Publié par Pierre-André Taguieff le 24 mai 2013

Guy Millière interviewé par Jean Robin

Voici la réponse de Pierre-André Taguieff à Guy Millière, suivie de la réponse de Guy Millière à Pierre-André Taguieff

Je comprends que vous puissiez être blessé. Et j’en suis désolé. Mais, dans votre « lettre ouverte » qui me vise, vous vous trompez de cible. Vous pourriez aussi bien accuser la direction des Presses universitaires de France d’avoir publié ce Dictionnaire historique et critique du racisme, ou le CNL d’avoir accordé son soutien pour la publication de l’ouvrage. Je n’ai jamais écrit une ligne contre vous. Dans votre réaction à chaud, emporté par votre indignation, vous vous fiez à tel ou tel manipulateur, dont l’objectif est de jeter de l’huile sur le feu. Et vous me prenez pour « bouc émissaire ». J’ai en effet rapporté dans un courrier privé des propos tenus contre vous, propos ignobles, destinés à vous disqualifier à mes yeux, mais je n’en ai jamais tenu compte. Bien au contraire, je vous ai défendu à plusieurs reprises, notamment sur ma page Facebook, avant l’affaire Hessel. En diverses occasions, je suis intervenu pour vous défendre, vous qu’on me présentait comme un « idéologue d’extrême droite » (je cite). Car, comme le savez certainement, bien des rumeurs malveillantes courent votre compte. Je ne les fais pas miennes. Je les rejette sans équivoque. Je ne confonds pas la droite « néo-conservatrice », qui s’inscrit dans le vaste champ de la droite libérale, avec « l’extrême droite ». Par ailleurs, et c’est là l’important, nous avons des positions communes sur Israël et le sionisme, qui nous rassemblent parmi les mal-pensants de l’époque. J’ai pris beaucoup de coups moi-même en raison de ma défense d’Israël, ne serait-ce qu’en collaborant à Dreuz.info. Voyez l’article contre moi paru le 17 mai 2013 sur Oumma.com, où je suis attaqué en tant qu’« intellectuel ultra-sioniste ».  Nous avons donc aussi des ennemis en commun.

      Je vous rappelle que je ne suis pas l’auteur de l’article « Arabophobie », qu’il s’agit d’un article dans un dictionnaire qui en compte 540, que ce dictionnaire de 2032 pages se veut pluraliste, qu’il s’est interdit de censurer les convictions idéologiques des auteurs. Il s’agit d’un ouvrage académique publié au PUF, qui présente notamment l’état des débats sur des thèmes sulfureux, en donnant la parole à des auteurs dont je ne partage pas nécessairement les positions. C’est le pari de la démocratie pluraliste. Le reste est agitation, procès d’intention ou chasse aux sorcières. L’article dans lequel vous êtes mis en cause est signé Leïla Babès, sociologue des religions et spécialiste de l’islam, qui a publié plusieurs ouvrages sur et contre l’islamisme. C’est en tant qu’universitaire spécialiste d’un domaine qu’elle  intervient dans l’ouvrage. Dans ce Dictionnaire, chaque auteur a l’entière responsabilité de sa ou ses contribution(s). En tant que directeur de l’ouvrage, avec l’aide d’un comité scientifique pluridisciplinaire, je suis intervenu pour le choix des entrées et celui des rédacteurs, ainsi que sur les questions d’orthographe, de syntaxe et de style, en corrigeant ou mettant à jour toutes les bibliographies. Travail considérable. Mais ce Dictionnaire n’est pas le reflet fidèle de mes propres positions : sur les questions contemporaines en particulier, il est inévitablement l’écho des clivages et des débats idéologiques qui sont dans « l’air du temps ». C’est le principe d’un tel Dictionnaire : fournir des informations, des analyses de notions ou de doctrines, mais aussi ne rien cacher sur les débats et les controverses qui font partie de la vie d’une démocratie pluraliste. Même si cela peut être déplaisant à tel ou tel. L’article sur le MRAP peut ainsi déplaire fortement aux dirigeants de cette association. L’article « Front national » peut heurter les militants lepénistes. Les admirateurs de Céline seront choqués par l’article concernant l’écrivain antisémite. On peut espérer que ces insatisfaits et ces indignés ne publieront pas tous des  « lettres ouvertes à P.-A. Taguieff » pour exprimer leur colère.

