Jeudi dernier, l'Assemblée nationale a adopté la proposition de loi de la députée UMP Valérie Boyer pénalisant la contestation de tout génocide, dont celui des Arméniens en 1915. Ce vote, attendu depuis plusieurs années et déjà reporté maintes fois en raison des pressions exercées par Ankara, a provoqué de violentes réactions de colère du Premier Ministre turc Recep Taiyyp Erdogan, qui a rappelé son ambassadeur à Paris et a fustigé la « France de Sarkozy ». Des attaques d'une violences étonnantes contre un Etat ami et un chef d'Etat de l'Union européenne, que la Turquie voudrait intégrer.
Erdogan est même allé bien plus loin encore en accusant directement le Président Nicolas Sarkozy de jouer la carte de "la haine du musulman et du Turc".
L’accusation est d’autant plus étonnante que Nicolas Sarkozy n’a à aucun moment incriminé l’islam ou accusé les musulmans ou les Turcs en tant que tels, et il est même au contraire l’homme politique français qui a le plus fait pour intégrer et reconnaître les Français de confession musulmane, instaurant le Conseil Français du Culte musulman (CFCM), nommant des ministres issus de la communauté arabo-musulmane, reconnaissant le fait religieux pour tous, ce qui lui a même valu les critiques acerbes des laïcards.
On ne peut en dire autant d’Erdogan vis-à-vis des chrétiens de Turquie, terrorisés depuis des années par de multiples assassinats de prêtres, de pasteurs et de prélats chrétiens, de responsables arméniens, et par des attentats islamistes ou nationalistes dont les auteurs sont rarement reconnus coupables. Il serait même utile de rappeler que l’une des raisons pour lesquelles la loi sur le génocide arménien a été votée par nombre de députés de tous bords, provient du fait que depuis une dizaine d’années, les historiens et militants associatifs arméniens ne peuvent plus organiser tranquillement des évènements commémoratifs liés au génocide sans être régulièrement menacés, harcelés, agressés, parfois très violemment par des militants nationalistes turcs.
Quoi de pire en effet pour un Arménien fils de rescapés du génocide que d’être menacé dans la France des droits de l’homme par des négateurs de ce même génocide ?
L’hôpital qui se fiche de la charité ! Ceci dit, l’accusation d’Erdogan visait surtout à culpabiliser les Français, à faire diversion, et à renverser les responsabilités, art dans lequel excellent les négationnistes en général.
Stigmatiser la France à propos de la guerre d’Algérie était totalement déplacé. Car en France, à la différence de la Turquie, aucune loi n’empêche les nombreux historiens d’accabler les gouvernements et régimes successifs pour des faits condamnables passés que personne ne nie d’ailleurs. L’emploi du mot « génocide » pour l’Algérie est totalement disproportionné et même obscène, de la part de dirigeants qui nient, quant à eux, un vrai génocide pourtant reconnu par les plus hautes instances internationales et les Parlements de nombreux pays : le génocide arménien. Surtout, la meilleure preuve de la réalité de ce génocide est que les Arméniens ont presque totalement disparu de leur terre originelle, l’Anatolie, contrée peuplée aujourd’hui de Turcs et de Kurdes musulmans et vidée de ses chrétiens, tandis que les Algériens non seulement vivent encore sur leur territoire, libéré depuis 1962, mais ils en ont de surcroît chassé tous les non-musulmans et les fidèles de la France, notamment un million de Pieds-noirs et des centaines de milliers de Harkis algériens pro-français.
Ils ont donc subi des massacres, des représailles massives de la part des forces françaises qui avaient pour mission de réprimer les rebelles terroristes algériens, certes, mais pas un génocide, terme que les Nations unies, les instances internationales et les historiens en charge de ces questions n’ont jamais employé pour le cas algérien.
Stratégie de culpabilisation et accusation-miroir.
