Publié par Jean-Patrick Grumberg le 15 décembre 2011
Mr le Professeur Richard Landes, vous êtes historien, diplômé d’histoire de l’Université de Princeton, de Harvard, et vous avez fait l’Ecole Normale Supérieure de Paris. Vous êtes actuellement professeur d’histoire médiévale au département d’histoire de l’Université de Boston.
 
Suite à la déclaration de Newt Gingrich sur l'invention du peuple palestinien, Salam Fayyad a immédiatement réagi sur CNN (1) : « Gingrich a besoin de revoir les livres d’histoire … Le peuple Palestinien habite cette terre depuis l’aube de l’histoire, et il entend y rester jusqu’à la nuit des temps… Les gens comme Gingrich doivent réviser leur histoire, a ajouté Fayyad, qui s’exprimait depuis Ramallah, car on dirait que tout ce qu’ils savent de la région, c’est l’histoire de l’époque Ottomane ».
 
De son coté, le journal Le Monde (2), parlant d’invention de l’invention du peuple palestinien par Gingrich, admettait, dans l’article, la justesse des propos de Gingrich : « on ne fera pas l'injure à l'ancien étudiant en histoire spécialiste de l'Europe à l'époque moderne Newt Gingrich (…) de croire qu'il ne connaît pas ses classiques ».
 
Par ailleurs, David Horowitz et Guy Millière viennent de publier « Comment le peuple palestinien fut inventé* », et révèlent, documents historiques à l’appui, que le peuple Palestinien est en effet de création très récente, et qu'il fut créé à des fins politiques.
 
Richard Landes : Avant de commencer, j'aimerai expliciter deux choses. Un ami (collègue européen en Allemagne) m'a dit, en réponse aux thèses que j’articule ci-dessous, qu'en refusant l'identité palestinienne aux gens qui s'y réfèrent, je détruisais toute possibilité de paix. J'ai expliqué que je ne suis pas contre un pays Palestinien, mais un qui serait basé sur des principes de somme positive : "tout comme moi je veux une nation indépendante, j'accorde au peuple Juif le même droit". 
 
Le problème, comme je l'explique, c'est que, jusqu’à présent, l'identité palestinienne est articulée par des gens qui ne pensent que dans un sens à somme nulle : mon identité remplace/déplace/efface celle d'Israël.
 
C'est cela qui rend la paix impossible, et l'incapacité de gens bienveillants (comme mon collègue), d'adresser cette critique aux palestiniens (ça ne lui pose aucun problème de critiquer les israéliens), contribue à l'impasse du processus de la paix dans lequel on se trouve. Pour lui, même d'en parler mets en péril le processus de paix.
 
JPG : Lors d’une récente interview, disais-je, le candidat aux primaires Républicaines Newt Gingrich a affirmé que le peuple palestinien est « un peuple inventé ». Sans attendre, le premier ministre palestinien Salam Fayyad a affirmé que Gingrich doit « réexaminer les livres d’histoire », précisant que « le peuple palestinien habite la terre (note de JPG : de Palestine), depuis l’aube de l’histoire » et qu’il ne connaît de la région que « l’histoire de l’ère ottomane ». Dimitri Diliani, membre du conseil révolutionnaire du Fatah, a précisé lui que « le peuple palestinien descend de la tribu des Cananéens des Jébusites, qui habitaient déjà l’ancien site de Jérusalem en 3200 avant Jésus Christ ».
 
Ma première question Monsieur le Professeur : y a t-il, entre les historiens sérieux et internationalement reconnus, un débat ou une polémique sur l’origine du « Peuple palestinien » ?
 
Richard Landes : C’est fascinant parce que, pour des raisons dues au politiquement correct, il y a quelques décennies, surtout dans les années qui précédèrent les débuts du processus de « paix » d’Oslo, « tout le monde » (« le tout paris ») a accepté que le peuple Palestinien soit une réalité que seuls les racistes et les fascistes nient. C’était, je crois, en raison de l'effort d'affirmer les désirs et les aspirations des Palestiniens, et il était considéré que seul un esprit mesquin et malveillant pourrait les nier. 
 
