Publié par Abbé Alain René Arbez le 27 septembre 2013

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Evangile selon saint Luc (Lc 16, 19-31)

Jésus disait cette parabole : « Il y avait un homme riche, qui portait des vêtements de luxe et faisait chaque jour des festins somptueux.

Un pauvre, nommé Lazare, était couché devant le portail, couvert de plaies.

Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais c’étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses plaies.

Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra.

Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; il leva les yeux et vit de loin Abraham avec Lazare tout près de lui.

Alors il cria : ‘Abraham, mon père, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l’eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise. —

Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : Tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur. Maintenant il trouve ici la consolation, et toi, c’est ton tour de souffrir.

De plus, un grand abîme a été mis entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient aller vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne vienne pas vers nous.’

Le riche répliqua : ‘Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père.

J’ai cinq frères : qu’il les avertisse pour qu’ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture !”

Abraham lui dit : ‘Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent ! Š

Non, père Abraham, dit le riche, mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.’

Abraham répondit : ‘S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.’ »

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Des miséreux qui se nourrissent des miettes tombées de la table des riches, on peut en voir tous les jours, dans de nombreuses régions du monde. Des hommes, des femmes, des enfants qui agonisent dans l’indifférence générale, ça devient quotidien. Or, si on lit superficiellement la parabole du riche sans nom et du pauvre Lazare, on risque d’en déduire que le ciel est un simple parallèle de la terre, on risque même de penser qu’en fin de compte, c’est notre condition économique ici-bas qui décidera de notre destinée spirituelle avec Dieu…Ou encore, on peut croire à la manière de Marx que l’attente de l’autre monde n’est que le fantasme qui compense les malheurs connus sur terre.

Lazare quitte ce monde et il est emporté auprès d’Abraham sans qu’on ait détaillé son profil spirituel et ses mérites : va-t-il au ciel simplement parce qu’il est pauvre ? Ce serait tout de même un peu simpliste!

De plus, dans son récit, Jésus ne mentionne pas que le riche soit un mauvais riche, il est simplement un riche parmi d’autres riches. Il faut remarquer qu’il n’est pas accusé d’avoir volé quelque chose à Lazare, de l’avoir personnellement dépouillé ou exploité. On ne nous dit pas qu’il aurait maltraité Lazare. Ce riche a une vie rangée, bien comme il faut : il n’agresse personne, il ne dépouille personne, il ignore simplement le monde qui l’entoure ! Les apparences sont sauves. Train de vie luxueux, consommation effrénée, bling bling et cie.

C’est justement là son problème : en raison de son féroce appétit de la vie, il n’a jamais vu le pauvre être humain gisant devant son portail. Il est resté totalement indifférent à la souffrance de son prochain, il s’est imaginé que ses conditions de vie supérieures l’autorisaient à vivre dans une autre sphère que le monde réel de la plupart. Mais les conséquences de cet aveuglement sont terribles, c’est l’avertissement que veut lancer cet évangile : celui qui ne voit pas les souffrances des autres en ce monde se met lui-même en dehors de son humanité. Pour ce riche, la mort a fixé définitivement le sort qu’il s’était lui-même préparé !

Car la dureté de cœur met une distance entre le repu et le démuni, son incapacité à voir le pauvre met une distance entre le riche et D.ieu.

C’est donc avant tout un évangile de la responsabilité de l’homme, un évangile qui nous dit que l’attention aux autres, surtout aux souffrants, peut seule transformer le monde et que c’est aujourd’hui ou jamais qu’il faut y réfléchir !

Beaucoup de contemporains de Jésus et beaucoup de gens aujourd’hui se posent la même question : comment comprendre le fait qu’il y ait tant de malheureux sur terre. Pourquoi des innocents ne connaissent-ils que la misère et la détresse ? Certains naissent dans un milieu favorisé et d’autres dans un dénuement total. Et la question est formulée dans la Bible elle-même : comment un D.ieu juste pourrait-il cautionner une pareille situation ? Situation qui visiblement provient de l’organisation des hommes et de leur fragilité… D.ieu fermera-t-il les yeux sur cette injustice ?

L’interrogation est à la fois religieuse et éthique. C’est ce à quoi Jésus cherche à répondre dans cette parabole. Il présente sa vision de la rétribution par D.ieu de nos comportements. Une vision anti-résignation, anti-fataliste qu’il développe dans les Béatitudes. Heureux les pauvres, le royaume des cieux est à eux. Heureux les affligés, ils seront consolés. Heureux les affamés et assoiffés de justice, ils seront rassasiés.

A l’époque de Jésus, la tradition des anciens annonce que les personnes douées de compassion et épris de justice connaîtront la lumière de D.ieu dans son royaume, ils rejoindront le cœur même du père des croyants, Abraham. Mais ceux qui n’auront pas levé le petit doigt pour apporter un peu d’humanité autour d’eux retrouveront pour toujours les ténèbres qui étaient ordinairement celles de leur esprit face à la réalité.

