Publié par Abbé Alain René Arbez le 6 août 2011

 

RELATIONS JUDEO-CHRETIENNES

QUEL DIALOGUE AVEC L’ISLAM ?

Par l’Abbé Alain René Arbez

Dans l’Eglise catholique romaine, les relations entre chrétiens et juifs font partie de la logique de l’œcuménisme. On peut même dire que sans cet enracinement biblique et ce retour aux sources communes, la réalisation de l’unité des chrétiens serait condamnée à l’échec. Mais l’identité chrétienne en a besoin également pour se hasarder dans les dédales du dialogue interreligieux, en particulier avec l’islam. Ce n’est pas un hasard si, au Vatican, c’est le même dicastère pour l’œcuménisme qui encadre les relations entre catholiques, protestants et orthodoxes (même religion chrétienne, traditions différentes) et les relations entre chrétiens et juifs (même référence à l’alliance, traditions religieuses différentes). Quand on sait que le terme oekumene dans le monde grec signifiait « l’assemblée universelle », on est donc bien orientés dans l’axe de critères fondamentaux semblables entre chrétiens et juifs, puisque la qehila en hébreu s’applique à « l’assemblée convoquée par le D.ieu d’Israël », puis à la primitive Eglise, branche dissidente « messianique » originellement composée de membres de culture hébraïque.

Or, notre époque politiquement correcte, friande de concepts fourre-tout, a tendance à utiliser abusivement le même terme d’« œcuménisme » pour tout et n’importe quoi, au nom d’un multiculturalisme idéalisé ; et, précisément, c’est souvent le cas lorsqu’il s’agit de manifestations ou de rencontres composées de chrétiens et de musulmans, ce qui laisse croire à une appartenance commune entre l’église et la mosquée totalement fictive. Ce contresens se nourrit de l’illusion encore bien répandue – et parfois entretenue – qu’au fond c’est du même Dieu qu’il s’agit de part et d’autre, comme si le coran n’était qu’une variante de la bible, comme si Jésus était le porte-parole d’Allah. Les médias nous parlent souvent des « trois monothéismes » pour faciliter l’amalgame ou encore des « religions abrahamiques » comme si l’on parlait du même Abraham, quand ce n’est pas des « religions du Livre », expression pourtant spécifiquement islamique.

 

Or, la problématique des liens entre chrétiens et musulmans ne relève pas de l’œcuménisme – qui suppose un noyau dur identique – mais de l’interreligieux, concept self service, il est vrai, et à géométrie variable. D’où proviennent ces confusions entre œcuménisme et interreligieux, avec ces fausses symétries trahissant des complaisances objectivement suicidaires ? Pour en faire l’historique, remontons aux années 60, berceau des idéologies qui ont accompagné la période de la décolonisation, de la croissance, et d’une certaine modernité. L’Eglise n’échappait pas à cette pression des événements lorsque fut convoqué le concile Vatican II par le pape Jean XXIII. C’est dans ce climat conjoncturel, au nom d’une générosité « d’ouverture », et d’un souci volontariste d’aggiornamento, que le Concile voulait encourager les esprits à dépasser le traditionnel ecclésio-centrisme pour prendre en compte tout ce qui est vrai et bon chez les autres courants de pensée (cf Lumen Gentium, 1965).

La rédaction de la déclaration Nostra Aetate fut laborieuse, en raison de protestations de patriarches moyen-orientaux allergiques à une réconciliation judéo-chrétienne. Centré au départ sur une relation judéo-chrétienne réactivée, le texte remanié se contentait au bout du compte, et de manière plus générale, d’inviter les catholiques à accueillir comme signe de l’Esprit l’expérience religieuse des autres croyants. S’il rouvrait en tout état de cause la voie longtemps bloquée des relations fraternelles entre chrétiens et juifs, le Concile laissait, par le style adopté, s’établir la possibilité d’une symétrie ambiguë inscrivant quasiment sur le même plan le dialogue avec les musulmans. Cette manière prudente, plus sociologique que théologique, de poser le problème allait engendrer des malentendus à n’en plus finir parmi les chrétiens, auxquels le Magistère ne fournissait pas l’ancrage spirituel indispensable ni les garde-fous précis pour se lancer dans une aventure aussi risquée. De plus, la théologie catholique du judaïsme encore balbutiante n’offrait pas de structures de pensée reflétant suffisamment l’histoire respective des deux courants issus du même tronc hébraïque.

