Publié par Michel Garroté le 5 mars 2013

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Michel Garroté, réd en chef –- J’en avais averti nos lecteurs début février : les pseudo-vaticanistes allaient nous en raconter de belles dans le cadre de la succession de Benoît XVI. J’avais également prévenu nos lecteurs que – comme après la mort de Jean-Paul II – les médias francophones, surtout certains médias français, allaient, une fois de plus, se surpasser en matière d’imbécilité.

Certes, il y a, parmi les cardinaux qui sont à la fois électeurs et papabili, quelques éléments opportunistes. Ce sont du reste généralement ceux-là qui organisent des pseudo-fuites destinées aux journalistes. Mais le fait est qu’un conclave a – aussi – une dimension spirituelle. Et c’est précisément cette dimension spirituelle qui insupporte tant de journalistes.

L’on peut d’ailleurs légitimement se demander pourquoi, en France, Nation postchrétienne, les journalistes sont christianophobes. Puisque la France ne compte que 4% de Français catholiques croyants et pratiquants, pourquoi cet acharnement anti-chrétien contre une communauté aussi minuscule ? Les 4% de Français catholiques croyants et pratiquants seraient-ils une menace pour les 96% de Français non-catholiques ? Ces 4%, sont-ils encore trop nombreux, aux yeux de la caste journaleuse installée ? Les journaleux de la pensée unique veulent-ils une France purifiée de tout chrétien ?

Ou alors, les écrivassiers de la laïcité absolutiste ont-ils mauvaise conscience ? Ont-ils besoin, en permanence, de calomnier et de diffamer l’Eglise catholique, pour justifier, à la fois, leur intégrisme agnostique, leur mode de vie libertaire, et, leur tendance – pathologique et chronique – à pratiquer la contestation systématique à bon marché du christianisme ? La plus récente manifestation de cette tendance pathologique et chronique s’exprime dans la volonté journaleuse de donner aux cardinaux électeurs des conseils et des consignes de vote concernant l’élection du futur pape.

A cet égard, Riposte catholique écrit : « Pour ce qui est des talents prédictifs du journaliste américain John Allen, et sans vouloir être cruel parce que tout le monde peut se tromper, je voulais juste préciser qu’à la mort de Jean-Paul II, Allen avait dressé la liste de tous les papables. Tous, sauf un (ndmg – Joseph Ratzinger). Aujourd’hui, John Allen estime que le cardinal sri-lankais Ranjith est une option plus convaincante que le cardinal philippin Luis Antonio Tagle ».

Un prêtre de la Communauté Saint-Martin fustige les journalistes : « Je suis ahuri en écoutant tous ces médias qui brossent le portrait-robot du futur pape en fonction des goûts du jour. Un conclave, c’est comme un vitrail de cathédrale, il faut le voir du dedans ». L’hebdomadaire catholique français Famille chrétienne écrit : « Des noms circulent en boucle. Ceux qui sont le plus en vue sont d’abord les meilleurs relais pour en désigner d’autres. Les bons vaticanistes savent que le Vatican a aussi ses poupées russes ».

Pour ce qui me concerne, je note que les médias évitent soigneusement de mentionner Mgr Peter Turkson, cardinal archevêque de Cape Coast, au Ghana, actuellement à la tête de Conseil Pontifical Justice et Paix au Vatican. Le cardinal Peter Turkson, qui, rappelons-le, avait diffusé, lors du Synode des Evêques sur la Nouvelle Evangélisation, en octobre 2012, une vidéo choc montrant l’expansion de l’islam en Europe, ce qui avait agacé quelques évêques européens, notamment français. Le cardinal Peter Turkson avait expliqué son désir d’éveiller les consciences de l’Église catholique.

Le vaticaniste (un vrai celui-là) Vittorio Messori écrit dans le Corriere della Sera (extraits adaptés ; cf. lien vers source en bas de page) : D’un côté, les cardinaux titulaires d’un diocèse (donc pas en poste à Rome, au service de la Curie) auront hâte de célébrer le Conclave pour retourner à leurs sièges respectifs, pour suivre leurs communautés dans le Temps Pascal, le plus important et le plus complexe du Cycle liturgique. On l’oublie souvent, grâce à la transformation de Noël en un rutilant «Festival planétaire de Papa hiver»: la plus grande fête chrétienne, celle dont dérivent toutes les autres est, de loin, la célébration de la Résurrection du Christ, et non celle de sa Naissance. De là, l’opportunité de la présence de l’évêque, même s’il est revêtu de pourpre.