Fidèle à sa stratégie de culpabilisation consistant à instrumentaliser le sujet de l’islamophobie et du racisme, le Premier Ministre turc s’est permis de stigmatiser jusqu’au père de Nicolas Sarkozy, Pal Sarkozy, accusé d’avoir participé personnellement au « génocide » des Algériens lorsqu’il servait dans la Légion étrangère, fait totalement faux et démenti par l’intéressé comme par la Légion française où il ne servit que quelques mois. Plus surprenant encore, Recep Taiyyp Erdogan s’est aussi permis d’invoquer la mémoire des ancêtres maternels juifs de Nicolas Sarkozy, en accusant ce dernier d’être un « ingrat », puisque les juifs sépharades ont trouvé refuge dans l’empire ottoman au XVème siècle, lorsqu’ils étaient persécutés en Espagne sous Isabelle La Catholique.
Or, outre le fait que cela concernait l’empire ottoman il y a cinq siècles et non la Turquie d’aujourd’hui, purifiée de ses chrétiens et peu sure pour les Juifs, le seul fait de jouer sur la corde sensible de l’antisémitisme laisse pantois ceux qui connaissent les discours véhéments d’Erdogan sur Israël, les « sionistes » la responsabilité des Juifs du monde entier et des « médias juifs » dans le « génocide palestinien », etc… D’évidence, la définition du terme génocide n’est pas la même en France et aux Nations Unies que dans la Turquie de Monsieur Erdogan.
Il est par ailleurs assez stupéfiant de voir le Premier Ministre d’un pays qui réprime ses populations kurdes et nie officiellement le génocide de 1,5 million d’Arméniens et d’Assyro-chaldéens accuser la France « d’islamophobie » et de « racisme anti-turc ». Car en France, les musulmans ont plus de droits que dans la plupart des pays islamiques. Les Turcs n’y ont jamais été victimes de quelque racisme ou propagande haineuse que ce soit. Et il y a aujourd’hui plus de Turcs musulmans libres de s’exprimer et de travailler dans la seule région d’Alsace qu’il ne reste de chrétiens arméniens ou assyro-chaldéens dans toute la Turquie, leur terre originelle. En revanche, en Turquie, pays qui voudrait intégrer l’UE, les chrétiens ont presque tous été éliminés ou expulsés (depuis un siècle, y compris les centaines de milliers de Grecs chrétiens orthodoxes) et les derniers monastères et terrains appartenant encore aux chrétiens d’Anatolie sont aujourd’hui confisqués par l’Etat turc ou convoités par des musulmans épaulés par les juges et l’Etat turcs (voir dossier de Mar Gabriel). Des prêtres, évêques catholiques ou pasteurs protestants y sont régulièrement tués aux cris d’Allah Ouakbar (cas de Hrant Dink, du Père Santoro, de Mgr Padovese, etc).
Il y a donc lieu d’être surpris lorsque M. Erdogan donne des leçons de morale « antiracistes » à la France et à l’Union européenne alors que son pays nie officiellement l’un des plus terribles génocides de l’Humanité. Rappelons aussi qu’en cette période de Noël, les rares chrétiens encore présents dans le Nord de Chypre sous occupation turque se voient interdire de célébrer leurs fêtes religieuses dans plusieurs villages. La Turquie d’Erdogan accuse l’Europe d’être un « club chrétien » qui « rejetterait » les Etats musulmans, mais ce même pays préside l’Organisation de la Conférence islamique (OCI), « club musulman » unique en son genre qui a pour but de répandre partout la charià et qui défend des Etats christianophobes comme l’Arabie Saoudite ou le Soudan militaro-islamiste, auteur du génocide de 2,5 millions de chrétiens (sud-Soudan).
Dhimmitude européenne ?
Il y a lieu d’être étonné par le fait qu’aucun de nos dirigeants européens n’ait songé à rappeler Erdogan à plus de cohérence dans ses indignations, fort sélectives, lui qui a déclaré lors d’un sommet de l’OCI que la terrible dictature du Soudan du Général al-Bechir n’a commis « aucun génocide au Darfour et au Sud Soudan », pour la bonne raison « qu’un musulman ne peut pas commettre de génocide »… On peut également rappeler les propos stupéfiants tenus en Allemagne même par le Premier Ministre turc, il y a quelques semaines, à l’endroit de la chancelière Angéla Merkel qui invitait les Turcs à s’intégrer et à apprendre la langue allemande, et à qui il a répondu de façon véhémente que l’intégration des Turcs à la culture allemande est un « crime contre l’humanité »….