      Vous ne pouvez par ailleurs réduire l’article « Arabophobie » aux quelques lignes qui vous mettent en cause, et encore moins le Dictionnaire tout entier à ce qui concerne votre personne. Or, vous avez réagi dans votre « lettre ouverte » sans avoir lu le Dictionnaire, et sans avoir cherché à me questionner. Réaction hâtive, car la connaissance du jeu complexe des renvois entre articles est la condition d’une bonne lecture de l’ouvrage. Il va de soi que vous pouvez répliquer à Leïla Babès, établir éventuellement qu’elle se trompe sur vous ou encore vous prête des thèses qui ne sont pas les vôtres. Je considère que cela fait partie du débat légitime. Mais ne me confondez pas avec la rédactrice de l’article : elle n’est pas mon porte-parole, ni un visage derrière lequel j’avancerais masqué. Je n’ai pas 250 visages (nombre des collaborateurs du Dictionnaire) ! En outre, connaissant vos positions, je dois reconnaître que le portrait qu’elle fait de vous n’est pas ressemblant. Ma position est donc claire : je ne partage pas le jugement négatif porté contre vous dans le passage en question. Je suis sûr que vous éviterez désormais tout amalgame et tout procès d’intention.

    Dans les grands dictionnaires des PUF, j’insiste sur ce point, les directeurs ne sont pas nécessairement d’accord avec certains articles publiés sous leur direction. Mais ces derniers sont « corrigés » ou contrebalancés par d’autres articles. Il vous suffit de lire par exemple l’article « Antisionisme » de G.-E. Sarfati, l’article « Durban » (signé P.-A. Taguieff et Jacques Tarnero) ou l’article « Antisémitisme », que j’ai moi-même rédigé. La discussion est ainsi présente dans ce Dictionnaire, entre auteurs et articles. Je le redis : ce Dictionnaire n’est pas une opération contre vous. Il n’y a pas d’intentions cachées à l’origine de l’ouvrage. On m’a d’ailleurs fait le procès inverse, à savoir que je récusais les notions d’arabophobie et d’islamophobie, alors même qu’elles font l’objet d’entrées distinctes, et que je privilégiais le point de vue « ultra-sioniste » (accusation qu’on trouve sur Oumma.com). Procès d’intention, et interprétations paranoïaques. Toute cette polémique est grotesque, et doit réjouir tous les milieux « antisionistes ». Je vous propose de tourner la page.

     Ce Dictionnaire n’est certes pas parfait. Dans sa 2e édition, outre les inévitables corrections et mises à jour (notamment bibliographiques), de nouveaux articles seront ajoutés. Ce sera l’occasion de revoir le passage de l’article où vous êtes mis en cause.  Je vais plus loin : si vous me proposez, après lecture de ce Dictionnaire, un article qui vous semble manquer, je m’engage, après concertation avec vous, à le proposer aux PUF pour la 2e édition de l’ouvrage. Ceci pour prouver ma bonne foi, et montrer que je ne suis en rien votre ennemi.

Cordialement
Pierre-André Taguieff

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Réponse de Guy Millière à Pierre-André Taguieff

Tout d’abord, non, je ne me suis pas trompé de cible. Je ne vous ai pas pris non plus pour « bouc émissaire ». Je n’avais pas à accuser le CNL ou les Presses Universitaires de France. J’ai considéré que le directeur de publication d’un livre collectif est responsable de ce que contient le livre. J’ai publié moi-même des livres collectifs, et j’ai relu attentivement tous les textes qui les composaient. Je n’en aurais pas laissé passer un seul qui comporte des éléments diffamatoires. Si vous m’aviez dit que le texte de Leila Babès a échappé à votre vigilance, et si vous vous en étiez montré désolé, j’aurais accepté vos excuses, tout en continuant à trouver regrettable que mon nom soit associé à une idée raciste, car j’ai le racisme en horreur, quelle que soit sa forme et sa façon de s’énoncer. Vous m’avez dit que le texte a, effectivement, échappé à votre vigilance, je prends donc vos propos comme des excuses, et je les accepte comme tels.

Vous n’avez, c’est vrai, jamais écrit une ligne contre moi. Dont acte. Vous dites m’avoir défendu quand j’ai pu être calomnié par des gens qui s’adressaient à vous. Je vous en remercie. Cela n’efface, hélas, pas le texte concerné. La calomnie verbale passe. Les écrits restent, tout particulièrement les dictionnaires, c’est ce qui m’a conduit à réagir. Je vous remercie également de ce que vous écrivez sur le néo-conservatisme et la droite libérale, qui n’ont, c’est exact, rien à voir avec l’extrême droite. Je sais que nous avons des ennemis en commun, et je ne serai jamais du côté de nos ennemis commun.

