Le frère aîné du pape
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Michel Garroté – Georg Ratzinger, frère aîné de Benoît XVI (alias Joseph Ratzinger), révèle ici, quelques anecdotes et quelques réflexions, qui permettent de mieux cerner la personne de l’actuel pape. Les extraits – adaptés, et, reproduits ci-dessous – de l’entretien de Georg Ratzinger avec ‘Welt am Sonntag’ resteront, je l’espère, comme un témoignage, à la fois plein de franchise, et, aussi, plein de simplicité (voir lien vers la source en bas de page).
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Georg Ratzinger : comme un air de famille.
Welt am Sonntag : Vous avez passé une partie de l'été à Castel Gandolfo. Comment va votre petit frère, avant le voyage qu'il va entreprendre en Allemagne ?
Georg Ratzinger : Il est normal, comme toujours. Je n'ai remarqué aucune différence majeure, sauf qu'il est aussi marqué progressivement par l'âge. La marche est apparemment difficile. La voix est aussi devenue un peu plus faible. C'est seulement intellectuellement qu'il n'y a absolument aucun relâchement.
Welt am Sonntag : Après son élection, vous ne décrochiez plus le téléphone quand il sonnait. Avez-vous aujourd'hui un "téléphone rouge" ?
GR : Oui, j'ai un téléphone dont lui seul connaît le numéro. Comme cela je sais toujours tout de suite quand c'est lui qui m'appelle.
Welt am Sonntag : Sonne-t-il souvent ?
GR : Plusieurs fois par semaine.
Welt am Sonntag : Appelez-vous encore Benoît XVI Joseph, ou Saint-Père ?
GR : Joseph, bien sûr, toute autre façon de procéder serait anormale.
Welt am Sonntag : Pouvez-vous encore plaisanter avec votre frère comme dans le passé ?
GR : Non, nous ne plaisantons plus. Cela ne correspond plus à notre âge. Nous échangeons nos pensées et nos souvenirs, nos réflexions, mais plus de plaisanteries, non.
Welt am Sonntag : Pouvez-vous vous rappeler votre dernier rire commun ?
GR : Autour d'une table, il arrive encore, bien sûr, que quelqu'un raconte une bonne blague. Cela arrive de temps en temps, on ne peut pas le dater. Là, par exemple, je me souviens d'une bonne blague. Puis-je la raconter rapidement ?
Welt am Sonntag : Je vous en prie.
GR : Il s'agit d'un personnage important de la CDU, qui a fait dans le temps un voyage aux Etats-Unis. Lors d'une réception, on lui présente Jackie Kennedy : "Kenn i di ? ", ("la connaissez-vous ?" en bavarois). Il répond du tac-au-tac : ‘Je ne crois pas, car c'est la première fois que je viens en Amérique’.
Welt am Sonntag : Très drôle. Avec votre frère parlez-vous en allemand ou en bavarois ?
GR : En bavarois. Notre langue maternelle n'est pas l'allemand, mais le bavarois, une langue indépendante, pour ainsi dire, à côté de l'allemand.
Welt am Sonntag : Quand avez-vous pensé, pour la première fois que votre frère était un génie ?
GR : Cela, je ne l'ai jamais pensé vraiment. J'ai vu dès le début, bien sûr, qu'à l'école, il était de loin la meilleure tête, et qu'il distançait tout le monde de beaucoup. Qu'il était "fei recht g'scheit" (vraiment doué)comme on dit en Bavière, toutes les personnes qui l'ont côtoyé depuis l'enfance en ont fait l'expérience. Qu'il a un don de compréhension extraordinaire, c'était déjà connu à l'école primaire. C'était un élève pour qui les professeurs avaient toujours une grande joie à enseigner.
Welt am Sonntag : Vos parents se sont mariés le 9 Novembre 1920. C'est une date fatidique, dans la destinée du peuple allemand (9 novembre 1923, date du putsch manqué d'Hitler à Munich). Cette date a-t-elle joué un rôle particulier dans l'histoire de votre famille ? (Note de Michel Garroté – Ils se sont mariés en 1920 ; donc trois ans avant le putsch manqué de 1923…)
GR : Absolument pas. Durant longtemps, nous ne l'avions d'ailleurs pas remarqué. C'est seulement plus tard que le professeur de religion m'a fait prendre conscience que nous devrions célébrer cette date(Note de Michel Garroté – Pour des raisons n’ayant strictement rien à voir avec le 9 novembre 1923…). C'est une grande fête de l'histoire de l'Eglise, à savoir la consécration de la basilique du Latran en 324, "la mère et la tête de toutes les églises".