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Ainsi, en fin de compte, la parabole ne nous dit pas que D.ieu a puni le riche, l’évangile dit seulement que cet homme, doué d’une liberté qui gagnerait à être éclairée par l’Ecriture sainte, se retrouve là où il s’est mis lui-même. Ce n’est pas D.ieu qui punit les égoïstes esclaves de leurs possessions, ce sont ces cœurs de pierre qui se sont condamnés eux-mêmes à rester pétrifiés à jamais. Une précision nous met sur la piste : le grand abîme du verset 26 correspond exactement dans la Genèse au tohu bohu (chaos) d’avant la création, c’est le vide, ce moment symbolique où il n’existe encore aucune relation.

Car le D.ieu créateur de la Bible – D.ieu d’alliance – est un D.ieu de relation et d’amour. Ce qui veut dire que le péché de ce riche, péché d’ignorance de l’autre qui souffre, est un péché contre la volonté créatrice de D.ieu. Le riche a choisi le vide d’avant la création du monde, c’est-à-dire un espace sans relations véritables ! Car ce que D.ieu nous offre, c’est de vivre dans un monde humain, c’est d’être créateurs avec lui d’un monde d’humanité, et il attend donc de nous que nous prenions nos responsabilités pour mettre de l’humain, du convivial, du relationnel dans le monde et dans la société.

C’est pourquoi le texte nous montre d’un côté un univers harmonieux, avec des visages et des noms de personnes : Abraham, Moïse, Lazare… et de l’autre, quelque chose d’impersonnel, c’est le vide sidéral : on trouve dans le texte des on, des verbes au passif, une sorte de terrain vague inhumain.

Finalement, le monde de l’au-delà que nous appelons l’autre monde est le miroir de celui-ci. Le ciel que nous connaîtrons ne sera que la vérité de la terre que nous avons acceptée d’avoir. Si nous avons tout subi ici bas sans réagir, nous retrouverons les ténèbres de notre aveuglement; si nous avons essayé même modestement, d’humaniser la vie, alors nous rejoindrons avec Abraham le rayonnement du cœur aimant de D.ieu, seule source de création dans cet univers.

Vous l’avez remarqué, Abraham tient une place importante dans cet évangile. Car Abraham, c’est le père primordial du peuple de D.ieu. C’est la figure de la foi au vrai D.ieu mais c’est aussi : le refus des idolâtries, dont l’argent fait partie. On peut dire que la pointe de cette parabole est vraiment la foi libérée des fausses valeurs. Une foi comme mise en mouvement vers une qualité de vie humaine, en tournant le dos aux fausses vérités.

A la demande du riche : « avertis mes cinq frères encore sur terre », Abraham répond sèchement : « ils ont Moïse et les prophètes d’Israël, qu’ils les écoutent ! » « Même si quelqu’un ressuscitait d’entre les morts pour venir à leur rencontre, ils resteraient inertes… »

Donc, ni le riche ni ses frères n’ont écouté la Parole, or c’est de la Parole de D.ieu que naît et s’approfondit la foi vivante. Ils n’ont pas pris au sérieux Moïse et son enseignement de vie, ils ont méprisé la Torah et sa sagesse. Ils sont restés indifférents à la parole du prophète Amos qui au nom de D.ieu dénonce clairement les injustices de la société.

Dans ces conditions, même un prodige extraordinaire ne servirait strictement à rien. (Souvenons de ce passage d’évangile où il est précisé : et Jésus ne put réaliser aucun miracle en raison de leur manque de foi !) La foi ne s’appuie pas sur des prodiges, sur du sensationnel, elle se nourrit d’une Parole qui dit la vérité de l’homme, une parole qui doit faire son chemin dans les consciences, pour les convertir, c’est à dire les tourner vers D.ieu et les autres.

Alors que la foi suppose communion et communication, le riche et ses frères se sont installés dans un système autiste, ils se sont donc en même temps coupés des autres et éloignés de D.ieu. La miséricorde de D.ieu ne peut dans ce cas annuler la vérité de sa Parole qui nous institue responsables.

L’évangile le rappelle, le seul être humain à être revenu du séjour des morts, c’est le Christ.

Il est remonté des enfers pour nous avertir que la vraie vie existe, que le mal et la mort qui nous angoissent n’ont pas le dernier mot et que la communion avec D.ieu est notre véritable avenir.

Ce texte fort s’offre aujourd’hui en méditation, non pas pour culpabiliser, enfermer dans des images négatives et stériles, mais pour rendre les disciples plus éveillés, plus attentifs, plus prompts au partage fraternel. Ce n’est pas un hasard si le pauvre de la parabole s’appelle Lazare, en hébreu Eleazar, cela veut dire D.ieu vient en aide…

St Irénée l’a affirmé à sa manière lorsqu’il écrivait au 2ème s. : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ! » Nous pouvons donc nous laisser inspirer par la bienveillance et la compassion pour traduire concrètement ce rayonnement émanant de D.ieu.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez pour www.Dreuz.info

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