La sœur d’une de mes plus proches amies américaines est morte. Il y a plusieurs mois déjà. C’est un fait qui me touche profondément.
Je cherchais à trouver les mots pour en parler. L’assassinat récent de la jeune Agnès m’en donne l’occasion. L’une et l’autre affaires concernent le système de justice français et ses dysfonctionnements mortifères.
Il est de bon ton en France de mettre en question la justice américaine, je le sais. Mais la présomption d’innocence existe aux Etats-Unis, où nul ne peut être incriminé sans preuves claires et concordantes. Lors d’un procès, le jury doit se prononcer à l’unanimité, « au delà de tout doute raisonnable », et prendre ses décisions seul, sans la présence d’un juge pour orienter les débats.
Quand des preuves claires et concordantes n’existent pas, la personne incriminée est relâchée.
Quand des preuves claires et concordantes existent, par contre, la personne incriminée est condamnée et incarcérée pour une peine proportionnelle au crime commis.
En France, la présomption d’innocence n’existe pas ou seulement dans les mots. On peut être incriminé sans preuves claires et concordantes, sur l’ « intime conviction » d’un juge. Lors d’un procès, un jury peut se prononcer à la majorité, sans unanimité, sous l’influence d’un juge.
On peut incarcérer longuement, puis condamner des gens quasiment sans preuves.
On peut relâcher des gens que tout accable et les remettre assez vite, parfois très vite, en liberté, sans que la peine soit jamais proportionnelle au crime commis.
Quand une affaire comme celle d’Outreau éclate, quand un assassinat tel celui d’Agnès a lieu, on parle de réforme de la justice française, puis on oublie.
On oublie, en particulier, que dans ces conditions, des innocents croupissent et meurent en prison tandis que des coupables qui auraient mérité la perpétuité réelle, voire la peine capitale, sont en liberté, récidivent, et parfois tuent.
La sœur d’une de mes plus proches amies américaines est morte, disais-je. Il y a plusieurs mois déjà. Elle s’est suicidée. Dans une prison française. Tout indique qu’elle était innocente. Et c’est là que se situe tout le problème et toute l’horreur de la situation.
Mon amie américaine est née en France, y a vécu des années douloureuses, puis a quitté ce pays, il y a longtemps. Sa sœur l’a rejointe.
Sa sœur, qui s’appelait Fabienne, a décidé un jour de rentrer en France, sans savoir que son trajet serait sans retour.
La sœur de mon amie a vécu quelque temps avec un homme. Un jour, cet homme a été assassiné alors qu’elle était sortie. La police a trouvé « logique » de songer que, puisqu’elle vivait avec cet homme, elle était le principal suspect. N’ayant pas de témoin et pas d’autre suspect disponible, la police a fait passer la soeur de mon amie du statut de suspect à celui de coupable, sans la moindre preuve (mon amie a reçu une lettre de la police lui demandant sans la moindre circonlocution : « d’après vous, qu’est-ce qui a poussé votre sœur à commettre ce meurtre ? »).
La sœur de mon amie a été rapidement mise en examen. Un juge l’a écrouée aussitôt. Machinalement. L’instruction a été bâclée et à charge, seulement à charge, le procès aussi. La sœur de mon amie n’a cessé de clamer son innocence. En vain. Elle n’a pas supporté son incarcération. Elle n’a pas supporté de voir une enquête hâtive et bâclée, un juge si froid qu’il semblait être le clone du juge Burgot, des jurés pressés de retourner vaquer à leurs affaires personnelles, et peu concerné par le sort d’une femme qu’ils ne connaissaient pas.
Elle a écrit à sa sœur pour lui indiquer des indices présents dans le dossier, et que la police a laissé de côté : des témoins ont entendu des bruits de dispute pendant l’absence de la sœur de mon amie ; un mégot de cigarette, porteur d’ADN qui n’est pas celui de l’homme assassiné ou celui de la sœur de mon amie, a été retrouvé près du cadavre. L’arme du crime n’a pas été retrouvée.
Les indices étant présents dans le dossier, nul dans le système de la justice n’a jugé bon de rouvrir l’enquête, bien que mon amie ait tout fait pour cela, allant jusqu’à écrire au Ministre de la Justice, qui n’a pas daigné lui répondre. Nul ne s’est demandé pourquoi des indices présents dans le dossier, et à même de disculper la sœur de mon amie, n’ont pas été pris en compte pendant l’enquête et pendant le procès.
La sœur de mon amie a, plus tard, écrit à sa sœur, en lui faisant part de son désir d’en finir avec la vie. Mon amie a écrit à la prison. Sans recevoir la moindre réponse. Sans que la moindre précaution soit prise par la prison. Sans qu’on retire à la sœur de mon amie tout ce dont elle avait besoin pour se suicider. Elle n’a pas eu besoin de beaucoup, c’est vrai : un sac plastique qu’elle a enfilé sur sa tête, des morceaux de ficelle, des lacets.
