Publié par Alexandre Del Valle le 24 décembre 2011

 

Selon une idée en vogue, le “printemps arabe” aurait consacré la “démocratie musulmane” et devrait balayer à la fois les tyrans corrompus et les terroristes islamistes, dont la violence ne serait qu’une “réaction” aux dictatures militaires. Or cette vision qui présente les "révolutions arabes" comme un bloc unique et idyllique est selon nous fausse. Car ce “printemps arabe”, initié par des jeunes libéraux épris de liberté, de dignité et de laïcité, a vite débouché sur un “hiver islamiste”.

Victoire générale des islamistes, défaite des laïcs, des libéraux et des progressistes

Les élections qui viennent de se dérouler dans le monde arabe (la “seconde révolution”) ont consacré la défaite des manifestants libéraux de la première heure, moins puissants, moins organisés et moins populaires que les islamistes, révolutionnaires de la deuxième heure. En Tunisie, lors des élections de l'assemblée constituante du 23 octobre, les progressistes ont été battus par les islamistes d’Ennahda, qui ont recueilli 40 % des suffrages. Au Maroc, lors des élections du 25 novembre, le Parti de la Justice et du Développement, avec 107 sièges, a ridiculisé les forces laïques et réalisé le double du score du parti nationaliste Istiqlal, arrivé en seconde position. En réaction, le mouvement du “20 février”, qui exigeait l’abolition de la monarchie théocratique et de la charià, a boycotté les élections. Il dénonce l’alliance entre les islamistes et le Roi Mohamed VI qui viserait à étouffer la “première révolution”. En Egypte, lors des législatives partielles du 28 novembre, les islamistes des partis Liberté et Justice (PLJ, frères-musulman), Nour (salafiste) et Wassat, ont écrasé le bloc Egyptien libéral avec plus de 65 % des voix.

Du Caire à Rabat, les islamistes sont plébiscités pour leur programmes anti-corruption et leur actions sociales et répondent à la demande des masses, pour qui l’islam est “LA solution” à tous les maux.

D’après nous, il conviendrait d’être bien plus prudent avant de descerner un brevet de “modération” aux “islamistes-conservateurs” victorieux du Maroc au Caire, et qui vont d’ailleurs continuer à accéder au pouvoir partout ailleurs dans le monde arabe. Car leurs programmes démagogiques, anti-système, condamnant la liberté religieuse, tout comme leurs obsessions antisémites haineuses, les rapprochent plus des partis fascistes ou populistes européens que des "conservateurs" ou des "démocrates chrétiens" avec lesquels on les compare abusivement.

Au delà de ces cas où l’islamisme politique, jadis persécutés par les dictateurs, est désormais vengé par les urnes et la démocratie, les islamistes ont déjà conquis une part du  pouvoir par les armes avant même d'être élus, comme cela est le cas en Libye par exemple. L'un des représentants de la "nouvelle Libye" réislamisée et débarrassée de son dictateur mégalomaniaque, le “gouverneur militaire” de Tripoli, Abdelhakim Bel-Hadj, est un ancien d’Al-Qaïda en Irak… Non moins inquiétant, le président du Conseil national de transition libyen (CNT), Moustapha Abdeljalil, réputé « modéré », a réaffirmé la charià comme source unique de la loi, justifiant sans vergogne la polygamie et condamnant la liberté religieuse.

Du côté du Golfe… chiites contre sunnites…

Dans les monarchies du Golfe, les masses chiites pauvres, dominées par des régimes sunnites anti-démocratiques qui monopolisent la manne pétrlière et refusent de partager leur pouvoir, réclament leur part du gâteau. Ces masses sont instrumentalisées par les islamistes chiites iraniens, eux aussi "révolutionnaires", mais pas du tout à la façon des jeunes indignés laïcs membres des réseaux sociaux facebook... Les Mollahs et les Pasdarans fanatiques iraniens qui persécutent les jeunes révolutionnaires libéraux chez eux comptent en effet profiter de la vague démocratique révolutionnaire dans le les pays arabes et dans le Golfe pour répandre leur révolution islamique totalitaire partout en zone chiite, de l’Arabie saoudite au Yémen, après avoir mis au pouvoir au Liban leurs alliés chiites terroristes libanais du Hezbollah et après avoir renforcé leur pouvoir en Irak à travers le pouvoir chiite et la majorité chiite puis a Gaza via le Hamas terroriste qu'il financent mais qui a lui aussi "gagné les élection" en 2005. Ainsi, dans la petite monarchie du Golfe qu'est Bahreïn, la démocratisation est violemment combattue par la famille sunnite régnante, protégée par l’Arabie saoudite, qui l’aide militairement à massacrer les rebelles islamistes chiites travaillés par Téhéran. Au Yémen voisin, pays d’origine des grands parents de Ben Laden, le président Ali Abdallah Saleh a accepté un plan de paix qui prévoit son départ en échange d’une amnistie et d’élections libres, programmées le 21 février 2012. Mais les islamistes radicaux du parti sunnite al-Islah dominent déjà le Forum Commun et se sont alliés, comme en Tunisie, aux socialistes ("le rouge et le vert"). Les islamistes sunnites accusent le président Saleh, laïc et issu de la minorité chiite des Zaïdites, d’être un « collaborateur » des Occidentaux contre Al-Qaïda et un « infidèle », accusation grave pour les tribus sunnites qui protègent et abritent des groupes d’Al Qaïda et coopèrent avec eux dans le commerce juteux des prises d'otages et du racket des touristes. Saleh est également accusé de « trahison » par les insurgés chiites zaïdites (rébellion « houtiste ») car il n’a pas pour autant soutenu leur combat face aux sunnites. Il paie ainsi autant son passé de dictateur que sa volonté de promouvoir un Yémen uni, désormais livré au chaos. Au Yémen, comme en Libye ou en Syrie, les jeunes révolutionnaires « facebookers » aux slogans laïcs et démocratiques ne pèsent pas grand chose face aux tribus rebelles et aux islamistes. Depuis 2004, les affrontements entre les insurgés chiites zaïdites d'une part et le pouvoir puis les groupes sunnites radicaux, d'autre part, ont déjà fait des milliers de morts dont personne ne parle. A croire que les victimes chiites massacrées à Bahreïn, en Arabie saoudite ou au Yémen comptent moins que les victimes sunnites liées aux Frères musulmans ou aux partis salafistes, eux-mêmes soutenus directement ou indirectement à la fois par Al-Jazira, Al-Qaïda, l’Arabe saoudite et le Qatar…  