 

Heureusement, par la suite, sous le pontificat de Jean Paul II, des documents officiels viendraient combler en grande partie ces manques de clarté en ce qui concerne le lien vital et irréversible entre judaïsme et christianisme, mais l’élan initial de Nostra Aetate formulé de manière angélique avait quelque peu brouillé les cartes et laissé libre court à des perspectives équivoques dans la relation au monde musulman, lui-même en effervescence. Pour ce qui touche à la question de l’islam, dans le monde catholique, le danger était bel et bien de passer d’une attitude d’ouverture et de bienveillance à un comportement de complaisance et de compromission. Rappelons-nous la rencontre islamo-chrétienne de Tripoli (Lybie) en 1976, où Kadhafi profita des bonnes dispositions des participants chrétiens  pour appeler tout le monde à se convertir à l’islam.

Autre repère essentiel dans le débat, la rencontre d’Assise en 1986, à l’initiative du pape Jean Paul II. Là aussi les malentendus furent considérables et le message fut brouillé. Les quelque 100 dignitaires religieux de toutes appartenances avaient répondu présents à cet appel du pape à manifester une attitude commune de dialogue respectueux dans une sorte de concert pacifique des religions. Beaucoup en déduisirent que Jean Paul II avait prié avec les musulmans, et qu’ainsi une caution chrétienne était apportée à la validité spirituelle de l’islam, religion montante. Or, le pape avait prié à côté des musulmans, chacun selon sa foi, ce qui est sensiblement différent. Il ne se voulait pas plus proche des imams sunnites du Caire que des shamans indiens du Dakota.

Sans doute le quiproquo est-il là encore fondé sur le fait que le Concile n’avait évoqué que des relations positives à établir entre catholiques et musulmans, et non pas une relation théologique entre christianisme et islam. Ce n’est pas parce que naturellement la dawa exige d’islamiser le monde et donc aussi le christianisme que les chrétiens doivent se fabriquer à tout prix une idée chrétienne de l’islam. De nombreux militants chrétiens s’imaginent en effet retrouver dans l’islam leurs propres valeurs, en toute sincérité mais en totale incompétence. Car les termes-clés en arabe de la religion de Mahomet ne peuvent pas trouver d’équivalent dans le registre judéo-chrétien, l’islam ne se situant pas sur le terrain biblique. Peu de chrétiens sont conscients du sens de l’expression « Allah ou akbar clamée lors de l’appel à la prière mais aussi lors d’assassinats ou d’attentats. Cette phrase répétitive ne signifie pas de manière bucolique « Ah ! Que Dieu est grand ! », mais de manière polémique : « Allah est le plus grand ! », ce qui est évidemment une revendication à placer l’islam comme supérieur à toutes les autres croyances. « Vous êtes la meilleure communauté au monde ! » dit le coran aux musulmans. C’est cette visée qui les incite à construire des minarets plus élevés que les clochers des églises ou à imposer leurs coutumes en terres anciennement chrétiennes.

 

Peu de chrétiens savent que la profession de foi musulmane, la chahada, (ashadu an la ilaha illa I-illah) est une expression négative. « Il n’y a pas de dieu si ce n’est Allah ». Cette négation affirmative est en fait une profession de foi exclusiviste : elle implique le rejet du polythéisme mais aussi et surtout celui de la foi trinitaire des chrétiens. Dénonciation méprisante des infidèles et des impies, puisque le plus grand péché pour les musulmans est le shirk, le fait d’associer à Allah un être humain, en l’occurrence Jésus. N’oublions pas que pour les juifs et les chrétiens, la bible est un ensemble d’écrits humains inspirés par Dieu. On peut donc décortiquer, analyser les textes, sérier les messages, les interpréter selon leur contexte et leur symbolique. Pour les musulmans, en revanche, le coran n’est pas un écrit humain. C’est la parole même d’Allah incarnée dans un livre sacré. D’où l’impossibilité absolue de critiquer la moindre virgule, de remettre en question la sourate même la plus effrayante ; car on peut commenter mais pas interpréter, sous peine de blasphème. A partir de quoi est instaurée la fixité définitive de la parole coranique, et par conséquent l’impossibilité congénitale de toute évolution ultérieure.