A la lumière de ces faits et rappels, la réaction générale de la presse française et européenne et même de nombreux politiques, qui a consisté à accorder plus de crédit aux accusations-diversions d’Erdogan qu’au génocide arménien lui-même (pourtant toujours nié par Ankara, en violation de la résolution du Parlement européen de juin 1987 qui conditionne l’adhésion à l’UE de la Turquie à la reconnaissance de ce génocide), est proprement choquante. Elle témoigne d’un esprit de « dhimmitude volontaire » des Européens – pour paraphraser l’historienne anglo-égyptienne Bat Yé’Or.
Des Européens culpabilisés et terrorisés psychologiquement par le monde islamique et son nouveau leader la Turquie, qu’ils connaissent en fait très mal.
Car la Turquie n’est pas un ancien pays colonisé par l’Europe à qui l’on devrait « demander pardon » pour des fautes passées et en qui l’on serait donc « redevable », mais au contraire une ancienne puissance coloniale de l’Europe, une puissance impériale, qui a occupé une partie de l’Europe orientale et méridionale (mais aussi le Proche Orient arabe et le Maghreb) entre quatre à cinq siècles suivant les pays. Une puissance expansionniste et esclavagiste qui a terrorisé les peuples chrétiens de l’est et de la méditerranée depuis la conquête de Constantinople en 1453 jusqu’au génocide arménien en 1915, parrainant et soutenant des siècles durant l’esclavage des peuples slaves et les pirateries barbaresques.
On peut regretter que lorsque le Président de la République et des élus de la majorité comme Mme Boyer ont été incriminés par des déclarations inacceptables de dirigeants turcs, ceci sur fond de manifestations anti-françaises en Turquie, de nombreuses voix se sont élevées à gauche et même à droite pour critiquer ces lois « mémorielles », au lieu d’exprimer leur solidarité avec les responsables français insultés, et de dénoncer les propos anti-français et anti-arméniens des dirigeants turcs. Certains membres de la majorité en ont profité pour se démarquer du chef de l’Etat et des députés qui ont voté la loi, Alain Juppé et Bernard Accoyer déplorant que son adoption risque de « vexer » notre allié turc, partenaire commercial majeur de la France et de l’Union européenne.
Que répondre à cela ? Concernant l’idée munichoise selon laquelle la loi « risque de « nuire aux relations économiques avec la Turquie », rappelons que ce n’est pas la première fois qu’une crise politico-diplomatique oppose ces deux pays ; que la Turquie menace la France de représailles et que des milliers de Turcs brûlant des drapeaux français ou appellent au boycott des produits français ou européens. Or plus de 11 ans après la loi française de 2001 qui reconnaissait officiellement le génocide des Arméniens et qui avait suscité des réactions similaires, les relations commerciales entre les deux pays n’ont cessé de s’accroître. Elles s’élèvent même aujourd’hui à 11 milliards d’euros.
Pourquoi donc un tel décalage entre les menaces et les actes des dirigeants et patrons turcs ? Tout simplement parce que la Turquie a bien plus à perdre commercialement que la France. Car tout boycott ou acte protectionniste est une arme boomerang qui se retourne fatalement contre ses auteurs, surtout les pays en phase de décollage comme la Turquie où les entreprises françaises délocalisées sont créatrices de milliers d’emplois.
En conclusion, nous ne pouvons que déplorer la tournure qu’ont pris les évènements et l’attitude du gouvernement turc qui, une fois de plus, confirme la volonté de la Turquie de s’auto-exclure des valeurs de l’Union européenne que sont la capacité de se remettre en question, la renonciation au nationalisme expansionniste qui nie la dignité des minorités, l’acceptation du partage de souveraineté, et la dignité absolue de la personne humaine, dont la négation des génocides est l’une des plus graves atteintes. Car le pire, pour les descendants des victimes, est d’endurer l’impunité et l’absence de regrets des bourreaux et de ceux qui leur sont solidaires.
