Publié par Alexandre Del Valle le 7 novembre 2012

Lors du “Printemps arabe”, les femmes ont montré qu’elles ne voulaient pas être absentes de cette page de l’histoire. Mais les avantages qu’elles tirent de ces révolutions sont pourtant bien maigres.

Au début des révolutions arabes, les femmes ont joué un rôle crucial, estimant que la chute des régimes dictatoriaux et la démocratisation allaient contribuer à améliorer leur statut et leur sort peu enviable. Deux ans plus tard, après l’arrivée au pouvoir des islamistes au Caire, à Rabat, à Tunis ou ailleurs, la déception est grande. Les femmes sont les grandes oubliées, avec les forces laïques, dans les nouvelles Constitutions, toutes plus ou moins fondées sur la charià ou réhabilitant l’islam comme source du pouvoir. Il est vrai que la charià était déjà l’une des références des Constitutions des pays arabo-musulmans, même en Syrie ou en Libye. Les ambitions des défenseurs de leurs droits ont donc été revues à la baisse, les femmes se limitant désormais à tenter de préserver leurs rares acquis…

une femme n’aurait pas la capacité intellectuelle et scientifique pour diriger un média musulman

En Tunisie, les femmes, qui ont joui depuis 1956 (Bourguiba) d’un statut unique, ont désormais peur pour leurs droits. Le parti islamiste au pouvoir, Ennahda, a déjà fait une concession aux salafistes en décidant que toute personne qui porterait atteinte au “Sacré” sera punie… ce qui a déjà été le cas de nombreux scénaristes, écrivains et journalistes. Les salafistes et la base d’Ennahda agressent impunément dans la rue les laïcs et les femmes “indécentes”, ceci sous l’œil bienveillant ou passif d’Ennahda, qui a voulu faire inscrire dans la Constitution le fait que la “femme est le complément de l’homme”, conformément à la charià… Depuis, les femmes se sont mobilisées en masse, notamment en août 2012, dénonçant le fait que le gouvernement islamiste Ennahda tolère les multiples atteintes aux droits des femmes dans les espaces publics. On peut citer notamment la triste affaire d’une jeune femme violée par trois policiers, en septembre 2012, et qui a été accusée d’”atteinte à la pudeur” au lieu d’être défendue, le porte-parole du ministère de l’Intérieur ayant déclaré que la victime du viol avait été interpellée dans une “position immorale” avec son fiancé. Comme si cela pouvait justifier le viol, s’est insurgée Saïda Garrache, l’une des avocates de la victime. A la faculté de la Manouba, près de Tunis, les salafistes tentent d’imposer le niqab et menacent les étudiantes dévoilées et les dirigeants de l’université. Ils ont même expulsé de son bureau la directrice de la radio religieuse Zitouna, au prétexte qu’une femme n’aurait pas la capacité intellectuelle et scientifique pour diriger un média musulman

aucun article de la nouvelle constitution relatif à l’égalité homme-femme

En Egypte, le bilan est peu réjouissant : les femmes, qui se sont pourtant battues en première ligne lors du printemps arabe, voient leurs statut et droits régresser. Depuis l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans et du Président Morsi, la charià a été officiellement réaffirmée comme source principale de la loi, et la nouvelle Constitution, qui repose sur la charià, ne comprend aucun article relatif à l’égalité homme-femme, n’octroyant à celles-ci qu’un accès limité aux listes électorales. Nombre de révolutionnaires laïcs et de cyberdissidents femmes ont été arrêtés, incarcérés et même torturés. Nombre de femmes arrêtées sont soumises par la police à des “tests de virginité”. Pire encore, des dirigeants du parti PLJ au pouvoir (Frères Musulmans) font actuellement campagne pour faire abolir la loi qui interdit la pratique barbare de l’excision des jeunes filles, présentée comme un must de piété islamique et de la vertu des femmes… Il existe même maintenant une chaine de télévision entièrement consacrée aux femmes en niqab.