Vous n’êtes, c’est vrai, pas l’auteur de l’article « arabophobie ». Vous dites n’avoir pas voulu « censurer les convictions idéologiques des auteurs », et je le comprends : mais insulter quelqu’un, le diffamer, ce n’est pas énoncer des convictions. Vous me parlez d’ouvrage « académique » : raison de plus ! Des affirmations infondées, destinées à salir, n’ont pas leur place, vous le reconnaitrez volontiers, je pense, dans un ouvrage académique. La « démocratie pluraliste » dont vous me parlez implique des débats contradictoires, pas le genre de procédé qu’utilise Leila Babès. Et si celle-ci est « universitaire spécialiste d’un domaine », elle se montre là bien peu universitaire et bien piètre spécialiste. Son texte est non seulement insultant à mon sujet, mais il est, au delà de ce qui en lui me concerne personnellement, indigent, allusif, approximatif, sans la moindre référence, sinon un vieux rapport d’une organisation communiste à la fiabilité nulle. Leila Babès peut, par ailleurs, tenir des discours sur le « peuple juif » et sur la « Palestine » où une référence importante, et citée, est Shlomo Sand : ni ces discours ni cette référence ne me semblent très « académiques ».

« Fournir des informations, des analyses de notions ou de doctrines » a été votre but. Je n’en doute pas un seul instant. Je veux penser que le reste du dictionnaire correspond à ces critères. Quand je lis des auteurs à l’ignorance visiblement encyclopédique s’en prendre au dictionnaire, j’ai envie de vous défendre. Mais « fournir des informations, des analyses de notions ou de doctrines » n’est pas ce que fait le texte de Leila Babès.

En évoquant l’indignation éventuelle de militants du Front National ou de lecteurs antisémites, vous semblez me placer dans une compagnie que je récuse avec la plus extrême véhémence. Je veux penser que ce qui est écrit sur le Front National et sur l’antisémitisme dans le dictionnaire est fondé, argumenté, démontré. Ce qui me concerne n’est ni fondé, ni argumenté, ni démontré. Je n’ai pas à établir que Leila Babès se trompe sur moi : je pense que son discours repose sur des bases idéologiques et ne relève pas de la vérifiabilité. Je pourrai, en temps utile, consacrer un article à ses écrits et à ses propos, et cet article, lui, sera fondé. Si je dis qu’elle cite positivement Shlomo Sand, par exemple, et fait l’éloge de la « résistance palestinienne », je ne le ferai pas de manière allusive, mais citations à l’appui, comme il se doit.

Je ne veux pas douter que vous ne partagez « pas le jugement négatif porté » contre moi dans le texte (il s’agit, en réalité, de bien davantage qu’un « jugement négatif »). Je n’ai, pour autant, fait ni amalgame ni procès d’intention. J’ai constaté l’existence d’un texte où je suis le seul auteur cité. J’ai constaté que ce texte était imprégné de la volonté claire de me salir. J’ai constaté que ce texte figurait dans un livre publié sous votre direction et votre responsabilité. Je m’en suis tenu à ces constats stricts et précis.

Je ne doute pas une seule seconde qu’« il n’y a pas d’intentions cachées à l’origine de l’ouvrage ». Je n’assimile pas tout l’ouvrage à un texte destiné à me salir. Dès lors que la présence de ce texte a été très visible, et soulignée, j’ai du réagir. J’ai réagi. C’était le moins que je puisse faire.

Je ne tiens pas du tout à faire durer cette polémique. J’aurais préféré qu’elle n’ait pas lieu. Je n’ai pas choisi qu’elle ait lieu. Je n’ai pas choisi d’être insulté dans un texte censé être « académique ».

Je prends acte de votre proposition de revoir la partie de l’article dans laquelle je suis mis en cause : la seule façon convenable à mes yeux de revoir cette partie est que mon nom en soit enlevé, car mon nom n’a en rien à être associé à une idée raciste, je le répète. Je retiens votre proposition concernant le dictionnaire, lors d’une éventuelle deuxième édition de l’ouvrage.

Je ne vous considère pas comme un ennemi. Je pense qu’une maladresse regrettable, et très préjudiciable pour moi, a été commise et a fait qu’un texte est paru qui n’aurait pas dû paraître en l’état. J’accepte de voir en la parution du texte en l’état une erreur, que je ne pouvais laisser passer. Pour ce qui me concerne, l’incident est clos.

Je sais que nous avons des ennemis en commun, ai-je écrit, et je ne me trompe pas de combat, soyez en assuré.

Cordialement

Guy Millière

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