Publié par Rosaly le 6 février 2013
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Robert Wistrich

Entretien de Pamela Geller avec le Professeur Robert S. Wistrich, Directeur du Centre international Vidal Sassoon pour l’étude de l’antisémitisme (SICSA) à l’Université hébraïque de Jérusalem et auteur du livre récemment publié : From Ambivalence to Betrayal: The Left, The Jews and Israel* (De l’Ambivalence à la Trahison : la Gauche, les Juifs et Israël)

Traduction Rosaly

Le Professeur Wistrich est l’un des meilleurs spécialistes au monde de l’antisémitisme. Il est également l’auteur d’un livre historique colossal : « A Lethal Obsession: Anti-Semitism From Antiquity to the Global Jihad* (Une Obsession létale : l’Anti-Semitisme de l’Antiquité au Jihad Global)

Pamela Geller : De quelle façon la gauche a-t-elle trahi les Juifs et Israël ?

Robert Wistrich : Depuis les années 40, les régimes communistes en Union soviétique et en Europe de l’Est, via leur exploitation cynique de l’antisémitisme et de l’antisionisme, ont, non seulement trahi les Juifs, mais également leurs propres idéaux d’égalité, de justice sociale et de lutte contre le racisme. Cette trahison a continué avec la nouvelle gauche des années 70, les antimondialistes et une grande partie de la gauche académique (aussi bien aux USA qu’en Europe). Ils ont diabolisé et systématiquement dénigré Israël, comme s’il était le diable incarné, l’Antéchrist de notre siècle, l’expression ultime de l’oppression raciste.

PG : Votre analyse a-t-elle été inspirée par votre vie en URSS pendant votre enfance ?

RW : J’étais trop jeune pour être directement influencé, et mes parents furent rapatriés en Pologne, quelques années après la fin de la seconde guerre mondiale. Mais mon père avait été emprisonné deux fois par la police secrète soviétique et cette expérience m’avait certainement vacciné contre toute illusion sur le paradis soviétique. Mais ce fut ma propre expérience, quand je fus piégé, comme touriste à Prague, lors de l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie en 68, qui me laissa une impression négative indélébile du communisme.

PG : Pourquoi pensez-vous que la Gauche soit aussi anti-Israël ? Quelle en sont les causes, les racines profondes ?

RW : Comme démontré clairement dans mon nouveau livre, les sources idéologiques de l’extrême-gauche anti-israélienne remontent au 19ème siècle avec l’émergence du sionisme politique. Déjà à cette époque, de nombreux idéologues socialistes, sous l’influence de Karl Marx, considéraient les Juifs comme les détenteurs d’une nationalité fantôme, formant une caste d’exploiteurs avides, dont la seule religion était le capitalisme prédateur. Ces gauchistes croyaient que l’avènement du socialisme allait abolir non seulement le capitalisme, mais également le Judaïsme. Ni l’un, ni l’autre ne se produisit. La restauration de l’Etat d’Israël mit désespérément fin à leur espoir. Que leur restait-il alors, sinon le dénigrement irrationnel et stupide ! La gauche marxiste, en particulier, est incapable de se libérer du carcan idéologique qu’elle s’est elle-même forgée.

PG : Pourquoi la Gauche s’identifie-t-elle aux jihadistes palestiniens, dont les valeurs, du moins en apparence, semblent être si différentes ?

RW : La Gauche a toujours eu tendance à s’identifier à ceux qu’elle désigne comme «les pauvres», le «prolétariat» ou les malheureuses victimes du système capitaliste.

Toutefois, le prolétariat international n’a pas été à la hauteur de l’attentes marxiste, comme étant la «classe choisie» et le bloc communiste s’est effondré en 1989-91. Les palestiniens devinrent alors les nouvelles victimes à défendre, afin d’apaiser les espoirs déçus, une sorte de substitut à leur rêve de rédemption, le prologue et le catalyseur d’une nouvelle ère révolutionnaire.

Et puis, la lutte palestinienne contre les Juifs ou les « Sionistes » a toujours représenté un attrait supplémentaire, il était, dès lors, de leur devoir de les soutenir.

PG : Et la composante jihadiste?

RW : Dans mon livre « De l’ambivalence à la trahison » j’avais déjà démontré que dans les années 20, Moscou essaya sans succès de « bolchéviser »les masses musulmanes en Orient, et particulièrement en Palestine. Ils proposèrent « Le jihad rouge » contre l’Occident impérialiste et Sioniste. Il y avait un terreau commun.