Vittorio Messori : D’autre part, beaucoup, parmi ces 117, ne se connaissent que de vue ou, dans certains cas, ne se connaissent pas du tout; il est donc opportun de leur donner le temps de s’évaluer les uns les autres, d’échanger des opinions, des confidences, des propositions. Beaucoup, ensuite, voudront chercher à savoir ce qui se passe dans une Curie secouée par des gaffes, des erreurs, voire des scandales. Une réduction de la période de Sede Vacante pourrait nuire à cette préparation nécessaire. Seul un corps électoral compact et dense peut espérer atteindre dans un délai raisonnable la majorité des deux tiers des voix qui est redevenue nécessaire pour l’élection du nouveau pape. Le groupe des cardinaux – unique au monde, et composé d’hommes du monde entier – a besoin de temps pour s’orienter et discuter des choix à faire dans la chapelle Sixtine, à côté du célèbre poêle où les bulletins brûleront.

Vittorio Messori : Je l’avoue: j’avais déjà terminé cet article et j’allais l’envoyer au journal, quand est sorti le sévère communiqué de la Secrétairerie d’Etat qui dénonce comment les médias semblent avoir pris la place des Puissances d’autrefois pour essayer de perturber ou, du moins, de conditionner, le Conclave. Et qui rappelle comment, dans ces medias, il n’y a aucune prise de conscience du caractère spirituel de l’événement, tout étant filtré à travers une grille d’interprétations entièrement profane. C’est une note qui, bien sûr, m’a réjoui, puisqu’elle confirme avec autorité ce que je voulais dire et ne m’impose aucune retouche pour adoucir ce que j’avais déjà écrit. Je continue donc ici, avec ce qui était déjà prêt à être publié sans une mise à jour de dernière minute qui ne semble pas vraiment nécessaire.

Vittorio Messori : Je disais donc qu’il vient à sourire avec tous ces commentateurs et experts auto-proclamés du monde entier qui ces dernières semaines, avec l’air de quelqu’un qui en sait long, parlent dans leurs medias de “cordées”, dénoncent des accords, indiquent des stratégies plus ou moins occultes parmi les électeurs. L’approche de ces articles et interventions à la télévision est professorale et séduisante. Celui qui écrit ou parle, semble cligner de l’œil, pour faire comprendre qu’il faut être intelligent et que ce sera lui, au courant des arrière-plans occultes, qui révélera la réalité des choses : tout sur le pouvoir et l’argent, rien à voir avec la religion. Elles sont nombreuses ces prétendues analyses, bavardages risibles: selon un vice indéracinable, appliquer des catégories inadéquates pour interpréter une réalité complètement différente. C’est la déformation obsessionnelle, on pourrait dire maniaque, qui prétend interpréter la réalité religieuse en utilisant les catégories politiques habituelles, les sempiternelles distinctions gauche-droite, libéral-conservateur, traditionaliste-moderniste, dialoguant-intégristes.

Vittorio Messori : Le résultat est l’absence totale de compréhension de la vie ecclésiale, c’est l’idiotie déformante offerte comme analyse pointue, lumineuse. « Chaque entité », prévient Thomas d’Aquin, rappelant Aristote « doit être comprise et interprétée conformément aux entités du même type ». Que peuvent comprendre des intentions profondes d’hommes de foi, au sommet de l’Eglise du Christ, sachant qu’ils devront comparaître devant lui pour être jugés – que peuvent comprendre ceux qui voudraient interpréter ces vieux prêtres, aux biographies souvent héroïques, persécutés en raison de leur foi, comme s’ils étaient des personnages d’un quelconque Montecitorio du monde ou des membres du conseil d’administration d’une société ?

Vittorio Messori : Si nous utilisons des mots forts pour ces architectes de la désinformation qui sous-tendent aujourd’hui, comme toujours, l’ensemble du système des médias à travers le monde, c’est pour nous conformer au style incisif utilisé, pour une fois, même par le doux et mesuré Benoît XVI. Lequel – dans le dernier salut au clergé de son diocèse, Rome – nous a donné un texte extraordinaire ; peut-être aussi parce qu’il n’avait pas eu le temps et l’énergie de l’écrire et donc a parlé a braccio. Le thème était cependant bien défini et clair: le Concile Vatican II, où le jeune théologien, le petit professeur Joseph Ratzinger, session après session, s’est distingué comme expert au point que, des années plus tard, le Pape Paul VI l’arracha à l’université pour le mettre à la tête de la plus importante communauté catholique allemande, à Munich. Parlant avec une nostalgie évidente de la splendide expérience conciliaire, Benoît XVI a rappelé la ferveur, l’espoir, l’engagement, la loyauté, le courage, en même temps que la sage prudence de la plus grande assise convoquée par l’Église dans son histoire. Tous, en effet, savaient qu’ils étaient appelés à renouveler le visage de l’Église de Jésus-Christ pour un renouveau de l’évangélisation : non pas nova sed nove, non pas des choses nouvelles, mais offertes selon de nouvelles modalité, semblait être la devise de tous. Un grand travail, mais aussi une fête joyeuse, à la lumière de la foi ; et d’elle seulement.