Enfin, le Premier Ministre Erdogan a récemment présenté des excuses publiques de la Turquie auprès des survivants du massacre d’Alévis tués en Turquie en 1937. Alors pourquoi ne reconnaîtrait-il pas la grave faute commise par l’Etat ottoman en 1915 vis-à-vis des Arméniens, d’autant que cela n’incrimine pas la Turquie contemporaine mais l’Etat qui existait avant la création, en 1923, de la Turquie moderne ?
Pourquoi continuer à nier l’indéniable et même à enseigner dans les écoles turques que les Arméniens ont agressé les Turcs et mérité en partie leur triste sort en « provoquant les Turcs » par leur allégeance envers « l’étranger » (la Russie d’alors) ? De la même manière, comment nos politiques et intellectuels philo-turcs peuvent-ils encore être sensibles aux accusations du gouvernement turc selon lesquelles la France « islamophobe » et « turcophobe » de Nicolas Sarkozy bloquerait la candidature turque à l’UE au « prétexte » du génocide arménien ? Alors que l’unique raison de ce blocage réside dans le fait qu’Ankara continue de violer les valeurs essentielles de l’UE (droits des minorités : Kurdes, Arméniens, Assyro-chaldéens, Alévis ; liberté d’expression : 80 journalistes ou producteurs sont actuellement emprisonnés en Turquie pour « insultes » envers le chef de l’Etat ou idées « contraires à l’unité du pays et à l’intérêt national » ; respect de l’intégrité des Etats membres de l’UE, comme la République de Chypre, toujours occupée illégalement et colonisée au mépris de nombreuses résolutions des Nations Unies, du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. Voilà tout ce que nos dirigeants européens et nos politiques français devraient rappeler aux dirigeants turcs, surtout s’ils se déclarent amis de la Turquie, car l’amitié est fondée sur la réciprocité, la franchise, l’honnêteté intellectuelle et le respect.
© Alexandre Del Valle. L’article original peut être consulté sur France Soir
« visait surtout à culpabiliser les Français, à faire diversion, et à renverser les responsabilités, art dans lequel excellent les négationnistes en général. »
je dirais art dans lequel excellent plus particulièrement les arabo musulmans qui inversent la donne en général en essayant de faire passer les bourreaux pour des victimes et inversement.
Pour l’avancée spectaculaire de la marche vers la dhimmitude de Juppé on est en droit de se poser de nombreuses questions sur la « sincérité » de ses positions etsur ce qui le motive réellement…
Je souscris complètement à l’analyse d’Alexandre Del Valle.
Les Français ne sont pas turcophobes, il suffit de remarquer que presque aucun de nos billets de banque ne montre la Turquie rayée d’une croix.
De toute facon, le seul truc qu’ils ont inventé ces turcs, c’est leurs tetes (tete de turc), les bourreaux, et les chiottes… comment attendre d’un premier ministre d’un pays aussi merdique qu’il reconnaisse la moindre chose…
exactement !
parler de la sorte, faites des recherches, enfin le jour viendra où la réalité sera admise par tous le monde
Bien joué messieurs les médias de gauche etc…et ceux qui baissent leur pantalon de droite en écoutant Lelouche ce matin je tombe sur mon séant en restant poli, voilà donc pourquoi France Soir doit disparaître,merci à vous JG de nous éclairer j’espère que ce texte va faire le tour du monde
Il y a une intervention de Bernard Lugan sur son site : « Algérie : la Turquie a la mémoire courte ».
« Les déclarations du Premier ministre turc, Monsieur Erdogan, à propos du « génocide » que la France aurait commis en Algérie, relèvent à la fois de l’hystérie verbale et de la plus grotesque manipulation historique.
