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De gauche à droite : David Littman, alias “Mural”, le Président israélien Shimon Pérès et Shmuel Toledano, numéro 2 du Mossad et adjoint du légendaire directeur Isser Harel.
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Michel Garroté – RIP David Littman – J’ai fait la connaissance de Feu David Littman et de Bat Ye’or en 1983 à Genève. Depuis, leurs œuvres respectives m’ont souvent guidé. J’aimerais simplement narrer ici une étape peu connue de son parcours. Feu David Littman, mari de l’auteur Bat Ye’or, fut représentant d’ONG à l’ONU. Peu savent en revanche qu’il a été sayan (“volontaire”) pour le Mossad (“volontaire”, une façon de parler puisqu’il était jeune et croyait travailler à l’époque des faits pour une organisation humanitaire…). Pendant plus de vingt ans, Littman a combattu l’emprise des pays islamiques sur les Nations Unies avec son flegme légendaire. Le 5 mars 1987, David Littman fut le premier à inviter le très célèbre dissident soviétique Nathan Sharansky à parler à l’ONU. La délégation de l’URSS quitta la salle en signe de protestation. Aucun orateur n’a autant dérangé les dictatures du Moyen Orient. En 2009, Littman était à nouveau pris à parti par l’ambassadeur d’Egypte en plein Conseil des Droits de l’Homme, après avoir suscité l’ire du Pakistan. En 2008, il provoquait un tollé en évoquant les droits des femmes en pays musulmans. Ce courage ne lui était pas nouveau.
En effet, en 1961, le jeune idéaliste qu’était Littman atterrissait au Maroc où, à 27 ans, il devenait un agent sous couverture afin d’aider des enfants juifs du royaume à rejoindre Israël. L’alya était interdite à l’époque, et les Juifs subissaient humiliations et persécutions dans un monde arabe enflammé par le nationalisme nassérien. Quelques mois avant que Littman n’ait débuté sa mission, la sécurité marocaine démantelait un réseau d’immigration clandestine du Mossad. Les agents capturés furent impitoyablement torturés. Mais le Mossad refusa de laisser tomber les Juif du Maroc. Il décida de monter une nouvelle opération et alloua d’importants moyens à ses réseaux marocains. Le légendaire directeur général de l’époque, Isser Harel, qui venait de capturer le nazi Adolf Eichmann en Argentine, avait nommé Alex Gatmon comme chef de station à Casablanca. Gatmon comptait parmi les agents les plus expérimentés du service Au sommet, à Tel Aviv, la mission était supervisée par le numéro 2 du Mossad, Shmuel Toledano, un spécialiste du monde arabe. L’opération était officiellement chapeautée par l’Agence Juive et une ONG, l’Œuvre de Secours aux Enfants (OSE), basée à Genève.
Le principe était d’envoyer quelqu’un au Maroc, faire sortir les enfants du pays sous un faux prétexte et les transférer en secret vers Israël. Le Mossad trouva en Littman, à l’époque âgé de 27 ans, l’homme providentiel. Il lui donna un code, “Mural”. Entre mars et juillet 1961, David Littman se présenta à la bonne société de Casablanca comme un Anglican venu au Maroc promettre des vacances à des enfants défavorisés. Aux autorités marocaines, il expliqua que son ONG avait monté une colonie à Morgins, en Suisse occidentale. Appuyé par sa femme Gisèle, et avec Diana, leur bébé de 5 mois, le jeune Anglais organisa le départ clandestin de centaines d’enfants juifs. Littman ignorait qu’il travaillait avec les services secrets israéliens ; il pensait œuvrer pour une organisation humanitaire (OSE) et pour l’Agence juive. Pourtant, ce sont ses contacts avec des agents du Mossad au Maroc, “Georges” (Gad Shahar) et “Jacques” (Pinhas Katsir), qui lui permirent d’accomplir sa mission au-delà de toutes espérances. Transmissions secrètes, rencontres clandestines, fausse identité, Littman passa 130 jours en territoire hostile, dans des conditions exceptionnellement difficiles.
