Publié par Jean-Patrick Grumberg le 31 janvier 2013

mali_french_soldiers_400

Oui. Que cache la guerre invisible de la France au Mali ?

« En temps de conflit, il appartient aux journalistes et aux médias, et non à l’armée, de déterminer les risques qu’ils sont prêts à prendre pour recueillir de l’information, » déclarait furieux Reporters sans frontières dans un communiqué dénonçant le média « blackout » imposé par les militaires français et maliens.

La Grande muette a lancé son intervention militaire il y a deux semaines presque exclusivement en dehors des yeux des médias, un exploit « exceptionnel » à l’ère de Twitter, des smartphones et de Facebook, et lorsque les journalistes sont autorisés à « s’intégrer » aux troupes françaises, ils sont tenus à l’écart des opérations et sont limités à entendre des histoires marginales de logistique. Les autorités françaises n’ont organisé aucune conférence de presse à Bamako. Quant au chargé des rapports avec la presse à Bamako, c’est un “homme-orchestre”, dont la fonction essentielle consiste à référer les questions des médias à Paris… qui ne répond pas.

L’armée malienne a également restreint l’accès aux médias, aux journalistes, et aux organisations des droits de l’homme, les privant d’accès aux zones comme Konna et Sévaré, où des crimes, des exactions et des règlements de comptes ont été dénoncés par des témoins occulaires.

En plus des barrages routiers, là où les opérations sont en cours, les communications sont coupées, ce qui rend impossible toute vérification indépendante de ce qui se passe vraiment.

Destin Gnimadi (1), journaliste au quotidien malien Le Prétoire, a déclaré à Al Jazeera que le ministère de la Défense malien donne rarement des conférences de presse. « Nous sommes frustrés par le comportement de l’armée, qui ne nous laisse pas aller sur le terrain » a-t-il déclaré.

La guerre est sale par nature.

A quel point cette guerre est-elle sale, il est difficile d’en juger lorsque les médias sont écartés de la zone de conflit, et que de rares infos arrivent à filtrer. Reste alors des questions :

  • Plusieurs rapports indiquent que les islamistes utilisent des centaines d’enfants soldats dans leurs rangs. Combien sont-ils, combien ont été tués ?
  • Aucun chiffre officiel annonce le nombre de blessés et de morts civils, d’islamistes, de militaires maliens et français. Combien y a-t-il eu de morts jusqu’à présent ?
  • Personne ne connaît le nombre de prisonniers de guerre.
  • Personne ne sait si les prisonniers de guerre sont toujours détenus, et comment ils sont traités.
  • Le Comité international de la Croix-Rouge, qui a, dans tous les conflits, accès aux prisonniers, est incapable de donner aux médias la moindre information sur les prisonniers. Où sont-ils ? Où sont les lieux de détention ? Qui visite les blessés ? Combien y a-t-il de morts ?
  • Julie Remy, de Médecins sans frontières, a même déclaré à Al Jazeera qu’elle ne sait pas où les blessées, civils et militaires, sont soignés.
  • Alors qu’à Tombouctou, les correspondants locaux de MSF ont soignés 30 personnes, aucun blessés dans les combats à Gao, à Ansongo, à Konna, ne sont venus demander des soins au cours des combats, ajoute-t-elle. « Je ne comprends pas ce que cela signifie. Où vont-ils pour recevoir des soins ? », dit Julie Remy.
  • Une source qui a demandé à rester anonyme de peur de représailles, et qui a visité l’hôpital de Gao, a déclaré qu’il avait vu des dizaines de corps de combattants rebelles tués.
  • Et Kidal ? Diabaly ? Konna ? Niono ? Segou ? Douentza ? Léré ? Tombouctou ? : des villes bombardées, des combats avec les islamistes, et pas un seul blessé ?
Oumar MARIKO
Oumar Mariko

Dr Oumar Mariko, un homme politique de gauche qui a été deux fois candidat à la présidentielle, a déclaré à Al Jazeera que les Français « tentent de contrôler la façon dont la guerre est perçue ». « Leur version des faits est la seule chose qu’on entendra », a t-il ajoute. « Mais quand ce sera fini, les Maliens se parleront les uns les autres, et on apprendra rapidement la vérité, » conclut-il.

Vous aimez cet article ? Inscrivez-vous à notre newsletter pour recevoir les nouveaux articles de Dreuz, une fois par jour en fin d’après-midi.

La vérité commence à filtrer

Sidi Nemine, écrivain et journaliste mauritanien lâchait, laconique, au détour d’un article (2) : « la France et son armée aujourd’hui pointée du doigt pour des exactions commises dans les villes maliennes ».

Un autre journaliste, Momar Mbaye, n’hésite pas à parler sur Seneweb, un journal en ligne sénégalais, à contre courant de ses confrères français si prompts à dénoncer les va-t-en guerre israéliens, de « la « drôle » de Guerre au Mali : Entre désinformation, manipulation et propagande française »(4)

Les premières infos de civils tués par l’armée française

En fait, dès que l’armée a autorisé les journalistes à interroger les habitants, les infos sont arrivées. The Independent anglais (3) a ainsi révélé que douze villageois maliens ont été tués dans un raid de l’armée française, et quinze autre ont été blessés.

Un père raconte : un hélicoptère français a bombardé Konna, son village au Mali, et a tué sa femme et au moins trois enfants d’une famille voisine.

Amadou Jallo, 57 ans, a perdu son épouse Aminata dans l’attaque de Konna au cours duquel douze civils ont été tués et quinze autres ont été blessés.

Saida, son bébé de 1 an, a miraculeusement survécu à l’assaut, bien qu’il était sur le dos de sa mère quand l’hélicoptère a tiré. « Je remercie Allah que mon fils soit vivant. C’est un miracle qu’il n’ait pas été blessé » a déclaré Amadou.

Les civils ont été tués – dont trois enfants de moins de 11 ans – il y a deux semaines, quand les forces françaises ont chassé les islamistes de la ville de Konna, mais les faits n’ont été connus (et vite enterrés) que lorsque les troupes maliennes ont permis aux journalistes d’entrer à Konna le week-end dernier.

Une famille de quatre personnes, qui était en train de préparer le repas dans la cour de leur maison de Konna, a été également décimée lors du raid.

A Tombouctou « libérée », l’armée tarde à sécuriser les civils, dénonce Ely Abdellah (5), journaliste à l’Agence mauritanienne de presse. Il ajoute que des soldats maliens se livrent à des exactions contre les habitants de teint clair, « sous l’oeil amusé et ravi des soldats français ».

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour www.Dreuz.info

(1) http://www.aljazeera.com/indepth/features/2013/01/2013127154355125483.html
(2) http://www.cridem.org/imprimable.php?article=639131
(3) http://www.independent.co.uk/news/world/africa/revealed-how-french-raid-killed-12-malian-villagers-8468881.html
(4) http://www.seneweb.com/news/Chronique/la-laquo-drole-raquo-de-guerre-au-mali-entre-desinformation-manipulation-et-propagande-francaise-par-momar-mbaye_n_87007.html
(5) http://www.elhourriya.net/fr/facebooker/6845-mauritanie.html

Inscrivez-vous gratuitement pour recevoir chaque jour notre newsletter dans votre boîte de réception

Si vous êtes chez Orange, Wanadoo, Free etc, ils bloquent notre newsletter. Prenez un compte chez Protonmail, qui protège votre anonymat

Dreuz ne spam pas ! Votre adresse email n'est ni vendue, louée ou confiée à quiconque. L'inscription est gratuite et ouverte à tous

En savoir plus sur Dreuz.info

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading