Publié par Michel Garroté le 4 novembre 2011

Michel Garroté – A Paris, la pièce de théâtre injurieuse, intitulée ‘Sur le concept du Visage du Fils de Dieu’, pièce de Romeo Castellucci, a donné lieu, à des manifestations pacifiques. Et comme cela se passe chez nos amis les Gaulois, la pièce de théâtre a – aussi – donné lieu à des divergences entre catholiques. Divergences qui – elles – ont été beaucoup moins pacifiques que les manifestations hostiles à la pièce de Castellucci. C’est, un peu, comme ce village d’Armorique au temps de l’occupation romaine. L’individualisme français aidant, certains ont profité de l’aubaine pour jouer les premiers rôles. Résultat : ce qui aurait dû se dérouler dans l’unité s’est réalisé dans la division. En France, l’unité des chrétiens n’est pas pour demain. Je publie ci-dessous un certain nombre de prises de positions sur la pièce de théâtre. En bas de page, j’ai ajouté quelques liens, vers les textes les plus polémiques, concernant les divergences entre catholiques français dans le cadre de cette affaire.

Sur le Forum catholique, l'abbé Grosjean, prêtre diocésain, s’explique à propos du bazar que sa position a provoqué (extraits) : "Tout ne doit pas être possible, sous prétexte de liberté d’expression, dans une société qui a besoin de retrouver la notion de respect pour que nous puissions vivre ensemble tout simplement. La violence de certains propos, ou de certaines réactions, peut s’expliquer par la colère ou l’incompréhension. Mais celles-ci ne peuvent cependant justifier certains propos ou accusations qu’ont subi ceux qui se démarquaient, plus ou moins adroitement, du discours majoritaire dans le milieu « catholique traditionnel ». On ne peut défendre « l’honneur de Jésus Christ » et traiter de « salope » une mère de famille, ou de « collabo » un prêtre, avec lesquels on n'est pas d’accord, oubliant qu’on partage à priori avec eux la même foi, même si on diverge sur les moyens de la vivre ou de la défendre".

L’abbé Grosjean ajoute : "Cette violence pose quand même réellement question, et risque fort de se retourner contre « la cause » défendue. Elle en a choqué profondément beaucoup, y compris de ceux qui n’étaient pas d’accord avec moi. Encore une fois, être persuadé de participer au bon combat ne légitime pas tout. La remise en cause que j’ai pu susciter, avec d’autres, même s'il ne faut pas en exagérer la portée, servira plus qu’elle ne risque de desservir les combats futurs. En effet, les réactions de chacun nous stimulent à approfondir notre réflexion sur la façon d’être chrétiens dans ce monde, tel qu’il est et non tel que nous pourrions le rêver", conclut l’abbé Grosjean.

Sur son blog, le catholique traditionaliste Bernard Antony écrit que (extraits) cette pièce "s’inscrit, je le pense, dans la grande offensive idéologique freudienne de l’art contemporain contre le christianisme et la conception de l’homme qui en découle. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de passer par le scatologique pour déboucher sur une pseudo-perspective eschatologique ! Le péché, l’horreur, la merde, le blasphème, les crachats sur le Christ, c’est en effet hélas une part de la réalité de l’humanité. Comme la partouze, la pédophilie, le sadisme que les autres spectacles (Sancta Suzanna, Crying body) ou encore l’atroce exposition de « L’Infamille » ont représenté dans toute leur crudité et cruauté. Mais peut-être n’ai-je pas su en effet les interpréter comme des incitations à une réflexion chrétienne sur la misère de l’homme et les souffrances du Christ. Je n’ai sans doute pas su les interpréter comme de sublimes représentations du mal et de la déchéance humaine. Je n’ai sans doute pas su voir que ces spectacles s’inscrivent dans une perspective d’éducation au beau et de christianisation du peuple. Je crois bien qu’il faudra m’imposer une spirituelle cure de rééducation culturelle et artistique", conclut Bernard Antony.