Ce suicide me touche profondément, disais-je.
Je cherchais à trouver les mots pour en parler. L’assassinat récent de la jeune Agnès m’en donne l’occasion.
L’une et l’autre affaires concernent le système de justice français et ses dysfonctionnements mortifères. C’est clair et c’est accablant.
En France, la présomption d’innocence n’est qu’une expression sans signification. On peut être incriminé, incarcéré, mis en examen, condamné, sans preuves.
On peut même être jugé et condamné sans que des preuves à décharge soient prises en compte.
On peut se tuer en prison en disposant de ce qu’il faut pour cela, dans l’indifférence la plus glaciale.
On relâche, en parallèle, chaque année, des gens que tout accable.
On remet assez vite, parfois très vite, en liberté, des coupables qui auraient mérité la perpétuité réelle, voire la peine capitale.
Et ceux-ci, de façon régulière, récidivent, et parfois tuent.
Un violeur pédophile plusieurs fois condamné, voici quelques mois, s’est même fait prescrire du Viagra avant de sortir.
L’assassin de la jeune Agnès avait commis une agression sexuelle grave, et avait été remis en liberté presque aussitôt.
Des innocents n’ont, parfois, trop souvent, pas cette chance.
La peine de mort existe dans les trois quarts des Etats des Etats-Unis, frappe des assassins condamnés à l’unanimité du jury, « au delà de tout doute raisonnable », et se trouve appliquée après que tous les recours ont été épuisés. En France, la peine de mort n’existe plus officiellement. On condamne néanmoins à mort en France des innocents condamnés hâtivement, et tous ceux victimes d’assassins relâchés, au nom d’on ne sait quelle générosité pervertie.
Dans quel pays sommes-nous ? J’ai parfois peur de donner une réponse à cette question. J’ai surtout honte. Je ressens un dégoût absolu.
Mon amie est devenue américaine. Elle a quitté ce pays, il y a longtemps. Elle n’y rentrait plus, depuis des décennies, sans un profond malaise. Elle a perdu le goût d’y poser le pied, ne serait-ce qu’un seul instant. Je la comprends.
Reproduction autorisée, et même vivement encouragée, avec la mention suivante et le lien ci dessous :
© Guy Millière pour www.Dreuz.info
Une triste affaire…
En effet, quelle honte pour le système judiciaire français !
Ce pays n’est qu’une loque de ce qu’il était.
Je me joins a Guy Milliere pour envoyer mes tres sinceres sentiments de sympathie a cette expat francaise dont la soeur a vecu un calvaire epouvantable.
La justice francaise ou plutot l`injustice francaise a supprime la peine de mort voire dans certains cas toute peine pour les assassins mais secontrefoue des innocents qu`elle condamne eux a mort dans une indifference glaciale la pluspart du temps.
Je suis desolee de dire et de penser que la france qui fut un des plus grands pays civilises devient chaque jour un peu plus abominable.
De toute facon elle est deja plus qu
zut fausse manip
Je disais donc que la france est deja a demi-musulmane.
Dans moins de 20 ans la metamorphose sera terminee .
Sincerement je conseille a tous les dreuziens de prevoir une expatriation a plus ou moins long terme.
Votre message est porteur d’un tel espoir qui fait chaud au coeur.
« Celui qui s’attend au pire n’est jamais déçu »… et « un homme averti en vaut deux » !
Y a pas d’espoir, point barre.
ouh ! tres touchant et profondement emouvant.
lors de l’autre affaire avant celle d’Agnes, celle ou Sarko avait attaque la Justice francaise, la reaction dans le monde
des avocats et autres professions de la Justice, ne s’est pas fait attendre, puisqu’ils sont sortis dans la rue manifester, non pour refonder un systeme judiciaire exemplaire, mais pour repondre au president. en somme la reponse voulait dire: ” laissez nous faire notre petite justice tranquille, et foutez nous la paix!”.
depuis, il ne s’est rien passe, comme pour Agnes d’ailleurs.
vous vous rapellez de la chanson de Dalida: “paroles, paroles, paroles…”.
a Guy, que la soeur de ton amie repose en paix.
J’approuve entièrement votre texte, à une réserve près : le fait que la peine de mort soit prononcée aux USA “à l’unanimité du jury, « au delà de tout doute raisonnable »” n’est pas un argument en faveur de celle-ci.
Je ne dis pas que votre texte milite pour cette peine de mort ; mais son abolition en France est signe d’une évolution de la civilisation. Ce magnifique pays que sont les USA s’honorerait si tous les états le composant adoptaient une législation abolitionniste.
Je ne trouve pas évolué le fait d’enfermer le criminel d’un enfant dans un prison cinq étoiles. Ce qui est évolué, c’est de se débarrasser de lui.