De plus, Monsieur Erdogan est bien mal placé pour parler de « génocide » en Algérie, région qui fut durant trois siècles une colonie ottomane sous le nom de Régence d’Alger (Wilayat el-Djezair en arabe et Gezayir-i Garp en turc), et dans laquelle les janissaires turcs s’illustrèrent par leurs méthodes particulièrement brutales et expéditives. […] »
http://www.bernardlugan.blogspot.com/2011/12/algerie-la-turquie-la-memoire-courte.html
Erdogan, Juppé, Hollande, trio de castrés…aucun sentiment de nationalisme qui soit.
1 millions d’Israéliens en moins en vacances en Turquie, et presqu’autant si ce n’est beaucoup plus, les Français n’iront pas cet été là-bas…Vous allez voir cela ne va pas le faire revenir sur ses paroles:sinon économiquement (et comiquement d’ailleurs), de quoi ils vont vivre…
Pareil pour quelques pays du Maghreb,(comme la Tunisie), qui ne peuvent survivre sans tourisme…La seule arme que nous ayons, puisque nous n’avons pas de pétrole, et absolument plus d’idées.
N’oubliez-vous pas le tourisme islamique ?
Mais vous croyez que la Turquie vis uniquement du tourisme??? Je pense pas que le secteur du tourisme a contribué au 8% de croissance
Vous me faites bien rire 🙂
content de vous voir rire sur des sujets aussi sérieux.
C’est vrai que nos éminents fabricants y font faire leurs pulls et autres jeans,mais vérifiez les chiffres de leur tourisme, et vous verrez comme cela les enquiquinne, et allez voir là-bas, à part la capitale, on se demande ce qu’ils font.
Bravo Mr Del Valle !
Votre vaste culture est précieuse et indispensable.
Elle nous éclaire et nous fournit des armes.
On risque malheureusement d’en avoir besoin un jour.
JUSQU’Où ira la connerie islamique ?
Un imam turc accuse le père Noël de ne pas être « honnête »
Un imam turc a accusé le père Noël de ne pas être « honnête » car il utilise les cheminées pour déposer des cadeaux dans les maisons au lieu d’entrer par la porte, rapportait hier la presse turque. « Le père Nöel s’introduit par les fenêtres et les cheminées. S’il était quelqu’un d’honnête, il entrerait par la porte, chez nous il en va ainsi », a dit Süleyman Yeniçeri, l’imam de Kesan, une ville du nord-ouest de la Turquie, cité par le journal Hürriyet.
L’imam a également assuré que le Coran appelait les croyants à entrer dans leur maison « par la porte », et a rappelé aux musulmans que « Noël n’est pas notre fête », les invitant surtout à ne pas consommer d’alcool. La Turquie, officiellement à 99 % musulmane, ne fête pas Noël, et les hommes de religion appellent régulièrement les fidèles à ne pas respecter les rituels chrétiens.
Selon la légende, le personnage du père Noël est largement inspiré de saint Nicolas, un évêque et patron des enfants de l’antique Myre, aujourd’hui Demre, située dans la province turque d’Antalya (Sud), qui vécut au Ier siècle après J.-C. en Anatolie.
LE DOUBLE LANGAGE D’ERDOGAN
Erdogan et les Arabes : La religion au service du commerce et de l’OTAN
La popularité de Recep Tayyip Erdogan et du «modèle turc» semblent à leur apogée au
Proche-Orient et en Afrique du Nord, deux régions qui connaissent depuis un an des
bouleversements politiques d’une grande ampleur (1). L’accueil, qui a été réservé au
Premier ministre turc en Egypte (2), en Tunisie et en Libye, lors de la visite qu’il a
effectuée dans ces trois pays en septembre 2011, indique qu’une partie de leur opinion
(3) voit en l’Etat turc «islamisé» un exemple à suivre, car conciliant «l’authenticité»
et la modernité, d’un côté et, de l’autre, le «développement» économique et l’attachement
à l’indépendance vis-à-vis des grandes puissances.
