Publié par Michel Garroté le 11 décembre 2013

 

Pétain-2

 

Michel Garroté, réd en chef  –-  Mardi 10 décembre 2013, j’ai regardé, sur France 2, à 20h45, Un jour, une histoire, L’encombrant Monsieur Pétain. Celles et ceux qui le souhaitent, peuvent visionner ce documentaire en replay (voir premier lien en bas de page). Ci-dessous, une petite revue de presse.

Le 10 juillet 1940, par 569 voix contre 80, l’Assemblée nationale investissait le maréchal Pétain de tous les pouvoirs (extraits adaptés ; voir deuxième lien en bas de page). Confrontés au plus grand drame que le pays ait jamais connu, les Français voulaient la paix et acclamèrent un sauveur dans ce vieux soldat. Le film évoque des épisodes méconnus de la fin du régime de Vichy, le procès du maréchal Pétain, son internement à l’île d’Yeu, ses funérailles en 1951, ainsi que le vol de son cercueil, dans des conditions rocambolesques, vingt ans plus tard. S’il s’attache autant à la figure du Maréchal, c’est qu’elle est centrale.

Il faut attendre les années 1970 pour que la collaboration, à peine mentionnée dans les manuels pendant deux décennies, ressurgisse et enflamme les esprits. Grâce à un documentaire de Marcel Ophuls et André Harris, “le Chagrin et la Pitié”, censuré par l’ORTF mais diffusé en salles. Grâce aussi au livre d’un historien américain, “la France de Vichy”, de Robert Paxton, qui révèle à une France stupéfaite que le maréchal Pétain est à l’origine de la loi sur le statut des juifs – une des plus dures d’Europe – et que les nazis n’ont jamais demandé que les enfants soient déportés – Pierre Laval a pris cette initiative lui-même.

Tout cela était relégué au fond des mémoires. Le mythe de la France unanimement résistante, forgé à la Libération par le général de Gaulle, semblait indestructible. Les 75’000 juifs de France, déportés avec la complicité de la police française et du gouvernement de Vichy tout au long de la guerre, la république ne les reconnaissait pas.

La mémoire officielle continua à refouler les heures noires de notre histoire jusqu’à Jacques Chirac et son fameux discours du 16 juillet 1995, lors des commémorations de la rafle du Vel’ d’Hiv : « Oui, la folie criminelle de l’occupant a été, chacun le sait, secondée par des Français, secondée par l’Etat français ». Un film qui vaut surtout par la qualité des images d’archives souvent inédites et des témoignages, même s’il a tendance à privilégier l’anecdote sur la réflexion historique.

6 juin 1944. Les Alliés débarquent sur les plages de Normandie. Alors que le général de Gaulle appelle depuis Londres les Français à combattre pour la libération du pays, le maréchal Pétain, acclamé à Saint-Etienne, leur demande ne pas se soulever contre l’Occupant (extraits adaptés ; voir troisième lien en bas de page). Deux hommes, deux discours, deux camps qui s’affrontent.

Ces années de profondes divisions, entachées par la collaboration de Pétain et de son gouvernement avec l’Allemagne nazie, la France aura beaucoup du mal à y faire face. Le pouvoir politique s’efforcera de tourner la page, glorifiant les résistants pour faire oublier les collabos, effaçant les crimes de Vichy et sa participation à la Shoah.

Comment le pouvoir politique a tout fait au cours de ces dernières décennies pour tenter de faire oublier ces pages noires de l’histoire de France ? Qui sont ces historiens, ces cinéastes et ces militants qui ont lutté pour que la vérité historique soit établie et reconnue ? De la rafle du Vel d’Hiv en 1942 au discours de Jacques Chirac le 16 juillet 1995, en passant par des épisodes méconnus comme l’exil de Pétain en Allemagne en 44 ou le vol de son cercueil en 1973, ce film raconte l’histoire mouvementée d’un combat pour la mémoire.

Basé sur des images d’archives inédites, tourné dans des lieux emblématiques comme Vichy et l’île d’Yeu, le film repose sur le récit de témoins exceptionnels parmi lesquels Robert Badinter, Roland Dumas et Serge Klarsfeld et l’analyse d’historiens de référence tels que Robert Paxton, Henry Rousso et Marc Ferro.

La traduction en 1973 de son ouvrage La France de Vichy marque une rupture souvent considérée comme décisive dans l’historiographie de la France sous l’Occupation (extraits adaptés ; voir quatrième lien en bas de page). Dans sa préface, Stanley Hoffmann soutient que « sur deux points capitaux, l’apport de Paxton est révolutionnaire » : il n’y a pas eu double jeu de la part de Vichy, et le régime n’a pas joué l’effet de « bouclier » en épargnant certaines souffrances aux Français. Plus tard, les historiens Henry Rousso et Jean-Pierre Azéma opposeront Paxton à Robert Aron dont l’ouvrage l’Histoire de Vichy a connu un succès certain entre sa parution et la fin des années 1970.

