L’épiphanie est-elle un événement historique vraiment survenu à Bethlehem, ou est-ce un récit pédagogique évoquant les perspectives universelles du salut? Le précédent pape Benoît XVI opte pour la première option, mais ne refuse pas la seconde. Pour appuyer son point de vue, il cite l’exégète Klaus Berger : « Il faut supposer, jusqu’à preuve du contraire, que les rédacteurs des évangiles n’ont pas pour but de tromper leurs lecteurs, mais qu’ils désirent raconter des faits ayant une base historique ».
On sait que la fête de l’Epiphanie a précédé l’instauration de celle de la Nativité. Selon l’évangile de Matthieu, des personnages énigmatiques (rois et mages ?) venus d’Orient viennent à Bethlehem rendre hommage à Jésus, parce qu’ils reconnaissent en ce petit enfant le vrai « roi des Juifs ». Ils sont le pendant païen des bergers judéens.
C’est le sens interactif de Noël et de l’Epiphanie, deux fêtes jumelées autour d’une révélation, d’abord à Israël, puis élargie aux nations païennes : au cœur du monde tourmenté surgit un immense espoir non seulement pour Israël, mais aussi pour l’ensemble des peuples en quête de lumière.
Selon Matthieu, les mages ne sont pas venus directement à Bethléhem, ils sont allés d’abord à Jérusalem, la ville sainte, où le « roi » Hérode, inquiet d’une possible concurrence, les a dirigés non sans arrière-pensées vers Bethlehem, ville royale de David.
La tradition populaire en a fait des rois, en écho des prophéties bibliques, mais c’étaient sans doute des astronomes/astrologues, des savants qui scrutaient le ciel comme un espace rempli de signes et de messages pour l’humanité ; ils symbolisent en fait les civilisations avancées de l’époque, mais qui auront besoin du message de la Thora pour accéder à une humanité intégrale selon le D.ieu de la Bible. Ils rejoignent finalement les tout premiers témoins de la naissance de Jésus au milieu de son peuple, d’humbles bergers judéens associés aux louanges angéliques dans la nuit scintillante d’étoiles. Gloire à D.ieu et paix sur terre!
A propos des bergers de Bethléem, on entend souvent dire que ce sont des « exclus » de la société de l’époque, parce qu’ils sentent mauvais et seraient impurs. On les présente comme des parias, mal vus de la population, et c’est pour cela précisément que Jésus les apprécie comme premiers témoins de sa venue…Je n’adhère pas à cette vision idéologiquement sélective de la présence des bergers. Ma clé d’interprétation de la scène évangélique se base sur l’image hébraïque du berger, qui est au contraire très positive. Les bergers avec leurs troupeaux sont une belle image de l’Israël ancien.
Si événement « messianique » il y a dans cette nativité, comment oublier le roi David qui a commencé comme petit berger avec ses brebis…Une image pastorale honorable qui sert à laisser transparaître l’amour de D.ieu pour son peuple, car il est lui-même le « berger d’Israël ». Et quand les rois, les prêtres ou les prophètes –par délégation bergers du troupeau – défaillent dans leur mission protectrice, D.ieu lui-même se fait encore berger pour sauver la situation. Selon Zakarie, « Dieu dit : je me fis donc berger du troupeau que les trafiquants vouaient carrément à l’abattoir ! Pour le guider, je choisis deux houlettes, la première se nomme bienveillance, la seconde s’appelle concorde, et c’est ainsi que je me suis mis à paître mon troupeau » (Zakarie 11.7)
Les bergers de la nuit de la Nativité représentent donc de manière imagée les bergers du peuple dont le rôle devrait être de veiller au bien-être et à la sécurité de tous. Ils gardent l’esprit éveillé au milieu de la nuit, car la nuit symbolise dans la Bible le paganisme menaçant, et cette fois, la réponse à leurs attentes, c’est l’arrivée de l’enfant « Emmanou-el » D.ieu avec nous.
Les représentants des nations païennes qui viennent de loin reconnaître la supériorité de son rayonnement, ce sont les mages, savants ou rois qui ont besoin de la révélation biblique, ceux dont Isaïe a tellement dit que les peuples de tout l’univers pourraient en bénéficier. Jérusalem serait alors la sainte montagne de la maison de prière ouverte à toutes les cultures, dont le « parvis des Gentils » au Temple est déjà l’anticipation.
Dans l’étable de Bethléem, étonnamment, ces mages non juifs offrent des cadeaux typiquement labellisés « Israël » ! L’or, la myrrhe et l’encens… Trois désignations religieuses de la vocation d’Israël, et donc de Jésus, qui, dans le contexte en est un fils hautement représentatif, ceci sans doute pour montrer par contraste l’insignifiance des tenants officiels du Temple, les Sadducéens, créatures politico-religieuses des Romains idolâtres.
Plus précisément, l’or symbolise la splendeur de la dignité royale, l’encens cultuel exprime la louange au D.ieu d’Israël, et la myrrhe est un baume funéraire, signifiant surtout la conséquence mortelle de l’engagement prophétique.
Roi, prêtre, prophète, tel est le peuple d’Israël dans sa mission unique au sein d’un monde tourmenté où règne l’iniquité, où le sacrifice et le dépassement de soi sont quasi inexistants, excepté chez quelques justes, et ou l’espérance pour l’avenir est devenue indéchiffrable. Cette vocation exigeante, aux antipodes d’un « privilège d’élu » est représentée par l’onction d’huile, et le messie est l’ « oint » par excellence, le Mashiah (christ en grec). Jésus va assumer à sa manière cette vocation de tout Israël, fils de D.ieu.
