Publié par Abbé Alain René Arbez le 4 septembre 2012

On constate trop souvent que les chrétiens imaginent le dialogue avec des juifs un peu comme on discuterait avec des membres de toute autre religion non biblique telles que l’islam, l’hindouisme, le bouddhisme, les mouvements ésotériques, etc.

Un certain nombre d’entre eux ont bien une vague intuition qu’il y a un lien particulier entre christianisme et judaïsme, mais la plupart ont visiblement perdu le fil conducteur.

Des siècles d’amnésie ont dramatiquement creusé le fossé. Dans le meilleur des cas, ils pressentent que l’on peut puiser beaucoup de sources de la foi chrétienne dans le judaïsme, mais très peu conçoivent d’honorer ce lien en s’intéressant aux juifs d’aujourd’hui et à leurs traditions spécifiques.

Après le séisme de la shoah, l’Eglise a dû reconsidérer sa relation au judaïsme et aux juifs, d’abord dans la repentance pour ses complaisances criminelles avec l’antisémitisme, puis dans la reformulation de sa dépendance envers l’expérience spirituelle d’Israël, en dehors de laquelle le christianisme s’effondre.

A la suite du Concile Vatican II, surtout de la déclaration Nostra Aetate, un nouvel élan a permis de poser les bases d’une lecture différente du Nouveau Testament. Le déicide et la substitution ont été abrogés. La prise en compte d’une épître aux Romains ainsi reconsidérée apporte un regard neuf sur le refus des juifs de reconnaître en Jésus le Messie d’Israël, ce choix inhérent à la liberté n’étant plus disqualifiant mais respectable. La voie chrétienne ne se permettra plus de démoniser la voie juive.

Même si d’éminents théologiens juifs ont montré leur désir de rapatrier Yeshua Ben Myriam sur le terrain midrashique, même si Benoît XVI cite abondamment le rabbin Jacob Neusner dans son livre sur Jésus, rien n’autorise les chrétiens à culpabiliser les juifs de ne pas voir en l’un des leurs le Fils de Dieu et le rédempteur du monde.

Cette relecture conciliaire post-shoah est nourrie des recherches exégétiques les plus pointues sur la judéité de Jésus, mais elle inclut en même temps dans le plan de Dieu la non reconnaissance messianique de Jésus par les juifs. Cette approche nouvelle ne prétend plus que le christianisme « accomplirait » l’imperfection du judaïsme. Elle est cependant convaincue de ce que les juifs sont les « frères aînés » des chrétiens, comme aimait l’exprimer Jean Paul II, dont la formule sur « l’alliance avec Israël jamais révoquée » a ouvert des perspectives prometteuses.

De plus, Jean Paul II a souligné avec force que cette judéité de Jésus n’est pas accidentelle. « Ce n’est ni un fait de nature ni un fait de culture. C’est un fait surnaturel. » Le pape avertit : couper Jésus de son enracinement juif, c’est en faire une sorte de « météore tombé par hasard dans l’histoire humaine. C’est rendre son mystère et son message incompréhensibles ».

Il est un fait que Jésus et ses talmidim n’ont agi que dans le cadre de la religion d’Israël. Leur enseignement s’est alimenté aux doctrines pharisiennes et ont développé une éthique centrée sur la personne et la communauté, sans jamais oublier la priorité de la Parole de Dieu. Le rabbin Gilles Bernheim estime que pour les premiers membres du mouvement de Jésus, le rabbi charismatique représentait une « Torah vivante », une incarnation particulièrement parlante de l’alliance dans les situations quotidiennes et face à l’avenir.

Au fond, cela revient à dire que le christianisme et le judaïsme sont deux religions sœurs issues du même tronc hébraïque. Les lignes forces de ce qui serait le christianisme se sont précisées à l’intérieur du judaïsme d’alors, qui lui-même s’est redéfini un peu plus tard au moment de Yavné dans le cadre rabbinique.

C’est pourquoi le cardinal Martini a pensé la relation entre judaïsme et christianisme comme un schisme tragique qui portait en germe les schismes qui suivraient. Selon lui, la séparation entre la Synagogue et la communauté messianique de Jésus annonçait les ruptures successives entre Eglise catholique et orthodoxe, puis avec la Réforme protestante.

De ce fait, la seule clé des progrès de l’œcuménisme interchrétien réside dans la rénovation des relations entre chrétiens et juifs, dans la refondation de fondamentaux constituants, autour de l’alliance avec Israël, et du salut universel évoqué par les Saintes Ecritures.

Cela rejoint le constat historique du professeur Boyarin, théologien juif de l’Université de Berkeley, qui affirme : « le résultat de la révolution sociale dans le judaïsme du Second Temple, ce sont deux religions nouvelles que l’on connaît sous le nom de judaïsme rabbinique et de christianisme ».

Il est vrai que, malgré leur patrimoine commun substantiel, judaïsme et christianisme sont deux communautés religieuses distinctes, mais ce qui les relie en profondeur est encore loin d’avoir été entièrement mis en valeur. Cela devrait pouvoir désormais se réaliser dans un esprit de fraternité et de compréhension spirituelle réciproque.

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© Abbé Alain René Arbez pour www.Dreuz.info

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