Selon Rousso et Azéma, Aron aurait défendu l’idée que Pétain, le bouclier des Français, aurait su jouer double jeu avec Hitler. Ces historiens mettent notamment l’accent sur la conclusion de Robert Aron : « Négociations secrètes, télégrammes clandestins, mesures dilatoires, impossibles à percevoir par l’opinion, ne cessent de réduire la collaboration proclamée ».

Par rapport aux thèses de l’essayiste Robert Aron, Paxton bouleverse la lecture de l’histoire du régime de Vichy en affirmant que le gouvernement de Vichy a non seulement collaboré en devançant les ordres allemands : il a aussi voulu s’associer à l’« ordre nouveau » des nazis avec son projet de Révolution nationale.

Selon Henry Rousso : « La France de Vichy a proposé tout d’abord une interprétation globale du régime, de son idéologie et de son action concrète, qui a mis en lumière la profonde cohérence du projet vichyste. Celle-ci s’articule autour de l’idée centrale selon laquelle les élites dirigeantes du régime ont eu une assez claire conscience du lien qui existait entre les choix de politique extérieure et de politique intérieure, entre la collaboration d’État – un concept mis en avant par Stanley Hoffmann et consacré désormais par l’usage -, qui croyait redonner à la France une part de souveraineté perdue dans la défaite, et la Révolution nationale, une idéologie et une pratique qui visaient à la constitution d’un régime en rupture avec l’héritage républicain. La grande originalité de ce livre est d’expliquer de manière concrète et argumentée en quoi la collaboration d’État constituait une condition nécessaire, mais non suffisante, à la réalisation de la Révolution nationale ».

En s’appuyant sur les archives américaines et allemandes, l’entreprise de Paxton vise à démolir l’idée d’un Vichy jouant double-jeu et qui tentait de sauver tout ce qui pouvait l’être. Au contraire, Pétain et Laval ont toujours recherché la collaboration avec l’Allemagne nazie, et multiplié jusqu’au bout les signes et les gages de leur bonne volonté à s’entendre avec le vainqueur, allant souvent spontanément au-devant des exigences allemandes.

Loin d’avoir protégé les Français, le concours de Vichy a permis aux Allemands de réaliser plus facilement tous leurs projets – pillage économique et alimentaire, déportation des Juifs, exil forcé de la main-d’œuvre en Allemagne. Avec leur peu de troupes, de policiers et de fonctionnaires, jamais les Allemands n’auraient pu gérer un pays développé aussi vaste sans le concours actif du gouvernement, de l’administration et de la police.

Quant au supposé double jeu de Vichy, toujours selon Paxton, il n’a jamais existé. Les rares contacts officieux et sans suite avec Londres, fin 1940, démesurément gonflés et surinterprétés après la guerre par les partisans de Vichy, ne pèsent rien au regard de la réalité de la Collaboration, indéfectiblement poursuivie jusqu’à l’été 1944 inclus.

Paxton a également remis en lumière le programme de « Révolution nationale » appliqué par Vichy. L’État français n’est pas qu’un accident de l’histoire, une parenthèse ou une pure antenne de l’occupant. Il puise dans diverses traditions françaises de longue durée et doit beaucoup aux divisions franco-françaises des années 1930. Son programme mêlant projets réactionnaires et modernisateurs ne manque nullement de cohérence, et il est parfaitement autonome. Les Allemands n’ont en rien imposé la fondation de ce nouveau régime, et les statuts des Juifs par exemple furent des initiatives françaises prises sans la moindre pression de l’occupant.

Paxton montre enfin que Révolution nationale et Collaboration sont les deux faces de la même médaille : pour appliquer la première, Vichy a besoin de l’entente avec un Reich victorieux. Il ne perçoit pas la dimension planétaire du conflit, croit la guerre finie avec la défaite de la France, et de toute façon, une victoire alliée ne ferait que ramener les Juifs, les francs-maçons, les communistes et les républicains.

Dans les trente années qui ont suivi la parution de La France de Vichy, de nombreux historiens comme Rousso ou Azéma se revendiquent comme héritiers de Paxton, en apportant des approfondissements variés et diverses nuances.

Dans Vichy et les Juifs (1981), Marrus et Paxton insistent non seulement sur la collaboration entre Allemands et Français dans la déportation des Juifs, mais aussi sur le soutien qu’a reçu la législation antisémite de la part de l’ensemble de la population. Le premier à s’inscrire en faux contre cette description de l’opinion publique fut Serge Klarsfeld. Depuis, note Renée Poznanski, la description d’une société impliquée dans son ensemble continue d’être contestée.

Reproduction autorisée avec mention :

M. Garroté réd chef www.dreuz.info

Sources :

http://www.replay.fr/un-jour-une-histoire-l-encombrant-monsieur-petain-1958079

http://teleobs.nouvelobs.com/la-selection-teleobs/20131209.OBS8868/l-encombrant-monsieur-petain.html

http://www.leblogtvnews.com/article-extraits-du-document-l-encombrant-monsieur-petain-un-jour-une-histoire-121476153.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Paxton

   

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