Telle qu’elle peut être déduite par d’innombrables articles publiés dans la presse,
l’image de la Turquie pour l’opinion arabe pro-turque est celle d’une force montante, qui
entend doubler son essor économique (17e meilleur PIB en 2010, selon le FMI) d’une
indépendance politique accrue vis-à-vis de l’OTAN, de l’Union européenne (UE) et du si
encombrant partenaire israélien. Le Premier ministre turc doit sa bonne fortune arabe à
sa dénonciation régulière du blocus imposé par Israël à la bande de Ghaza. Il la doit
aussi aux campagnes turcophiles d’élites issues, pour certaines, des Frères musulmans,
qui rêvent d’une «turcisation» de pays comme l’Egypte qui, pour les besoins symboliques
de la cause «néo-ottomane», présentent le «modèle turc» comme une réincarnation tardive
du Califat disparu en 1924.
Ces élites sont d’autant plus engagées dans la défense de ce «modèle» que leur proximité,
réelle ou feinte, avec les dirigeants de l’AKP, peut être fructifiée politiquement – et
même électoralement. Il n’est pas inutile de relever, à ce propos, que tous les Frères
musulmans ne voient pas d’un œil favorable les tentatives de la Turquie de rebâtir son
leadership dans la région. Lors de la visite d’Erdogan en Egypte, un responsable égyptien
de cette confrérie, Essam Al Aryane, a déclaré : «Nous voyons en lui un des dirigeants
les plus en vue de la région, mais nous ne pensons pas que son pays, à lui seul, puisse
la diriger ou planifier son avenir (4).»
Les succès turcs sont-ils des «succès islamistes» ?
Pour les élites arabes turcophiles (5), les positions anti-israéliennes d’Erdogan
indiquent une mutation qualitative de la politique extérieure turque. C’est sans doute
vrai, mais ces positions ont des antécédents qui datent, paradoxalement, de l’époque du
«pouvoir laïque» radical. Quand la Turquie voulait renégocier ses relations avec son
allié euro-américain (ou gagner à sa «cause chypriote» de nouveaux soutiens), elle se
tournait souvent vers le Monde arabe. Ainsi, pendant la Guerre d’octobre 1973, elle a
interdit à l’armée américaine d’utiliser ses bases situées en territoire turc pour aider
Israël. Deux ans plus tard, en 1975, elle a reconnu l’OLP en tant que représentant
légitime du peuple palestinien (6). En décembre 1980, en pleine tension avec la
Communauté européenne, et afin de souligner sa proximité politique avec ses voisins
arabes suite à l’annexion de Jérusalem-Est, elle a ramené ses relations avec Tel-Aviv au
niveau de «représentation des intérêts», bien en deçà du niveau de «représentation
consulaire» qui était le leur depuis 1949.
Les élites arabes pro-turques évoquent les succès économiques de la Turquie (un taux de
croissance de 9% en 2010, selon le FMI, et un taux prévisionnel de 6,6% en 2011, en dépit
des turbulences que traverse l’économie internationale) comme le fruit de la «bonne
gouvernance» de ces deux partis et de l’efficacité industrieuse de la nouvelle
bourgeoisie conservatrice qu’ils ont contribué à faire émerger.
Or, les politiques économiques du Refah-AKP s’inscrivent dans la continuité de celles
appliquées dès la première moitié des années 1980 par le gouvernement de Torgut Özal et
qui, elles aussi, visaient la construction d’une économie orientée vers l’export, plus
attractive pour les capitaux étrangers (en pleine crise financière mondiale, le volume
prévisionnel des IDE en 2011 est de 10 milliards de dollars !).
Les exportations turques, de 3 milliards de dollars en 1980, sont passées à 28 milliards
en 2000, à 46 milliards en 2003 et à 113 milliards en 2010. Leur croissance reflète une
formidable extension du tissu industriel turc. Surtout, elle impose à la Turquie de
rechercher, dans son environnement immédiat (Proche-Orient) et plus ou moins éloigné
(Afrique du Nord), de nouveaux débouchés pour sa production industrielle (94% du total de
ses exportations en 2008). Cette recherche est d’autant plus impérative que paraît
s’éloigner, pour l’instant, la perspective de l’adhésion à l’UE à laquelle l’AKP n’a pas
renoncé, tout attaché qu’il soit à l’«identité musulmane».
