Publié par Guy Millière le 2 juin 2012

Par Guy Millière et Philippe Karsenty

Quand l’euro a commencé à être mis en circulation sous sa forme fiduciaire, en janvier 2002, nous étions de ceux qui étaient très sceptiques sur ses chances de survie.

Nous n’étions pas seuls : de nombreux économistes partageaient ce diagnostic. Pourquoi ? Parce que la zone euro regroupait des pays qui avaient des cultures différentes, des systèmes politiques différents, des systèmes sociaux divergents et des structures économiques très distinctes les uns des autres. Ce qui séparait les pays de la zone euro les uns des autres ne nous semblait pas susceptible d’être comblé. Les écarts nous paraissaient à même de se creuser. La seule possibilité éventuelle d’éviter que les écarts se creusent aurait été un renforcement du fédéralisme européen, et la mise en place d’une forme d’union politique qui n’était pas à l’ordre du jour, et que les peuples européens refusaient.

Ce qui devait se produire s’est produit. Certains pays de la zone euro ont fait des gains de productivité considérables, d’autres pas. Certains pays de la zone euro ont restructuré leurs systèmes sociaux et leur appareil administratif de façon à rendre le travail moins coûteux et le poids de l’Etat moins lourd, d’autres ont stagné sur ces plans ou sont allés carrément dans le direction inverse. Certains pays disposaient d’atouts industriels et entrepreneuriaux importants et les ont fait fructifier, d’autres pays, qui ne disposaient pas des mêmes atouts ont décroché, lentement d’abord, puis de plus en plus vite.

Quand des disparités de ce genre prennent place entre divers pays, la variable d’ajustement est en général le taux de la monnaie, qui se réévalue quand un pays est très dynamique, et se dévalue quand le pays est moins dynamique. L’euro impliquant par définition un taux fixe, puisqu’il est la monnaie unique de la zone euro, d’autres variables d’ajustement ont joué : les déficits budgétaires et commerciaux, l’endettement, puis le chômage et l’essoufflement de la croissance dans les pays prenant du retard.

Nous sommes arrivés au moment où plusieurs de ces pays en retard sont confrontés à des difficultés de paiement, en raison d’un endettement trop important, d’erreurs d’investissement massives, de déficits suscitant l’inquiétude des marchés financiers. Les pays concernés ont reçu des aides d’urgence et se sont vus demander d’opérer des réformes drastiques. Celles-ci ont été définis comme des « plans de rigueur ». La rigueur en question équivaut à exiger d’eux qu’ils retrouvent des budgets en équilibre, ce qui passe par des hausses d’impôts et de taxes et par une diminution des dépenses publiques. Elle entraîne un chômage plus élevé encore, une croissance nulle ou négative. A terme, la dévaluation qui n’a pu s’opérer par la dévaluation de la monnaie est censé s’opérer par la baisse du pouvoir d’achat et des salaires. Des spirales déflationnistes se trouvent enclenchées qui ont conduit l’Irlande, la Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Italie au bord du gouffre.

Malgré la « rigueur » extrême, la Grèce ne semble pas près de se relever et paraît plutôt s’approcher de la banqueroute. L’Espagne paraît suivre le même chemin. On saura le 17 juin si la Grèce prend le chemin d’un sortie de la zone euro : cette sortie paraît difficilement évitable. Si la Grèce sort de la zone euro, d’autres pays pourraient suivre. Un effet domino pourrait se trouver enclenché, et la France elle-même pourrait être touchée.

Faut-il en déduire que l’euro va s’effondrer ?

La zone euro telle qu’elle fonctionne aujourd’hui n’est pas viable. Les plans de rigueur requis pour tenter de la rendre viable à nouveau impliqueraient des années de chômage élevé et de croissance nulle ou négative dans tous les pays du sud de l’Europe. Et, au vu des disparités qui se sont creusées, on peut même se demander si les plans de rigueur pourraient finir par la rendre effectivement viable.

Peut-on penser que les mesures de « croissance » proposées par le nouveau gouvernement français sont susceptibles de constituer un remède et pourraient être adoptées ? La réponse est non dans les deux cas. Mutualiser les dettes par le biais d’ « eurobonds » équivaudrait à demander à l’Allemagne de payer l’endettement supplémentaire de pays déjà surendettés. Demander à la Banque Centrale Européenne de monétiser directement la dette des pays les plus endettés, et de prendre des mesures inflationnistes, sera refusé par les pays les mieux gérés, qui n’entendent pas payer par l’inflation généralisée les sinistres subis par les pays moins bien gérés et moins productifs.

Des mesures telles celles suggérées par l’Allemagne et la Banque Centrale Européenne, en l’occurrence davantage de flexibilité, et, de fait, davantage de rigueur encore, sont-elles susceptibles d’être acceptées par les pays moins bien gérés et moins productifs ? On peut en douter. Tout comme on peut douter que ces mesures seraient suffisantes.

Dès lors ? Deux issues sont possibles.

Soit une union politique est imposée quasiment de force aux pays de la zone euro, et les pays mieux gérés et plus productifs acceptent quand même de se sacrifier, de payer et de changer le statut de la Banque Centrale Européenne aux fins qu’elle puisse faire de l’inflation. Et la zone euro survivra encore quelques années, rongée de l’intérieur par ses dysfonctionnements.

Soit la zone euro éclatera. Plusieurs pays retrouveront leur monnaie et devront la dévaluer. Ce qui aura des répercussions sur toute l’économie de la planète et produira l’effet domino tant redouté. Un euro pourra subsister qui sera la monnaie commune des pays les mieux gérés et les plus productifs, avec l’Allemagne comme puissance dominante. La France aura beaucoup de mal à se maintenir dans la nouvelle zone euro, et, pour y parvenir, devrait de toute urgence prendre des orientations très différentes de celles énoncées par le nouveau gouvernement français. L’effet domino pourrait-il faire qu’un banqueroute de la Grèce, puis de l’Espagne conduise à une banqueroute de la France ? Ce n’est pas impossible. Cela aurait alors des conséquences sur l’épargne, sur les pensions, sur les salaires, sur les entreprises en France.

Des mouvements de l’épargne et des capitaux ont lieu depuis des semaines.

Des centaines de millions d’euros ont quitté la Grèce et quittent l’Espagne en direction de l’Allemagne, des Pays Bas, du Royaume Uni. Des mouvements du même type ne s’observent pas en France aujourd’hui, ou pas au même degré. Ils pourraient venir.

Nous étions, voici dix ans, sceptiques sur les chances de survie de l’euro. Nous nous attendions à ce que l’euro soit une aventure qui tourne à la tragédie. Peut-on espérer encore que le pire sera évité ? Nous aimerions pouvoir répondre positivement.

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© Guy Millière Philippe Karsenty pour www.Dreuz.info

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