Vittorio Messori : Si « au lieu du printemps attendu, il y eut un hiver imprévu et rigide » (paroles d’un Paul VI accablé au milieu des ruines des années 70) une grande partie de la responsabilité repose sur le fait qu’au Concile de l’Eglise, s’est joint et ensuite superposé le Concile des médias. Ainsi l’a dénoncé Benoît XVI. Qui a rappelé qu’au peuple, y compris catholique, sont arrivés non pas les documents authentiques, mais leur interprétation tendancieuse faite par des journalistes, des commentateurs, des écrivains, ainsi que des spécialistes et des experts cléricaux factieux.

Vittorio Messori : Il est injuste, en effet, de faire le victimisme habituel, comme si la déformation du Concile était l’œuvre de quelque complot extérieur : dans la réalité (Ratzinger lui-même l’a souvent fait remarquer) une grande partie de l’échec, et même le plus pernicieux, a été le fait d’hommes d’Église. Au monde entier, au Peuple de Dieu lui-même, est parvenu non pas l’élan religieux des Pères, la ferveur de l’apostolat, leur regard vers l’Évangile de toujours et d’aujourd’hui; mais plutôt, est parvenue l’obscure, étroite et sectaire lecture « politique ». Ces complexes, savantes, cathédrales théologiques en miniatures qu’étaient, et sont, les documents authentiques de Vatican II ont été forcées dans le carcan d’un prétendu affrontement où tous les coups étaient permis entre libéraux et conservateurs, entre l’obscure réaction aux aguets et le soleil lumineux de l’avenir invoqué par les gauchistes alors encore en soutanes, mais bientôt en anorak.

Vittorio Messori : Dans son discours chaleureux, paternel au clergé romain, le pape n’a pas hésité à utiliser des paroles de dure condamnation (« ce fut une calamité, cela a créé beaucoup de misères ») pour l’intrusion des médias, guidés par ceux qui prétendaient tout diviser entre « droite » et « gauche », voulait tout réduire à une question de lobbies qui s’affrontent pour défendre ou conquérir le pouvoir. Benoît XVI a même raconté, pour la première fois en public, une anecdote très significative. Lui, comme jeune professeur de théologie, était dans la suite de Joseph Frings, cardinal Archevêque de Cologne, président de la Conférence épiscopale allemande, un homme d’une grande fidélité à Rome et dans le même temps l’un des leaders les plus influents de ceux qui souhaitaient un profond renouvellement de l’Église. Un cardinal « de gauche », donc, selon le schéma des idéologues.

Vittorio Messori : C’est à lui, entre autres, que l’on doit le premier tournant spectaculaire de Vatican II, avec la mise à disposition des textes préparés par le Saint-Office et que les Pères auraient dû, plutôt que discuter, voter à main levée, peut-être à l’unanimité. Eh bien, le Concile déjà en cours et de la « révolution » contre les plans de la Curie romaine déjà consommés, on demanda à Frings une conférence sur les perspectives de la grande assemblée qui s’aventurait désormais en haute mer, sans suivre la route marquée par la nomenklatura du Vatican. Et où fut-il invité à prendre la parole ? Rien moins qu’à Gênes, fief incontestable du grand Cardinal Giuseppe Siri, leader reconnu de ceux que le même schématisme dont nous parlions plus haut définit de « droite ». Le cardinal de Cologne – souffrant de troubles de la vue qui allaient le conduire à la cécité – chargea son expert Ratzinger, d’écrire le schéma de la conférence, qu’il réviserait ultérieurement. Le présumé « progressiste » Frings se rendit donc dans la tanière du loup présumé, le « réactionnaire » Siri : il lut la conférence, que le cardinal de Gênes, non seulement ne contesta pas, mais dont il fut si satisfait qu’il en transmit le texte, avec des éloges, à son grand ami Papa Roncalli. Lequel était le premier parmi ceux que le «parti allemand», dont le cardinal de Cologne était un leader, avait contesté, le forçant à jeter tout le matériel préparé par la Curie et approuvé par lui avec conviction. Donc, quand Frings reçut une convocation du pape, il pensa à une réprimande ou au moins un avertissement, un appel à un plus grand respect de la ligne unanimiste attendue et souhaitée par Roncalli qui voulait un Concile court, célébré dans l’enthousiasme, sans trop de discussion. Au lieu de cela, Frings vit le Pape venir à lui tenant le texte écrit par Joseph Ratzinger, lu par Frings et envoyé à Rome par Siri. Jean XXIII l’embrassa et lui dit : « Vous, cher Eminence, avez dit les mêmes choses que j’aurais voulu dire, mais je n’arrivais pas à trouver les mots ». Anecdote exemplaire, disais-je : en fait, elle fait apparaître clairement la fraternité, l’amour mutuel pour l’Eglise, le souci de l’orthodoxie de la foi chez ceux qui, selon les lectures de la pensée unique, feraient partie des deux factions irréconciliables, en lutte l’une pour la réaction, l’autre pour le progrès.