Un débouché miraculeux pour l’industrie turque
Il est légitime de s’interroger si les islamistes ne sont pas les meilleurs exécutants du
projet de conquête des marchés des pays arabes par les hommes d’affaires turcs de toute
obédience, et ce, grâce à l’exploitation des liens culturels et religieux entre la
Turquie et ces pays. Il n’est pas exclu que la coïncidence entre la «panne» de
l’intégration à l’UE (l’évocation par l’ancien responsable de l’Elargissement de l’UE,
Olli Rehn, en mars 2007, de l’éventualité de l’arrêt des «négociations d’adhésion») et la
confirmation de la popularité de l’AKP (la victoire aux législatives anticipées de
juillet 2007) ait achevé de persuader de nouveaux secteurs de la bourgeoisie turque que
ce parti défend leurs intérêts au-delà de leurs espérances.
Vue sous cet angle, celui des intérêts du capitalisme turc – et bien qu’elle s’accompagne
d’une crise réelle des relations avec Israël –, l’expansion turque dans la région arabe
est principalement économique. Elle pourrait être considérée comme une concrétisation
partielle du rêve du MSP (Parti du salut national), fondé en 1973 par le père de
l’islamisme turc Necmetin Erbakan qui, comme le rappelle le politologue français Jean
Marcou, «(préconisait) la construction d’un marché commun musulman, où la Turquie
pourrait écouler ses produits» (7).
Pour Erdogan «les relations turco-arabes dépassent les intérêts économiques vers des
horizons plus larges, qui concernent les visions stratégiques et les préoccupations
communes, au premier plan desquelles figure la question palestinienne» (le quotidien
égyptien Al Shourouk, 12 et 13 septembre 2011). Il n’empêche que lors de sa visite en
Egypte, en Tunisie et en Libye, il était accompagné de dizaines de chefs d’entreprise.
Contrairement à ce que pourrait le laisser croire le soutien d’Erdogan au sit-in de la
place Al Tahrir au Caire, en février 2011, les islamistes turcs se sont toujours peu
souciés de ce que pouvaient penser les peuples du Monde arabe des régimes qui les
gouvernent.
Bien avant le Printemps arabe, la présence des firmes turques en Egypte et en Libye (8)
se renforçait et la promesse d’une conquête commerciale d’autres pays arabes se
dessinait, surtout après la proclamation, en janvier 2011 (soit quelques semaines avant
l’intifadha égyptienne), de la constitution d’une zone de libre-échange entre la Turquie,
la Jordanie, la Syrie et le Liban. Dans le cas de la Libye, cette politique a eu pour
éloquent symbole l’acceptation par Erdogan du «Prix Kadhafi des droits de l’homme» le 1er
décembre 2010, deux mois et demi seulement avant les premières manifestations contre le
pouvoir du despote libyen.
Difficile autonomie vis-à-vis de l’OTAN
Si l’on met de côté les discours sentimentalistes qui voient en la Turquie l’embryon d’un
nouvel Empire ottoman, son émancipation des entraves de l’alliance stratégique avec l’UE
et les Etats-Unis paraît d’autant plus difficile qu’elle est contrariée par ce pacte
tacite entre l’AKP et le capitalisme turc, qui n’a pas encore fait son deuil de
l’intégration à l’UE (46% des exportations turques en 2008). Et quand bien même une
radicalisation «anti-occidentale» de l’AKP serait possible, beaucoup de temps serait
nécessaire à celui-ci pour édifier un bloc turco-arabe solide dans un contexte régional
des plus troubles. Jusqu’à présent, la détermination de la Turquie à améliorer ses
relations avec le Monde arabe n’est pas entrée en contradiction avec sa loyauté envers
ses «amis» européen et américain.