Les Marxistes et les Islamistes divisent le monde d’une façon simpliste et manichéenne entre les forces de la Lumière et celles de l’Obscurité, entre les impérialistes et les masses opprimées. Le jihad représente un potentiel révolutionnaire et peut répondre aux exigences du Marxisme avec l’aide de jongleurs expérimentés de la dialectique. Dès lors, une fois que les Palestiniens ont été définis comme la Victime Absolue (une fiction bien commode) les Sionistes deviennent nécessairement « l’Oppresseur Absolu » accusé du génocide palestinien. Mais comme je l’ai démontré, ce n’est qu’un fantasme, qui malgré sa grande popularité actuelle, n’est qu’un remake plus “doux” des théories «conspirationnistes»antisémites, si appréciées par les Nazis et les Fascistes.

PG : Dès lors, comment expliquer l’attrait qu’exerce la Gauche sur de si nombreux Juifs, malgré de telles prises de position ?

RW : Il y a plusieurs explications possibles. Il y a, bien sûr, la tradition biblique (incarnée par Moïse et les prophètes) qui enseigne la justice, la droiture et la compassion envers les pauvres – valeurs intégrées dans l’ADN de la culture juive.

La marginalité sociale juive avant le 19 ème siècle et l’implacable persécution infligée à cette communauté au cours des siècles ont fait du Juif, le Pauvre, l’Etranger, l’archétype de la Victime. Et en Amérique, tout comme en Occident (y compris en Israël) les Juifs, même bien intégrés, votent souvent « comme le pauvre ». Il semble même parfois que les Juifs soient coincés dans une sorte de faille temporelle, qui les pousse toujours à voir l’ennemi à droite, tout en restant aveugle de l’œil gauche. J’espère que mon livre leur décillera les yeux …

PG : Est-cela la raison pour laquelle autant de Juifs ont récemment voté pour Obama ?

RW : Eh bien, les juifs sont très sensibles à la compassion et en particulier aux appels humanitaires, ce qui contraste de façon flagrante avec le grotesque stéréotype antisémite, de droite comme de gauche, qui fait du Juif, un être cupide et rapace. La compassion est un beau sentiment, voire admirable à bien des égards, mais en faire une idéologie devient suspect. Certains des pires crimes de l’histoire moderne ont été commis aux noms des droits de l’homme, de la solidarité et de la défense des pauvres, comme l’a prouvé sans équivoque le communisme à la soviétique. Obama, en terme de politique nationale américaine, est un homme proche de la gauche, et les Juifs, comme tous les bons démocrates libéraux, gravitent naturellement autour de lui. Il s’avère, parfois, bien difficile de changer ses habitudes !

PG : Pourquoi dites-vous que la restauration de l’Etat d’Israël a été une gifle à la face de l’analyse marxiste de la “Question juive” ?

RW : Selon le Marxisme, les Juifs auraient dû disparaître depuis longtemps en tant que nation. Bien avant la restauration d’Israël, pour une partie influente de la Gauche, le Sionisme était un retour en arrière illégitime et un mouvement réactionnaire. Il est vrai que pendant un bref laps de temps, une partie de la gauche a soutenu Israël (entre 1947 et 1967) car ils voyaient dans les Juifs des réfugiés, rescapés de l’Holocauste, pauvres, persécutés, qui construisaient un pays socialiste. Ce que la Gauche ne put supporter c’est la naissance d’un Etat d’ Israël fier, indépendant, affirmant son Judaïsme, militairement efficace, capable de riposter à ses ennemis arabes, décidés à les détruire.

Pleurer sur les Juifs morts, c’est bien, mais voir des Juifs de chair et de sang, bien vivants, qui défendent avec force et vigueur leur droit d’exister sur leur terre, c’est trop dur à supporter pour de nombreux gauchistes, (y compris certains Juifs).

Je définirai cette attitude comme une forme latente, non déclarée, d’’antisémitisme. Quant à Obama, son état d’esprit et ses inclinations naturelles me semblent refléter une sorte d’idéologie tiers-mondiste, de là le recul de la suprématie mondiale américaine.

Cependant, son hostilité envers Netanyahu est vraiment impressionnante et je pense, mal conseillée. La plupart des Israéliens ne sont pas stupides et ils ressentent la froideur du président américain envers Israël, alors qu’il embrasse certains de ses pires ennemis, comme le président égyptien Morsi et le leader turc Erdogan ( deux enragés islamiques antisémites).