Welt am Sonntag : Regarde-t-il les actualités? Allemandes ou bien italiennes ?
GR : En général une fois par jour. À huit heures du matin, il a déjà écouté les nouvelles italiennes, entre temps, parfois les allemandes, qui sont généralement plus condensées. Il combine cela, italien ou allemand. Il arrive parfois que ce soit annulé, parce que quelque chose se passe. Mais il lit l’Osservatore Romano et d'autres journaux et parcourt même la presse locale de chez nous.
Welt am Sonntag : Comment fait-il pour abattre cette énorme quantité de travail ?travaille-t-il jusque tard dans la soirée ?
GR : Il a toujours travaillé énormément. Mais après le dîner, il ne travaille généralement plus. Il en a toujours été ainsi. Il peut se concentrer énormément pendant la journée et travaille très vite et de manière très concentrée, mais il n'est pas un travailleur de nuit. Et avec l'âge, le rendement se réduit.
Welt am Sonntag : Vous étiez effondré, lors de son élection en 2005 ?
GR : oui, je l'étais, oui. (Note de Michel Garroté – Joseph Ratzinger, comptait prendre sa retraite, en Bavière, chez son frère aîné, Georg Ratzinger ; Joseph Ratzinger n’a pas imaginé un seul instant qu’il deviendrait Benoît XVI ; lors du dépouillement des bulletins de vote du Collège des Cardinaux électeurs, Joseph Ratzinger se prenait la tête entre les mains au fur et à mesure que son nom était prononcé).
Welt am Sonntag : N'êtes-vous pas encore plus effondré, vu la tâche qui est devant lui ?
GR : Pas vraiment. Je me suis réconcilié avec l'ensemble du "complexe". Il était clair dès le départ qu'une tâche immense allait lui tomber dessus. Et il était clair que nos relations allaient changer. Mais celui qui a ce devoir et qui a dit oui pour l'accomplir doit accepter cela.
Welt am Sonntag : A-t-il changé après son élection ?
GR : Il est toujours le même. Comme homme, il n'a pas changé. Il ne s'impose pas une conduite. Il essaie de ne pas modifier son comportement. Il n'endosse aucun rôle. Il ne porte pas de masque. Peut-être que le Saint-Esprit l'éclaire, quand il apparaît en public. Sinon, il est toujours l'homme aimable, sympathique, discret, qu'il a toujours été : cordial et très simple.
Welt am Sonntag : Déjà à quatre ans, il voulait être cardinal. Avait-il un plan de carrière ? Était-il ambitieux ? (Note de Michel Garroté – La première partie de la question est débile. Un enfant de quatre ans, fut-il très catholique, ne sait même pas ce qu’est un cardinal).
GR : Jamais, alors vraiment pas. En 2002, il avait espéré fermement prendre sa retraite. Il y avait si souvent pensé qu'il était arrivé à la dernière étape, auprès de la tombe des parents. Mais il a toujours été conscient de son devoir et il a toujours accepté de donner le meilleur de lui-même dans toutes les charges qu'on lui a imposées. Avec cela, il avait toujours des doutes sur lui, s'il était capable de réaliser de la meilleure façon ce qu'on exigeait de lui. Il faisait son possible pour honorer la confiance placée en lui.
Welt am Sonntag : N'a-t-il pas compté en secret sur l'élection comme pape ?
GR : Certainement pas. C'est complètement idiot, quand Hans Küng affirme qu'il a toujours cherché une position dans la hiérarchie ecclésiastique. Pour cela, je le connais trop bien. Il était convaincu de son don particulier pour enseigner la théologie et convaincu de la grâce de bien penser, de vivre sa foi. Il n'a jamais pensé aux honneurs. Pour lui ils étaient toujours déplaisants.