Pourquoi pas si nous étions certains d’éliminer toute erreur judiciaire…
Au sanhédrin si l’unanimité se faisait pour condamner quelqu’un la condamnation était cassée. Motif : il n’est pas possible que dans un tribunal sain (sans ‘t’) il n’y ait pas au moins un juge pour ne pas trouver de circonstances atténuantes… à méditer donc.
C’est un des plus grands malheurs qui puisse arriver au citoyen lambda que “d’être pris à partie” dans une procédure judiciaire quelconque, s’il ne peut pas prouver qu’il est innocent, et là encore du reste ça ne suffit pas toujours.
A fortiori dans une affaire grave. Etre happé par cette machine kafkaïenne est une chose que le citoyen français, redoute absolument parce- que, obscurément, il en pressent l’absurde, et l’inhumanité destructrice.
C’est ainsi: ce système d’un autre âge continuera sans doute à broyer bien des vies, de bien des façons différentes.
Les magistrats, sorte d’ecclésiastiques infatués de leurs pouvoirs, et aux pouvoirs absolus, ressemblent à des juges de l’inquisition.
Les avocats, complices dociles, et dénués de TOUT POUVOIR judiciaire se contentent de lorgner avec envie vers le glamour de leurs confrères américains, (qui eux peuvent intervenir directement dans l’enquête), se délectent de baratiner avec emphase au micro” leur indignation “, et autres grands mots, alors qu’ils savent pertinemment qu’ils ne peuvent EN RIEN intervenir dans le cours de l’instruction, tout juste mendier au juge d’instruction de daigner orienter son enquête à charge, et (en théorie) à décharge dans telle où telle direction; ce que le juge décide selon son bon vouloir, son humeur… où ses compétences
L’avocat dans la procédure accusatoire à la française est bien le complice du juge, car il sait d’une part que VOUS, soupçonné d’un délit grave, et sans preuve pour vous disculper, vous n’y connaissez que dalle, et espérez, en état de choc, avec un espoir risible après lui comme après un sauveur, et d’autre part que plus vous avez d’argent, plus il pourra vous en prendre
Et c’est comme ça que dans bien des affaires des innocents sont brisés, leurs avocats se sont sucrés sans vergogne, pour un résultat nul, couru d’avance.
Heureusement qu’on a trouvé le mot de “dysfonctionnement”, qui résonne comme une triste fatalité qui dédouane tout ce petit monde de toute responsabilité.
La justice française est à ajouter au passif, avec le reste. Vivement 1793.
Greffier, affaire suivante
Mr Milliere vous devez donnez les noms de votre amie qui a étè victime de cette machination judiciaire , et qui l’ a conduit au suicide.Il faut qu’ un dèputè pose une question au Ministre de La Justice a l’ Assemblèe Nationale, et il faut communiquet tous les dètails de cette triste histoire à tous les organes de presse ainsi qu’ à l’ observatoire des prisons françaises. Il ne faut laisser ce drame couler dans le silence.
Et pourtant la France est un pays où l’on crée un fichier ADN à l’occasion du constat de la moindre infraction et même au code de la route. Ce qui est condamnable au niveau de la Cour Européennes des Droits de l’homme. Moi je réside en France, mais je vais aussi partir, car je refuse d’envisager un futur dans un pays qui fiche ses citoyens comme les nazis rêvaient de le faire…. A termes, cela représente un grand danger! David.
Un très bon film d’Alan Parker qui traite de la problématique de la peine de mort: “La vie de David Gale”.
Je n’ai pas réussi à me faire un avis sur la question, j’étais contre avant de voir ce film, là malheureursement je suis à la fois pour et contre.
Pour, car comme le dit M. Grumberg, certains criminels n’ont rien à faire dans des prisons 5*, où on leur fournit tout, y compris tous les médicaments qu’ils veulent.
Contre, justement à cause des erreurs judiciaires…Mais là le récit de M. Millière, n’est plus une erreur judiciaire, c’est un massacre judiciaire. Cette femme a été jugée à charge…J’ai honte…
Je m’associe aux condoléances des Dreuziens.
Je sens que je vais imprimer cet article et le faire lire à tous ceux qui me demandent pourquoi la France ne me manque pas.
Très secouée par votre témoignage, je vous envoie, ainsi qu’à votre amie, un sincère sentiment d’amitié.
J’ai honte de voir la France à ce niveau d’injustice, d’indifférence cruelle et d’incompétence.
Bonsoir Guy,
Ce lien m’a été transmis par votre amie car j’étais très lié avec Fabienne.
Je vous remercie de ce témoignage pour avoir vécu cette période abominable.
Peut-être, un jour, aurons-nous l’occasion d’évoquer son souvenir ensemble?
(Je garde précieusement l’ “arum” qu’elle m’avait confié… il est en fleur et superbe!)
Régis