Les révolutions arabes, une aubaine pour Al-Qaïda!

Du côté d’Al-Qaïda, le successeur de Ben Laden, Ayman al Zawahiri, affirmait mi-septembre 2011, dans une vidéo intitulé «l'aube d’une victoire imminente»: «Nous sommes du côté du printemps arabe, qui va apporter un islam authentique”. Pour Zawahiri, ces révolutions ne peuvent que porter au pouvoir des régimes toujours plus anti-occidentaux, plus anti-israéliens, adeptes de la Charià et nostalgiques du Califat… Une idée indirectement confirmée par le nouveau Premier Ministre tunisien Hamadi Jebali, qui louait, lors d’un récent discours, le “Califat islamique”. L’allusion a inquiété les Tunisiens attachés aux acquis progressistes de la Tunisie moderniste de Bourguiba, le père de l’indépendance de 1956: droits des femmes, liberté de conscience, séparation du politique et du religieux, etc. D'évidence, la référence au Califat, commune aux Frères musulmans, au parti AKP au pouvoir en Turquie et aux Salafistes de tous poils, rappelle que ces deux familles de l'islamisme vainqueurs des élections en Egypte ou ailleurs, partagent en fait les mêmes valeurs que les islamistes terroristes qu’ils condamnent dans certains cas seulement. Car les Frères-musulmans, présentés comme plus "modérés" que les Salafistes, sont en réalité les créateurs mêmes du salafisme moderne, et ils continuent de soutenir bec et ongle le mouvement terroriste palestinien Hamas, lui-même branche locale des Frères musulmans. Ils sont devenus “démocrates” ou “pro-occidentaux”, comme l’AKP au pouvoir en Turquie, dans l’unique but d’arriver au pouvoir et de délégitimer leurs ennemis les plus directs: les dictateurs laïques-militaires et les nationalistes-“despotes éclairés”, qui les empêchaient jusque là d’arriver au pouvoir.

On nous répondra que "tout le monde peut changer". C'est vrai. Mais ces partis issus des Frères musulmans ou se réclamant du salafisme plus rigoureux condamnent tous l'apostasie, la laïcisation des constitutions et des lois, et ils n’ont jamais engagé de réforme philosophique profonde. Ils n'ont surtout pas renié leurs maîtres prêcheurs de haine, comme Hassan al-Banna, SaYid Qutb jadis ou Al-Qardaoui aujourd’hui, le prédicateur vedette d’al-Jazira qui encourage d’un côté les partis islamistes “démocrariques” et édicte de l’autre des fatwas pour justifier les attentats kamikazes en Irak, en Tchétchénie ou en Israël.

Pour convaincre les sceptiques, les Frères musulmans, qui enseignent dans leurs école comment “prendre le pouvoir par étapes” et “infiltrer les instances dirigeantes”, devront donner selon plus de gages concrets pour devenir crédibles et nous convaincre de leur réelle mutation philosophique et politique.

Dernier constat qui ne trompe pas : depuis le déclenchement des révolutions arabes, les violences envers les minorités religieuses, notamment chrétiennes, envers les femmes non voilées, les athées, les “apostats”, ont explosé partout où les Frères musulmans distillent habilement leurs idées depuis des décennies et sont arrivés au pouvoir. Parallèlement, dans l’Egypte débarrasée de Hosni Moubarak (l’ex “tyran” marié à une femme occidentalisée, Suzanne, d'origine chrétienne), les Salafistes, arrivés en seconde position aux élections de fin novembre, prônent clairement la Charià et la haine de l’Autre, ce qui prouve  que les élections ne transforment pas tous les islamistes en "démocrates-musulmans” tolérants.

Depuis le début des révolutions, en effet, les Salafistes rivalisent avec les militaires égyptiens dans les attaques contre les chrétiens coptes. De la même manière, au début de la “révolution du Jasmin, dans la nouvelle Tunisie qui a voté pour les islamistes d’Ennahda et ses alliés anti-impérialistes de gauche, un prêtre polonais a été sauvagement tué, tandis que les cinémas et les chaînes TV osant encore projetter des films “athées” ou “blasphématoires ” envers Mahomet, sont attaqués par des barbus, hélas en phase avec la base militante d'Ennahda, plus radicale que ses leaders pragmatiques ou opportunistes aux discours “modérés”. Et au lieu de défendre bec et ongles le directeur de la chaîne Nessma tv, Nabil Karoui, coupable d’avoir diffusé le film “anti-islamique” Persepolis,  le nouveau chef du Gouvernement tunisien, Jelabi a légitimé le procès attenté à Karoui pour "atteintes aux préceptes de l'islam" en regrettant les "provocations inopportunes" du producteur…

© Alexandre del Valle
L'article original a été publié sur le blog d'Alexandre del Valle

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