Vittorio Messori : C’est une manipulation qui a agi à la fois chez ceux qui, dans tout le travail conciliaire, et en particulier dans l’interprétation qu’en donna l’Eglise enseignante, ont vu une connivence avec le capitalisme détesté; et pour tous ceux qui soupçonnaient partout un cheval de Troie du communisme tout aussi haï pour certains, de la maçonnerie pour d’autres. Nous, au contraire, a rappelé le témoin direct Ratzinger, « nous n’étions pas seulement animés par la foi, nous avons essayé d’interpréter les signes de Dieu pour notre temps, ce qui nous intéressait, c’était d’étudier la relation entre raison et croire, entre Evangile et monde, mais en continuité avec le passé tout entier de l’Église tout entière ». Naturellement, les mêmes analyses aussi trompeuses que présomptueuses se répéter en ce moment, d’abord face à la renonciation au pontificat, et ensuite dans l’attente du conclave. Et nous en lirons et entendrons encore beaucoup d’autres dans les commentaires après l’élection du nouveau pape. En fait, ceux qui vivent au sein de l’Eglise – et pas par appartenance sociologique lasse, mais par le don vivant et libre, la foi – constatent la misère et l’impuissance des modèles qui voudraient réduire à des perspectives seulement trivialement humaines la riche et complexe expérience religieuse. Le croyant sait que les soi-disant «camps» de conclavistes, même s’ils existent, ne s’expliquent pas – sauf exceptions marginales – avec les catégories qui s’appliquent au discours politique. Bien sûr, l’aspect politique est un aspect important de l’humain, et l’Église et ses hommes se tromperaient s’ils n’en tenaient pas compte. L’erreur est d’essayer de mesurer avec ce mètre une réalité « autre » comme l’Église.

Vittorio Messori : Le n° 351 du Code de droit Canon: énonce « Pour la promotion au Cardinalat, le Pontife Romain choisit librement des hommes qui sont constitués au moins dans l’ordre du presbytérat (qui sont prêtres), remarquables par leur doctrine, leurs mœurs, leur piété et leur prudence dans la conduite des affaires ; ceux qui ne sont pas encore Évêques doivent recevoir la consécration épiscopale ». Le fait est que, grâce à Dieu, au moins depuis deux siècles, il semble que cela soit le cas. Ce sont des hommes, avec bien sûr, leurs limites et leurs lacunes, mais qui en tout cas, ont donné leur vie à Dieu; et qui chaque fois qu’ils déposent un bulletin dans l’urne de la Chapelle Sixtine, invoquent solennellement et à haute voix la Trinité pour qu’elle témoigne que leur vote est exprimé uniquement en fonction de leur conscience, après beaucoup de prière et uniquement pour le bien de l’Eglise. Ils sont, pour la plupart, des hommes d’un âge avancé, des hommes conscients du fait que le redde rationem (rendre des comptes) dans l’au-delà n’est pas loin, des hommes qui savent bien (parole de l’Evangile) qu’«il sera beaucoup demandé à qui a été beaucoup donné». Surtout si ce « beaucoup » leur a été donné pour être instruments d’une Église qui n’est pas à eux, mais au Christ, lequel demandera des comptes selon sa justice (fin des extraits adaptés de l’analyse de Vittorio Messori ; cf. lien vers source en bas de page).

Reproduction autorisée avec mention www.dreuz.info

Article de Vittorio Messori :

http://www.et-et.it/articoli/2013/2013_02_24.html

© Corriere della Sera

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