Sur Riposte catholique, Frédéric Espieux estime (extraits) : "Il est primordial de communiquer, dans la paix, et de rester unis. Chacun doit pouvoir donner son avis, librement, qu’il soit laïc ou Prêtre, sans être détruit par d’autres; afin de construire une action plus efficace car unitaire. La définition du blasphème nous est donnée dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique (CEC 2148). Le blasphème s’oppose directement au deuxième commandement. Il consiste à proférer contre Dieu – intérieurement ou extérieurement – des paroles de haine, de reproche, de défi, à dire du mal de Dieu, à manquer de respect envers Lui dans ses propos, à abuser du nom de Dieu. L’interdiction du blasphème s’étend aux paroles contre l’Église du Christ, les saints, les choses sacrées. On nous a accusés de démagogie, de malhonnêteté intellectuelle et de manipulation pour avoir décrit après les premières représentations la réalité abrutissante qui était mise en scène".

Frédéric Espieux : "Évidemment, quand les médias refusaient de venir sur place, puis quand les Forces de l’Ordre les ont empêchés de venir, comme lors de la rafle du 25 octobre à Cité, Castellucci pouvait s’en donner à cœur joie : odeurs, étalages qui se sont atténués avec le temps, preuve que notre action aura été utile. Les personnes ayant vu la pièce aux dernières représentations n’en auront donc vu qu’une « version dédiabolisée ». Par exemple, la scène montrant des enfants jetant des grenades sur le Christ a été momentanément supprimée après le festival d’Avignon. Cela ne démontre-t-il pas la gratuité de la scène des grenades ? N’est-ce pas la preuve que cette scène n’existe que pour choquer, puisqu’elle peut être supprimée sans que la pièce s’en ressente ? Que la performance de Castellucci est une accumulation gratuite de scènes provocatrices qui ne trouve de cohérence que dans l’abjection ?".

Frédéric Espieux : "Pour les non-convaincus, deux vidéos. La première est la scène qui a été supprimée avec les enfants qui jettent des grenades sur le visage du Christ. La deuxième, celle qui clôture le spectacle, donc qui synthétise et donne le dernier message de l’ensemble de l’œuvre: la souillure du visage du Christ. Selon des personnes qui sont allé voir la pièce, c’est à ce moment là que l’odeur de merde est diffusée. Y a-t-il, oui ou non, un voile qui recouvre à la fin le visage du christ avec une odeur de merde qui se répand dans la salle ? Même si, lors des dernières représentations, l’odeur a disparu. Y a-t-il, oui ou non, écrit « You are not my shepherd » (tu n’es pas mon berger) ? Même si le « not » est moins éclairé que le reste de la phrase ? Si la réponse à ces deux questions est oui, indépendamment de toute interprétation personnelle, alors il n’y a pas d’ambigüité sur le caractère blasphématoire de la pièce ; cela justifie notre action pacifique".

Frédéric Espieux : "On nous oppose les points de vue de personnes qui s’estiment plus réalistes car elles ont vu la scène. Soit. Alors lisez ce témoignage bouleversant d’un étudiant qui a vu la scène : « Le vieux passe derrière le portrait avec un bidon rempli de sa merde, puis une musique stressante se fait entendre. Là, la scène passe dans l’ombre faisant ressortir le portrait. Puis le Christ est déformé, Il se tord, puis des trous se font en haut du visage, et là de la merde coule, le recouvrant de haut en bas. C’est là que j’ai craqué, j’en ai pleuré pour être franc. Et j’ai été sorti. La phrase tu (n’) es (pas) mon berger arrive ensuite. Quelque soit l’interprétation qu’on en fasse, personne n’a le droit de couvrir de merde le visage du Sauveur. Qu’on ne me fasse pas croire que c’est un signe d’amour, ou juste un artifice pour faire ‘réfléchir’. Pour cela, il y a beaucoup d’autres moyens qu’un vrai artiste saurait utiliser ». La mobilisation menée ne doit pas être le siège de règlements de comptes. Nous ne sommes pas rattachés à une mouvance religieuse plus qu’à une autre, à une communauté plus qu’à une autre, à une association politique plus qu’à une autre. Nous n’acceptons donc pas qu’au nom de la bienséance on nous traite de fondamentalistes, d’intégristes ou d’extrémistes, ou qu’on nous compare à des jeunesses de Lénine, comme ça a été le cas. Nous agissons pour défendre le Christ. Alors ne perdons pas notre crédibilité en critiquant, à raison ou à tort, des prêtres ou des évêques qui n’ont pas compris ou adopté notre démarche", conclut, sur Riposte catholique, Frédéric Espieux.