Pour le chercheur à l’IRIS Didier Billion, il n’y a nul «risque de basculement d’alliance
de (cet Etat), qui sait très bien qu’(il) peut avoir un rôle important dans la région
parce que, justement, (il) continue à faire partie de l’OTAN et qu’(il) a des relations
de négociations, certes très compliquées, avec l’Union européenne (9)». Le régime
d’Erdogan a fourni deux récentes preuves de sa subordination stratégique à l’OTAN. La
première a été la décision prise le 1er septembre 2011 (la veille de l’annonce du gel de
la coopération militaire avec Israël), d’autoriser le déploiement, sur le sol turc, d’un
système de radars expressément destiné à parer le danger d’attaques iraniennes contre
l’Europe.
La seconde preuve a été son attitude changeante vis-à-vis du conflit en Libye : après
s’être opposé à l’intervention militaire internationale dans ce pays, il s’est résigné à
participer à la surveillance des côtes libyennes, tout en œuvrant à faire passer cette
contribution à l’effort de guerre atlantiste pour une «mission humanitaire» (soigner les
blessés à bord des navires de guerre turcs). L’étroitesse des liens de la Turquie à ses
vieux alliés explique également que ni les Etats-Unis ni l’UE ne montrent de signes de
peur de l’exportation du «modèle turc» en Tunisie ou en Egypte. Que ces pays soient
gouvernés par des islamistes ne les effraie pas tant qu’ils ne contestent pas l’hégémonie
euro-américaine au Proche-Orient et en Afrique du Nord, à défaut d’accepter la présence
des forces de l’OTAN sur leur territoire.
Notes :
(1) Cet article a paru dans le numéro 32 de la revue Afkar-Idées
(http://www.afkar-ideas.com) et est publié ici avec son aimable autorisation.
(2) Un des slogans qui ont accueilli Recep Tayyip Erdogan lors de sa visite en Egypte, en
septembre 2011 est «Nous voulons l’Erdogan arabe» («Pourquoi il n’y a pas d’Erdogan
arabe», Wahid Abdelmadjid, le quotidien panarabe Al Hayat, 25 septembre 2011).
(3) Selon une enquête menée par un think tank turc (août et septembre 2010), 66% des 3000
ressortissants de sept Etats du Proche-Orient interrogés jugent que «la Turquie peut être
un exemple» en ce qu’elle serait «une synthèse entre islam et démocratie». La Turquie et
les révolutions arabes, Didier Boillon (chercheur à l’Institut des relations
internationales et stratégiques, IRIS, France), Le Monde, 5 mai 2011.
(4) Al Jazeera Net, 15 septembre 2011.
(5) L’éditorialiste islamiste égyptien, Fahmi Howeidi, est, en Egypte, un des
représentants de ces élites turcophiles.
(6) Nous devons ces rappels de l’histoire des tensions entre la Turquie et Israël à
l’article de Jean Marcou, professeur à l’Institut d’études politiques de Grenoble,
intitulé Turcs et Arabes : vers la réconciliation ? (Qantara, n°78, janvier 2011,
dossier : «Turcs et Arabes : une histoire mouvementée»).
(7) Voir la note n°6.
(8) Quelque 200 entreprises turques opèrent en Egypte et 75 en Libye. En Tunisie, c’est
une entreprise turque qui gère l’aéroport international d’Enfidha-Hammamet après l’avoir
construit pour 550 millions d’euros. (Cf. «La Turquie recherche une influence politique
et surtout économique dans les pays du Printemps arabe», le site de Radio France
internationale, 16 septembre 2011).
(9) Cité dans l’article de Monique Mas, «La diplomatie turque à l’heure des révolutions
arabes», (www.rfi.fr, 12 septembre 2011).
JB
Regardez vite la video avant qu’elle disparaisse du web ….
Avec une telle vérité le parlementaire Autrichien dit des faits concrets ………………
Cliquez sur le lien ci-dessous :
http://www.youtube.com/watch?v=jmkO7IY4vVM