En fait, pour la plupart, les gens qui insistaient sur l'existence réelle d'un peuple palestinien étaient des dupes de ce que j’appelle les démopathes (c'est à dire les gens qui emploient le langage de la démocratie et des droits de l'homme, uniquement à des buts personnels, pour agresser les autres, mais sans prendre aucun engagement eux-mêmes de respecter les droits des autres). Dans ce cas, l'articulation d'une identité nationale palestinienne était surtout faite pour agresser et éliminer le nationalisme Juif, le sionisme.
 
Les dupes pensaient : le nationalisme palestinien est une expression du désir du peuple palestinien d'avoir leur pays, tout comme les autres pays du monde, tout comme les israéliens. Leur nier cette identité serait malveillant. Mais les démopathes palestiniens (de Haj Amin al Husseini à Arafat en passant, hélas, par Abbas), ont eu un tout autre but : l'élimination d'Israël, donc un « malignant nationalism », un « nationalisme cancérigène », comme l'a défini Menachem Klein. 
 
En quelque sorte, on pourrait dire que l'acceptation presque universelle d'une identité palestinienne était une sorte d’ « affirmative action » de la part d'un Occident bienveillant, qui croyait qu'en accordant ainsi cette exigence aux porte-paroles arabes, ils contribuaient à la paix. Ainsi, mon collègue voit dans mon déni de cette identité palestinienne, un rejet de la paix.
 
Entretemps, les « Palestiniens » poursuivaient leur super-sessionisme contre les Juifs, sur le plan historique, en réclamant une identité cananéenne (Jébusite, parce que ceux-là avaient Jérusalem avant le roi David). Ainsi, ils pouvaient non seulement insister (en dépit d'une faillite complète d'évidence génétique et historique), sur leur antiquité bien plus ancienne que les Juifs (en fait les Juifs ashkénazes et les palestiniens ont plus en commun génétiquement qu'avec les non-juifs européens), mais aussi ils pouvaient réclamer le rôle de victime de génocide à deux reprises – une fois au 2e millénaire avant l'ère commune, et de nouveau aujourd'hui. Finalement, ceci est destiné à obscurcir le fait que ce sont les arabes musulmans qui sont les envahisseurs impérialistes, et qui ont réprimé et remplacé les cultures indigènes de la région (chrétiens et  Juifs). 
 
Et même si on pouvait argumenter que les arabes de la région étaient les descendants des peuples qui y habitèrent depuis des millénaires génétiquement, il n'y a aucune continuité culturelle, à part le fait que les canaanéens et les palestiniens d'aujourd'hui pratiquent le sacrifice de leurs propres enfants.
 
A ma connaissance, il n'y a aucun historien sérieux qui accepte l'argument, totalement politisé, des palestiniens au sujet de leur propres origines.
 
JPG : Sur quels points d’histoire s’appuie Newt Gingrich pour soutenir cette thèse si peu orthodoxe de « l’invention d’un peuple palestinien » ?
 
RL : C’est peu orthodoxe car le "politically correct" tient le terrain. En fait, Gingrich a bien plus raison que ses détracteurs. Jusqu'en 1920, aucun arabes de la région ne se réclamaient palestiniens. Jusqu'à la fin de la première guerre mondiale, ils habitaient dans l'empire Ottoman, ou ils faisaient partie de la Syrie du sud. Quand les Anglais ont créé la Palestine, ils étaient unanimement contre. Ce n'est que quand la France a pris la Syrie en 1920 que les arabes qui habitaient dans la partie Anglaise de la Syrie ont commencé à employer le terme palestinien pour s'identifier. Mais en effet, ce n'est qu'après deux coups terribles, le premier, la création d'Israël et la vague de réfugiés arabes qui résulta de l'échec de la guerre d'annihilation conduite par les pays arabes, le deuxième, la perte des territoires (Cisjordanie et Gaza) en 1967, que les arabes de cette région ont commencé à comprendre qu'ils n'étaient pas « arabes » comme les autres.
 
L'ironie, c'est que l'identité palestinienne des arabes de la région résulte de deux facteurs plutôt gênants.
 