Et puis, nous avons, côté église conciliaire, François Bœspflug, dominicain, professeur d'histoire des religions, interrogé (extraits) par le Le Figaro :

Le Figaro – Selon vous, la pièce de Romeo Castellucci est-elle christianophobe ?

François Boespluf – Apparemment, oui. Dans la mesure où elle s'en prend, explicitement, lourdement, péniblement, à l'une des figures majeures en lesquelles se synthétise le message chrétien, le visage du Christ. Selon tous ceux qui ont vu la pièce, c'est à ce point pénible que l'on peut comprendre les réactions de croyants. Néanmoins, je crois qu'il convient de dépasser le grief de « blasphème » adressé à la pièce. Selon moi, elle illustre à merveille un des caractères structurels de l'art contemporain, qui est beaucoup plus ambivalent que platement christianophobe. L'idée que la pièce se déroule devant le Salvator mundi d'Antonello da Messina dit plus qu'une banale agression. Elle dit une obsession, une fascination, une prise à témoin du Christ, du Sauveur. Notre époque, surtout depuis quelques décennies, est passée championne dans l'art de défigurer les icônes majeures du christianisme.

Le Figaro – Le christianisme est-il devenu la cible privilégiée des artistes ?

François Boespluf – Oui, sans doute. L'art contemporain est l'une des manifestations de la christianophobie. Pas la seule.  Encore faut-il préciser que ce n'est évidemment pas systématique. L'art sacré d'inspiration et de destination chrétienne poursuit sa route et continue de susciter des œuvres.

Le Figaro – Est-ce qu'il est mieux ou moins bien traité que les autres monothéismes ?

François Boespluf – Moins bien, c'est incontestable. Il a droit, pour ainsi dire, à un traitement de faveur. Imaginez qu'à la place du visage du Christ, comme décor d'une pièce de théâtre, figure celui de Moïse, de Mohammed ou de Bouddha. Ce serait un tollé immédiat. De toutes les religions, le christianisme est, sans conteste, la plus agressée. Et selon moi c'est normal. Cela tient au fait que le christianisme aime autant l'image, qui s'expose, que la personne, qui oblige", conclut François Boespluf.

L’ineffable Frédéric Mitterrand, ministre de la cul-ture sous le régime sarkozyque, a osé cet amalgame débile (extraits) : "Le Gouvernement a vivement dénoncé les intimidations dont a fait l’objet Charlie Hebdo, ainsi que l’incendie criminel de sa rédaction, dont le journal a été victime cette nuit. Ce sont des attaques intolérables contre la liberté d’expression, qui témoignent d’une confusion totale sur le rôle dévolu traditionnellement à la satire et à la caricature dans la presse française. Il n’y a pas de démocratie sans épreuve de l’irrévérence. Je condamne à nouveau devant vous, au nom du Gouvernement et avec la plus grande fermeté, ces agissements. Il appartient à l’État, donc à la police et à la justice, de faire respecter sans atermoiements les lois de la République. Pour l’intolérance et le non-respect d’un principe essentiel de notre république, les fondamentalistes se rejoignent. Ainsi, des groupuscules se revendiquant de la foi chrétienne perturbent actuellement les représentations du théâtre de la Ville. J’ai veillé personnellement à ce que leurs agissements soient empêchés, dès lors qu’ils risquaient de remettre en cause les programmes du théâtre. On notera qu’ils ont d’ailleurs été rejoints par des groupes salafistes (mdr), au prétexte que le Christ aussi était un prophète de la religion musulmane. Salman Rushdie et Taslima Nasreen seront toujours protégés dans le pays de la liberté. C’est bien de cela qu’il s’agit", conclut Frédéric Mitterrand.