Lors des dernières élections, on se souvient des affiches des candidates salafistes exhibant des fleurs en guise de visage… Les attaques et la banalisation du harcèlement sexuel dont les femmes sont quotidiennement victimes traduisent une véritable régression des droits et de la dignité des femmes égyptiennes. La plupart du temps, la police n’intervient pas, comme lorsque les chrétiens sont pris pour cibles par ces mêmes barbus salafistes. Pour avoir une idée du climat qui règne aujourd’hui en Egypte, il suffit d’écouter des sermons d’imams renommés comme Tag el Din Hilali, lequel explique, à propos des viols : “Si vous avez de la viande, et que vous la laissez dans la rue sans la couvrir, si les chats arrivent et la mangent, à qui la faute ? Si la femme était chez elle, dans sa chambre, derrière son hijab, il n’y aurait pas de problème”. Plutôt que de défendre les femmes agressées, la police égyptienne obéit à la charià, qui prévoit qu’un violeur est relâché s’il épouse la femme violée non encore mariée.

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Quant aux libyennes, qui ont participé à la révolution dès le début, elles ont été écartées du nouveau pouvoir issu des élections du 7 juillet, comme le déplore l’ONG Libyan Rights Organization. Leur statut ne s’est pas vraiment amélioré et le gouvernement, que l’on annonçait très féminin, ne compte en fait dans ses rangs que deux femmes. La charià est la source principale de la Constitution, et le Premier ministre, Ali Zeydan, en est – comme son prédécesseur, d’ailleurs – un garant, et son application inclut explicitement la polygamie…

Enfin, en Syrie, lorsque la dictature baassiste de Bachar el-Assad, dont la femme est occidentalisée et dévoilée, aura été remplacée par un régime islamiste sunnite, il y a fort à craindre pour les femmes. Suhair Atassi, figure de la révolte syrienne, rappelle dans ses colloques que “depuis le début de la révolution, 1600 femmes ont été violées, 1700 tuées et 1636 enfants ont été assassinés”. Quant à Randa Kassis, figure de l’opposition syrienne laïque en exil, elle-même militante féministe de longue date menacée par les islamistes, elle déplore le fait que les Occidentaux n’appuient pas les forces laïques, de plus en plus minoritaires et menacées par les rebelles islamistes, armés et financés par le Qatar, la Turquie et l’Arabie saoudite.

On nous dit qu’il ne faut pas avoir peur ; que les Frères musulmans sont moins extrémistes que les Salafistes ; qu’ils ne veulent pas appliquer “tout de suite” la loi islamique, ou encore qu’il existe une “charià soft” ou un “islamisme politique modéré”?

Il n’y a pas de charia ’light’ ou d’islamisme modéré

Mais comme l’a déclaré au Parisien en décembre 2011, Jeannette Bougrab, à propos de la montée des partis islamistes (Maroc, Tunisie, Egypte, etc.) “Il n’y a pas de charia ’light’ ou d’islamisme modéré (…) je ne soutiendrai jamais un parti islamiste. Au nom des femmes qui sont mortes, de toutes celles qui ont été tuées, notamment en Algérie ou en Iran, parce qu’elles ne portaient pas le voile.”

Il suffit pour s’en convaincre de regarder d’autres pays musulmans qui ont connu des révolutions islamiques ou rétabli la charià : partout, les femmes en ont payé le prix fort, même quand elles ont participé activement à la révolution islamique : Soudan, Iran, Algérie, Pakistan, Afghanistan, nord-Nigéria, Malaisie, Mali, etc. Partout où l’islamisme progresse, même sous forme “light”, comme en Turquie, les droits des minorités, la libre expression, les droits des femmes régressent. Une opinion partagée par Djemila Benhabib, auteur de l’essai : “Les soldats d’Allah à l’assaut de l’occident*”, et qui affirme que “la menace sur les femmes est grande depuis la montée fulgurante des islamistes”. Certes, peut-être que la révolution islamo-démocratique en cours en Egypte, en Tunisie ou au Maroc ne produira pas les mêmes effets qu’en Iran. Mais dans les pays arabes, les laïcs, les minorités, les athées, les mouvements progressistes ou libéraux et les féministes sont persuadés que les islamistes ont fait une OPA sur la révolution et qu’ils menacent ses acquis et ses espoirs.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Alexandre del Valle

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