1) Une réaction au sionisme. Sans sionisme, pas d'identité palestinienne. (Le nationalisme arabe était, jusqu'alors, une forme d'identité floue qui essayait de réunir les arabes sur une énorme espace, sans distinctions « nationales »). Et plutôt que d'apprendre un nationalisme producteur et de somme positive, les palestiniens ont adopté une identité à somme nulle, qui cherchait à détruire le nationalisme qui l'avait inspiré. 
 
Comme l'a expliqué en 1977 (!) Zair Muhswe'in, membre du comité exécutif de l’OLP : « Le peuple palestinien n'existe pas. La création d'un état palestinien n'est qu'un moyen de continuer notre lutte contre l'état d'Israël et pour l'unité arabe. En réalité, aujourd'hui, il n'y a pas de différence entre les Jordaniens, les Palestiniens, les Syriens, et les Libanais. Nous ne parlons d'un peuple palestinien que pour des raisons de tactique politique, puisque les intérêts arabes nationaux exigent qu'on propose un « peuple palestinien » distinct pour s'opposer au sionisme ». (James Dorsey, Wij zijn alleen Palestijn om politieke reden, Trouw, 31 March 1977)
 
2) Leurs souffrances entre les mains de leurs frères arabes. Les réfugiés de la guerre de 1948 n'ont pas été intégrés dans les régions (faisant toutes partie de la Nation arabe) où ils se sont réfugiés. Au contraire, on les a traité comme des dhimmis avec une loi séparée, d’apartheid, qui ne leur permettait pas de bénéficier des droits des autres citoyens arabes : pas de permis de travail, pas de passeport, pas même de possibilité de construire des résidences permanentes. Il fallait surtout que les « Palestiniens » souffrent tant, qu'Israël puisse être blâmé. Le paradoxe du support que le monde porte au « Palestiniens », c'est qu'en acceptant ce narratif de souffrances provoquées par l'état Juif, les Occidentaux renforcent un récit de bouc émissaire, ou les « Palestiniens » jouent le rôle de victimes sacrificielles sur l'autel de la haine d'un état Juif. Et comme tout récit de bouc émissaire, on identifie mal le responsable, et plutôt que de résoudre le problème, on l'empire.
 
JPG : Dans ce cas, quelle est la base historique de la thèse inverse, soutenue par Fayyad et Diliani ?
 
La « thèse historique » soutenue par Fayyad et Diliani (et d'autres « Palestiniens ») est une forme de super-sessionisme. Comme l'a expliqué Abdala al Ifranji, porte parole de Mahmoud Abbas tout récemment le 14 mai 2011 : « Nous lui [Netanyahu] disons que quand il réclame un droit historique qui date de 3000 ans avant JC (sic) nous, la nation de Palestine, habitions le pays de Canaan 7000 ans avant JC (sic !). C'est la vérité qui doit être comprise, et nous devons le citer pour dire : "Netanyahu tu es un accident de l'histoire. Nous sommes le peuple de l'histoire. L'histoire nous appartient »
 
Comme tout discours totalitaire, ils ont créé un passé pour redéfinir le présent.
 
Cette identité qui remonte au Cananéens est totalement factice : il n'y a aucun « peuple palestinien » qui a eu même un fragment d'identité pendant ces millénaires. Il n'y a jamais eu une entité politique « palestinienne » — à part ce que les Philistins (des non cananéens), les Romains, et les Anglais ont créé. Mais même le mot Palestiniens reflète son origine extrinsèque : les arabes n'ont pas de lettre P, et donc c'est devenu Filistin.
 
Elle fait partie, cette identité créée au 20e siècle, d'une stratégie de guerre cognitive. Ceux qui l'adoptent, en défiance des faits, le font, ou pour soutenir les arabes dans leur guerre contre un état Juif, qui est une nation indépendante de non-musulmans (dhimmis) au coeur du Dar al Islam, ou pour soutenir les pauvres Palestiniens. 
 
En fait, se rallier à une falsification de l'histoire, quel que soit le motif, représente une démarche bien dangereuse. Pour ceux qui, comme le disent les gens de gauche, veulent aider les Palestiniens, ce support renforce les tenailles dans lesquelles les élites arabes (y compris les dirigeants « Palestiniens ») tiennent le « peuple » ainsi désigné.
 