Autre réaction coté catholique tendance traditionnaliste, avec Jeanne Smits (extraits) dans Présent : " ‘Qui me voit, voit le Père’, disait Notre-Seigneur, ‘en ce temps-là’ et pour tous les temps. Sur la scène de Castellucci, c’est la même chose. Le tableau d’Antonello da Messina en fond de scène renvoie à cette relation entre Père et Fils qui se joue, d’une manière abjecte, devant lui, entre le père incontinent, ricanant méchamment de ce qu’il fait subir à sa progéniture, et ce fils qui se révèle incapable de nettoyer la m… répandue sur scène. Image de la Création : d’un Dieu le Père qui répand le mal et la mort et assiste, impuissant et complice, à la déchéance finale de son œuvre. Entre eux – observait une auditrice de Radio Courtoisie – l’Esprit, symbolisé sur scène par les déjections du vieillard. Et de fait, Castellucci qui se vante de faire un théâtre « hors sens » a dit qu’au fond il voulait montrer « the spirit of the shit ». Cette idée d’un Dieu-Père nuisible, impotent et malveillant est celle que véhicule l’anti-culture de notre temps – on le retrouve, tel quel, dans un roman pour la jeunesse à succès de Philip Pullman (A la croisée des mondes). Elle est précisément celle de Castellucci dans sa pièce Gènesi, relecture de la Genèse où Dieu crée puis laisse son œuvre s’enfoncer dans le mal, le malheur, la mort. On retrouve sa fondamentale inversion dans sa trilogie sur la Divine Comédie, où le ciel est le lieu sans espoir où l’homme est confronté à l’ennui éternel de devoir louer Dieu, et l’enfer celui où, finalement, il lui est possible de conserver son identité et de s’exprimer. Quant à ceux qui doutent de ses intentions blasphématoires, je les renvoie au Ministre au voile noir (prochainement programmé en Italie), qui lors d’une précédente mise en scène montrait le héros, ministre du culte protestant, s’enfiler des éclats de verre dans l’anus en disant trois fois le nom de Notre Seigneur", conclut Jeanne Smits.

Bernard Debré, député UMP, analyse, d’une part, les caricatures de l’islam parues dans Charlie Hebdo ; et d’autre part, la pièce de théâtre ‘Sur le concept du Visage du Fils de Dieu’. Pour Bernard Debré, l’œuvre de Romeo Castellucci a des accents véritablement scatologiques et injurieux qui outrepassent les limites de la liberté d’expression. Comparant le traitement réservé à l’islam dans Charlie Hebdo avec celui réservé aux chrétiens dans la pièce de Castellucci, Bernard Debré estime qu’il y a une différence entre, d’un côté, l’humiliation scatologique qui est faite des images dans la pièce de Castellucci ; et d’un autre côté, des caricatures bon enfant dans Charlie Hebdo qui sont modestes et modérées, conclut Bernard Debré.

Michel Garroté, rédacteur en chef www.dreuz.info

[email protected]

Sur la guerre que les catholiques français se livrent entre eux au sujet de la pièce de théâtre :

http://www.ndf.fr/nos-breves/01-11-2011/impossible-disputatio

http://www.ndf.fr/poing-de-vue/01-11-2011/catholique-en-trois-actes

http://www.ndf.fr/poing-de-vue/01-11-2011/l%E2%80%99iconoclasme-contemporain-reponse-aux-abbes-grosjean-et-carriot-aux-dames-boutin-et-picard

http://www.ndf.fr/en-avant/01-11-2011/l%E2%80%99honneur-des-imbeciles

  

  

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