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PG : Au vu de ce qui précède, comment expliquez vous alors le refus de répondre à la haine anti-juive islamique, sans doute la plus grande menace à laquelle le peuple juif est actuellement confronté.

RW : Il y a plusieurs raisons à cet aveuglement dangereux. A un niveau plus général, il y a l’incapacité notoire des libéraux occidentaux à intérioriser le fait que les Iraniens et les islamistes radicaux arabes pensent réellement ce qu’ils disent, quand ils menacent d’annihiler les Juifs, de détruire Israël, de faire tomber l’Amérique et d’instaurer la suprématie islamique. Ce refus délibéré de ne pas vouloir comprendre la détermination de ces« vrais croyants » à agir selon leurs principes fanatiques, en dépit des preuves accablantes sous leurs yeux, constitue un véritable échec pour l’Occident libéral.

Ce même échec était aussi visible dans la politique occidentale (et soviétique) d’apaisement envers Hitler des années trente, le même déni de la réalité nazie. Rappelez-vous que même le NY Times pratiquait un certain déni de l’Holocauste pendant les années de guerre. Il enterrait simplement l’histoire dans les dernières pages. Aujourd’hui, les médias libéraux continuent à nier la menace islamo-fasciste et comme d’autres voix libérales leurrées par la propagande anti-israélienne, ils préfèrent frapper Israël, même si ce pays demeure la seule véritable démocratie de la région. C’est assez terrible. Mais il y a aussi d’autres gesticulations ridicules dans ces prises de position bien-pensantes ; par exemple, le besoin d’être « politiquement correct » et surtout la crainte d’ être vilipendé, taxé de «raciste» ou d’islamophobe. Certains, parmi ces gens, estiment que tout commentaire critique envers l’islam serait une sorte de pensée criminelle ! En outre, comme les médias occidentaux préfèrent rester très silencieux sur la haine endémique et vicieuse anti-juive répandue dans le monde arabe, tout en faisant de la propagande grossière sur des crimes fictifs perpétrés par Israël, les gens ordinaires, y compris de nombreux Juifs, ignorent la nature génocidaire de l’islam. Et pire que cela, même quand ils connaissent la vérité, ils seraient plutôt enclins à supprimer les vérités désagréables, au lieu d’y faire face. Se dresser contre cette réalité est devenu un acte de courage dans ce monde, où tout est inversé.

PG : Comment voyez-vous dès lors les perspectives d’avenir pour Israël, encerclé par des suprématistes islamiques et sous la menace permanente d’extermination ?

RW : Nous vivons une époque dangereuse, non seulement pour Israël mais aussi pour le monde entier, y compris l’Amérique.

Dans mon livre précédent, « Une Obsession létale »(2010), j’avais prédit que la marée montante de l’intégrisme islamiste allait balayer le Moyen-Orient arabe. C’est un symptôme révélateur de sa maladie profonde et non une solution. Il n’y a malheureusement pas de thérapie miracle instantanée pour le monde arabe.

Regardez la Syrie, l’Irak et l’Egypte : la démocratie n’existe pas et ne pourra pas offrir grand-chose aux masses arabes affamées, aussi longtemps qu’il n’y aura pas une classe moyenne stable, une société civile qui fonctionne, un moyen d’éradiquer la corruption massive et la volonté de désamorcer ce sentiment toxique de haine envers Israël et l’Occident, si répandu dans le monde arabe.

L’Etat Juif est une oasis de liberté, de croissance économique, de création culturelle, d’’innovations scientifiques, de compétences militaires et de solides valeurs démocratiques dans ce désert islamique qui l’environne.

Israël affrontera la tempête, surmontera la crise, malgré la malveillance et la volonté autodestructive nihiliste de ses ennemis, y compris le hamas palestinien.

Il est pourtant essentiel pour l’Occident et surtout pour l’Amérique de respecter, dans la stabilisation de la région, ses engagements à l’égard de la sécurité d’Israël, indépendamment de ses propres intérêts, de sa réputation et de sa mission autoproclamée de phare de la liberté du monde.

Israël a su défendre ses valeurs démocratiques, face à l’adversité.

Si l’Amérique et l’Europe devaient à nouveau abandonner les Juifs, les dommages à la civilisation occidentale seraient, à mon avis, irréversibles.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Rosaly pour www.Dreuz.info

Source : http://atlasshrugs2000.typepad.com/atlas_shrugs/2013/01/pamela-geller-interviews-the-preeminent-scholar-professor-robert-wistrich.html

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Pamela Geller

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