L’Ecriture Sainte des juifs et des chrétiens est considérée par les musulmans comme abrogée, dépassée. D’ailleurs les musulmans ne lisent ni la bible hébraïque, ni les évangiles. Car le coran est la vérité ultime, les juifs et les chrétiens étant accusés d’avoir falsifié les enseignements d’Allah dans leurs Ecritures. Le coran, qui loue le Miséricordieux mais ignore le mot « amour » s’ouvre par la Fatiha, une sourate considérée par la tradition islamique comme matricielle ; elle serait comme un résumé théologique. Or, selon une tradition millénaire, le verset 7 de cette sourate, après avoir dit tout le bien des vrais croyants, les musulmans, exècre deux catégories à bannir : les juifs « ceux qui sont l’objet de la colère d’Allah » (al-magdubi ‘alyhim) et les chrétiens « ceux qui se sont dévoyés loin de sa volonté » (ad-dalin).

Les chrétiens qui se réjouissent un peu vite de retrouver Jésus et Marie dans la religion islamique devraient y regarder à deux fois. Car cette Myriam, même si elle est vierge, est la sœur de Moïse ; et ce Jésus appelé Issa n’est pas celui de la foi néo-testamentaire issue de la Bible : Issa ibn Myriam est un bon musulman, un prophète de l’islam dont les hadiths nous disent qu’il viendra à la fin des temps pour « briser les croix, tuer les porcs et instaurer la seule vraie religion, celle d’Allah » (Abou Dawoud). Il éliminera les juifs et les chrétiens pour purifier le monde de tout obstacle impur au règne d’Allah. Ce Issa n’est pas le Jésus des évangiles. Il n’est pas mort sur la croix, nous dit le coran. Il n’est en tout cas pas un Fils de Dieu, puisque Dieu n’est pas père, et comme il n’y a pas de péché, il n’y a pas de rédemption ni de salut. On peut constater à quel point l’islam est diamétralement opposé au cœur du message chrétien et des références bibliques qui le sous-tendent. Pas d’alliance, pas d’amour, pas de péché, pas de rédemption, pas de salut, mais une loi, la scharia, c'est-à-dire des règles à observer pour ne pas fâcher le souverain céleste, inconnu, lointain, implacable. L’islam demande d’obéir, le christianisme demande d’aimer.

L’islamologue et islamophile Louis Massignon, référence des militants des relations islamo-chrétiennes, va même dans un moment de lucidité jusqu’à reconnaître que « la tendance générale de la théologie islamique va à affirmer Dieu plutôt par la destruction que par la construction des êtres » (L. Massignon, Passion). Alors, quel dialogue avec l’islam ? L’islam n’est pas demandeur de dialogue. Ce qui l’intéresse, c’est d’amener des chrétiens sur son terrain, et d’apparaître officiellement à leurs côtés comme une des grandes religions en Europe. Une chose est d’établir lorsque c’est possible des relations amicales et culturelles avec des personnes de confession musulmane, dans le respect mutuel des identités, une autre est de se fourvoyer avec des intentions louables sur des chemins de confusion où la taqqia est à l’affût.

Il n’y a pas de convergence théologique et spirituelle entre christianisme et islam. Le traitement réservé aux chrétiens dans de nombreux pays islamiques aurait déjà dû ouvrir les yeux des amateurs idéologiques de rapprochement artificiel.

Reproduction autorisée avec les mentions et le lien suivant :

© Abbé Alain René Arbez pour www.dreuz.info

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