S’il avait été découvert, il aurait encouru la prison à vie et peut-être même la mort. Grâce à son ingéniosité et son sens inné de la communication, Littman permit à 530 enfants de rejoindre Israël. Les “passeports collectifs” que Littman imposa furent réutilisés par le Mossad pour négocier avec le roi Hassan II le départ des Juifs marocains : 100’000 d’entre eux purent émigrer en Israël pendant “l’Opération Yakhin”, entre 1962 et 1964. David Littman fut célébré en Israël le 1er mai 1986 par le Premier ministre Shimon Pérès, son député Yitzhaq Shamir, ainsi que le maire de Jérusalem Teddy Kollek ; puis à nouveau début janvier 2004 à Ashdod par le Ministre de la Défense Shaul Mofaz. Cette page inconnue de l’histoire d’Israël a été révélée dans un documentaire (“Opération Mural” : Casablanca 1961) diffusé en Israël à deux reprises sur la première chaîne télévisée, dans des festivals juifs partout dans le monde et à la Télévision francophone canadienne. Le 1er juin 2008, les époux Littman, leurs deux filles et trois petites-filles, ainsi que tous les acteurs de l’opération avaient été reçus dans la demeure du Président Shimon Pérès à Jérusalem pour commémorer l’Opération.
Michel Garroté
Reproduction autorisée avec mention du blog
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Je me souviens bien de l’article publié sur drzz (ou déjà dreuz ? Le temps passe si vite) – par Michel déjà il me semble – de la réception en l’honneur de David Littman et en souvenir de l’opération Mural.
Son oeuvre reste et David Littman est vivant dans le coeur de nombreuses personnes qui lui doivent, sinon la vie, d’être parmi les leurs en Israël.
En lisant cet article, je me suis remémoré une image de mon enfance dans le sud algérien où les aléas de la vie militaire avaient envoyé mon père.
Dans la ville, que l’on qualifiait “d’indigène” à l’époque, dans une ruelle donnant sur la place du marché vivait au moins une famille juive pratiquant un artisanat apprécié par les français résidant là-bas. Plateaux en cuivre ciselé, coffrets en bois odorant, petits meubles sculptés et autres menus objets. L’échoppe minuscule baignait dans une pénombre qu’éclairait seule la faible lumière entrant par la porte qu’il fallait franchir courbé. Une indicible ambiance y régnait, comme une odeur d’extrême pauvreté, de dépouillement absolu. Quelques silhouettes drapées de noir, immobiles et silencieuses, complétaient le décor.
C’est en lisant Bat Ye’or que ces images sont remontées à la surface, illustrant ainsi d’une manière à la fois poignante et d’un réalisme extrême, ce qu’était alors la condition des dhimmis, ce dont je n’avais aucune idée à l’époque, dans le monde musulman.
C’est en lisant votre article pathétique sur David Littman que je me suis demandé ce que pouvait être devenue cette ou ces familles exilées loin de tout. Comment en étaient-ils arrivés à vivre dans cette région saharienne? Avaient-ils pu survivre et sortir de cet enfer?
Je n’en saurais probablement jamais rien et je ne sais pas si les juifs d’Algérie ont pu profiter de l’aide d’un autre David pour les sortir de cette géhenne. Aujourd’hui encore j’ai l’estomac noué en évoquant cette image. J’éprouve en même temps une sourde et violente colère pour ces antisémites stupides et monstrueux qui n’ont eux rien d’humain face à ces pauvres gens témoignant eux, d’une véritable humanité souffrante et martyrisée.
Merci, si vous le pouvez, de transmettre mes plus sincères condoléances à son épouse ainsi que le témoignage de mon admiration pour le remarquable et si indispensable travail de vérité qu’elle nous a délivré.