d’Eglise. Le clivage ne sera donc pas entre catholiques et protestants, mais entre chrétiens amis d’Israël et adversaires.

Abbé Alain René Arbez, Genève

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