Welt am Sonntag : Il n'a pas aimé l'école maternelle, ni le pensionnat. Vivre en collectivité fut pour lui comme une torture. Comment vit-il aujourd'hui les rencontres de masses auxquelles il participe ?
GR : Mais c'est quelque chose de tout à fait différent. Il s'agit en gros de grandes célébrations eucharistiques. Là, tout prêtre préfère se tenir devant une communauté de croyants qui remplit totalement l'église, que devant deux personnes qui occupent les bancs. C'est donc quelque chose d'assez différent quand, comme enfant, on entre dans la cour d'école ou que toute la classe vous fait face. Et puis il faut tenir compte du fait que l'assemblée face à laquelle on se trouve est influencée de façon positive et veut voir dans l'évêque, dans le pape, le messager de Dieu. À travers lequel Dieu s'adresse à eux. C'est une situation totalement différente.
Welt am Sonntag : Souffre-t-il des attaques des médias ?
GR : Il est très sensible, mais sait aussi de quel côté les attaques viennent. Il sait ce qu'il y a derrière, ce qui les motive. Grâce à cela, il les surmonte avec plus de facilité. Et il est aidé, bien sûr, par l'énorme sympathie qui lui parvient continuellement.
Welt am Sonntag : Vous avez mentionné, de façon critique, un prêtre qui a dit qu'il ne voulait pas se laisser "brûler" (ndmg – au sens figuré) et vous avez dit à son sujet qu'il avait choisi le mauvais métier. Votre frère pense la même chose ?
GR : Je suppose, oui. Nous n'en avons pas parlé. Quelqu'un quiaffirme quelque chose comme "Je ne veux pas me laisser brûler",celui -là n'a certainement pas saisi le sens du ministère sacerdotal. L'Église en réalité vit grâce à des prêtres et des personnes, qui se laissent "brûler". Le monde se réchauffe au contact de prêtres, qui peuvent se "brûler". Que la faiblesse humaine soit également présente dans le prêtre, nous n'avons naturellement plus besoin de le démontrer ; de même que la réaction humaine naturelle de rébellion soit observée aussi chez les prêtres. Mais justement, pour nous, l'exemple du Christ est essentiel, car Lui s'est sacrifié entièrement pour nous. Le sens de la vie sacerdotale est la suite "radicale" du Christ.
Welt am Sonntag : Vous avez dit que beaucoup de gens – même les catholiques – à notre époque, pratiquaient plutôt une forme d'athéisme que la foi chrétienne. Votre frère pense-t-il que cette tendance peut être inversée ?
GR : Je n'ai pas parlé avec lui à ce sujet et je dois donc vous donner comme réponse mon avis personnel. Je crois que l'homme a toujours été dans une certaine opposition à Dieu qui nous a appelés. Et que cette opposition peut être encore constatée à tout moment et partout. Mais d'autre part, il y a ceux qui répondent "oui" à cet appel et donc il y a toujours, en présence,simultanément, les aspects négatifs et les aspects positifs.
Welt am Sonntag : Vous avez parlé de manière émouvante du retour de votre frère et de votre retour de la guerre. Quels autres événements vous ont touché à ce point ?
GR : Ce qui nous a touchés encore plus profondément, ce fut, bien sûr, la mort de nos parents et de notre sœur, et le fait que nous étions présents au moment de leur mort, dans notre communauté qui a été réduite. L'un après l'autre sort du cercle. Maintenant il n'y a plus que nous deux.
Welt am Sonntag : L'élection de votre frère en tant que pape n'a-t-elle pas été aussi émouvante ?
GR : On ne peut pas comparer. Cela se passait à un autre niveau. L'élection avait un statut complètement différent.
Welt am Sonntag : Quand il était petit garçon, votre frère pouvait rester assis dans l'herbe et cueillir des fleurs pendant des heures. Peut-il encore, aujourd'hui, se détendre autant ?
GR : Non, il ne le peut plus, du moins je crois que non. A l'époque, ce n'était pas non plus pendant des heures, mais il pouvait se passionner énormément pour les fleurs.
Welt am Sonntag : Peut-il encore se passionner ainsi ?