Pour les gens qui n'aiment pas l’idée d’un pays Juif indépendant, ils renforcent les positions d'une force qui va bien au delà des Palestiniens, et embrassent non seulement les arabes mais aussi les musulmans. Ces gens là (Hamas et Hezbollah) ont une agenda qui vise l'extension de Dar al Islam sur le monde entier, y compris – surtout – sur l'Occident. Soutenir de telles forces – par ignorance ou malveillance – est une forme de suicide.
 
JPG : Un historien de seconde zone mais très médiatisé, Shlomo Sand, prétend que la notion de « peuple Juif » est elle aussi une invention, car les Juifs d’aujourd’hui n’auraient rien en commun entre eux, et encore moins avec les Juifs qui vivaient en Palestine dans l’ancien temps, et il soutient donc que les Juifs n’ont aucune légitimité historique sur aucune parcelle de la Palestine. Quelles sont les bases historiques de cette thèse là ?
 
RL : Sand, comme beaucoup d'idéologues anti-sionistes Juifs, a complètement intériorisé le « récit des souffrances des palestiniens » qui est « armé » contre son propre peuple. Il cherche donc à apporter sa pierre à l'édifice de ce récit, en faisant remonter l'identité juive aux Khuzari du 10ème siècle, et à d'autres « convertis » (donc il limite à un millénaire l'histoire juive), et soutient que l'identité « juive » est le produit d'une mimétisme des allemands par les Juifs ashkénazes. 
 
C'est un récit ridicule qui peut être retourné sur lui-même. Je suis historien du moyen âge, et j'ai étudié les efforts de conversions de tribus par les chrétiens. C'est quelque chose de très difficile que de faire adopter, par des tribus guerrières, une substitution des valeurs d'intégrité et de culpabilité, par celles d'honneur et de honte, de renoncer au droit à la violence, d'accepter la honte comme une vertu. Si les Juifs qui « convertirent » le peuple Khazar ont réussi à leur faire adopter et intérioriser les valeurs de la culture juive, au point où ils contribuèrent, de façon décisive, à l'élaboration de la littérature extraordinaire, ce serait – de loin – la conversion la plus réussie de toute l'histoire du monothéisme. 
 
D'autre part, si on applique le même niveau de critique qu'il emploie, en recherchant l'identité palestinienne nationale, on reviendrait aux thèses de Gingrich.
 
Encore une ironie : la réclamation d'une continuité de sang cananéen, sans aucune continuité culturelle, par les palestiniens, est un argument raciste. La réclamation d'une continuité culturelle sans aucune continuité de sang, comme le fait Sand, représente l'opposé de ses intentions : de part les valeurs modernes (et post-modernes) qui rejettent tout racisme et respectent le multi-culturalisme, les revendications des Juifs pour Israël sont de loin les plus fortes. Sand accuse les « Juifs » nationalistes d'être racistes. A fortiori, il accuse donc aussi les Palestiniens.
 
Sand représente, comme Gilad Atzmon, Norman Finkelstein, un type tout a fait « juif » dans ce conflit. Il pousse, au delà d'une auto-critique saine, au point de se dissoudre dans l'identité de ceux qui cherchent à le détruire. Seule une culture d'auto-critique, et une nation qui permet que ses citoyens puissent s'exprimer librement, peut produire un tel fruit empoisonné. 
 
Les gens – Juifs et non-juifs, qui l'écoutent, qui y croient, le font à leur propre péril. Ils se laissent écarter de la réalité, historique et contemporaine.
 
Pour paraphraser La Fontaine, tout anti-Sionisme malhonnête vit au dépens de celui qui l'écoute.
 
JPG : Merci Monsieur le Professeur.
 
Reproduction autorisée, et même vivement encouragée, avec la mention suivante et le lien ci dessous : 
© Jean-Patrick Grumberg pour www.Dreuz.info
 
(1) http://articles.cnn.com/gingrich-palestinians
(2) lemonde.fr/quand-newt-gingrich-invente-linvention-du-peuple-palestinien/
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