GR : Oui, il peut même être très heureux. C'est exact. Très spontanément. Pour de bonnes nouvelles, des fleurs ou de bonnes personnes, bien sûr d'une autre façon, et, à un autre niveau, si l'on peut dire. Il a été vraiment très heureux, quand j'ai aimé ses livres – et il m'a rendu heureux lorsqu'un CD de moi l'avait touché en particulier.
Welt am Sonntag : À quand remonte la dernière fois que vous avez essuyé la vaisselle avec votre frère ?
GR : Ça, je peux vous dire exactement. C'était à Pentling après Noël en 2005, quand nous avons dîné ensemble dans sa maison. Après, mon frère a lavé les assiettes, et j'ai essuyé la vaisselle, comme toujours.
Welt am Sonntag : Quand il était pape ? Il a été élu en avril 2005 !
GR : Non, pas en tant que pape, bien sûr. En 2004, il était venu, après Noël, comme cardinal, et il est resté jusqu'au 6 Janvier, jusqu'à l'épiphanie 2005. Ce fut la dernière fois.
Welt am Sonntag : Comment le voyez-vous aujourd'hui en particulier ?
GR : Il est exactement devenu ce en quoi il voyait être sa destinée, et ce qu'il a toujours voulu être : un bon professeur.
Welt am Sonntag : Qu'est-ce qui lui tient le plus à cœur, dans sa fonction ?
GR : Il doit bien sûr réagir à beaucoup de choses et de ce fait il est rarement libre. Le pontificat n'est pas déterminé par la volonté du pape. Mais il tient beaucoup à ce que la liturgie soit célébrée avec dignité et correctement. Car il n'est plus si facile de trouver une église où le prêtre célèbre la messe selon les règles de l'église. Beaucoup de prêtres pensent qu'ils doivent y ajouter des choses et en modifier d'autres. Mon frère, au contraire, veut une liturgie digne et bonne, qui touche l'homme comme un appel de Dieu (Note de Michel Garroté – Le frère du pape fait ici une importante précision : « Il doit bien sûr réagir à beaucoup de choses et de ce fait il est rarement libre. Le pontificat n'est pas déterminé par la volonté du pape ». Je ne vais pas développer ici. L’on notera, simplement, qu’une partie importante de l’emploi du temps d’un pape est remplie par des obligations diplomatiques, protocolaires et pastorales. C’est une réalité à laquelle un pape au 21e siècle n’échappe pas).
Welt am Sonntag : Qu'avez-vous en commun, vous et votre frère ?
GR : Tout d'abord, une orientation religieuse. C'est le sentiment fondamental qui nous porte tous les deux en tant que croyants, qui nous rend heureux, avant tout la croyance en la miséricorde de Dieu. Que cela se passe bien, pour les hommes à peu près de bonne volonté, c'est notre foi. Et c'est aussi pour nous une raisond'espérance. Nous pouvons voir : c'est là que nous allons. Pas vers un quelconque néant. Nous, nous allons vers la plénitude de la joie, là où il n'y a plus d'opposition. Cela nous remplit de joie. Et c'est valable pour nous deux. Lors d'une célébration eucharistique solennelle, cela se réalise déjà, dans une belle église, avec une belle musique, où la foule prie, où les gens sont entourés d'un silence qui n'est pas acheté ou commandé, mais d'un silence qui vient de lui-même, où tous les sens humains sont impliqués. L'œil, l'oreille, avant et après l'élévation, et puis aussi le sens de l'odorat, avec l'encens. C'est quelque chose qu'on ne peut pas rencontrer dans une quelconque fête populaire, même dans le cadre du plus beau concert profane.
Welt am Sonntag : C'est quoi le bonheur, pour vous ?
GR : C'est précisément cela. Cette plénitude, cet état de transport provenant d'ailleurs. Cet avant-goût du ciel dans un service solennel. Le bonheur, vous savez, c'est le pouvoir de prier Dieu !
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Texte original en allemand :
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http://www.welt.de/print/wams/vermischtes/article13611160/Der-Papst-kommt.html
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Version française :
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http://benoit-et-moi.fr/ete2011/0455009f1b06c3101/0455009f6707b8002.html
Vénérable Georg et saint Bernard