Les mages venus de l’étranger sont ici la figure idéalisée des chercheurs de vérité de toutes les cultures et de tous les temps. Ils allient quant à eux croyance et raison, sciences et révélation.
On se souvient de cette autre belle affirmation de Zakarie : « Un jour dix hommes de toute langues des nations tiendront fermement le pan du manteau d’un juif en s’exclamant : nous irons avec vous, car nous avons compris que D.ieu est avec vous ! » Zk 23
Ces mages « de toutes langues » sont présentés par Matthieu comme l’avant-garde des peuples qui reconnaîtront en Jésus l’incarnation de la Parole adressée par D.ieu à son peuple. Ceux qui sont prêts à accueillir la sagesse de la parole biblique et qui souhaitent créer grâce à elle des relations humaines imprégnées de la puissance de ce Verbe divin.
Lorsque les mages matthéens ouvrent leurs coffrets devant Jésus et sa mère, ces dignitaires ne recherchent pas les bonnes grâces d’un homme de pouvoir – du style Hérode – mais ils désignent, par ce geste de reconnaissance, le type de présence de D.ieu qui leur parle au coeur. Ils n’ont pas recherché D.ieu dans une toute-puissance dominatrice et menaçante, ils l’ont au contraire trouvé dans la vulnérabilité d’un enfant humble signe de promesses d’avenir.
L’enseignement est surtout théologique : on y retrouve la tradition de l’étoile messianique mentionnée au Livre des Nombres 24.17 : « Un astre issu de Jacob se lève, une puissance issue d’Israël se manifeste »…En d’autres termes, la seule étoile susceptible d’avoir une attraction bénéfique sur nos existences, c’est l’étoile messianique de Bethlehem ! Cela évoque peut-être aussi l’idée que tous les peuples, toutes les personnes, ont dans leur ciel culturel ou idéologique propre des signes qui peuvent les mettre en chemin vers l’accomplissement de leur vie, dont la Parole de D.ieu est la meilleure voie d’humanité.
Matthieu insiste pour appeler l’enfant Jésus « roi des Juifs », il souligne par là la différence fondamentale avec Hérode, le roi officiel, bien moins juif et moins royal que le fils de Marie. Car Hérode est un homme de paille qui tire artificiellement son pouvoir des Romains, tandis que Jésus couché sur la paille d’une étable est le visage d’une royauté de l’Esprit et de ses vraies valeurs existentielles.
Originellement, Epiphanie est le terme habituel que l’on utilisait dans l’antiquité lorsqu’un roi venait rendre visite à son peuple, et cette démarche s’accompagnait de festivités, d’illuminations, de banquets, de cadeaux à la foule rassemblée. Un des occupants païens les plus sanguinaires d’Israël, au 2ème s. avant notre ère, le roi syrien Antiochus auteur des massacres de la jeunesse juive contrés par les Maccabîm, était même affublé du nom d’ « Epiphane »…
La fête chrétienne de l’Epiphanie est en ce sens surtout une Théophanie : par le terme d’épiphanie, elle reprend l’expression biblique selon laquelle « Dieu vient visiter son peuple » pour que progressent partout dans le monde la fraternité, le respect mutuel, le partage, l’équité, autour de valeurs sûres, et ceci à l’encontre des obscurantismes et des fanatismes laïques ou religieux qui nous menacent.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez pour Dreuz.info.
Un peu comme les apparitions de la Vierge qui se font devant les humbles, mais jamais devant un bourgeois ou autre. Même chose avec Jeanne d’Arc.
Excellent article.
Toutefois deux remarques.
Vous dîtes :
– “(…) et donc de Jésus, qui, dans le contexte en est un fils hautement représentatif, ceci sans doute pour montrer par contraste l’insignifiance des tenants officiels du Temple, les Sadducéens.”
A noter à ce sujet que Joseph était lui-même issu du Temple, un Sadducéen.
Et aussi :
– “Ces mages « de toutes langues » sont présentés par Matthieu comme l’avant-garde des peuples qui reconnaîtront en Jésus l’incarnation de la Parole adressée par D.ieu à son peuple.”
Il faut aussi noter ici que les Juifs ne furent pas partie des peuples qui reconnaîtront Jésus. (Même si certaine communauté christique juive existèrent jusqu’au Xème siècles). Les Juifs de Jérusalem eux même furent ceux qui choisirent de sauver Barabbas, condamnant par là même “l’homme” jésus à la Croix et… lui permirent ainsi d’accomplir son destin. Par sa résurrection d’entre les morts, Jésus témoignera de sa nature divine avant de regagner son Royaume (celui du Père).
Cette histoire est compliquée et il est donc essentiel que les “Hommes de bonne-volonté”, les “Justes”, des communautés chrétiennes et juives travaillent à l’union (et souvent aussi à la réconciliation) de cette branche chrétienne si singulière au tronc du Judaïsme originel.
les judéens ont été les premiers à reconnaître Jésus, et la première Qehila messianique (Eglise) était 100% juive!
De nombreux rabbins de la diaspora ont opté pour Jésus, en tout cas ceux qui privilégiaient le sens universel du message de la Torah. Les autres, plus centrés sur la défense de l’identité hébraïque dans un contexte menaçant ont fixé à Yavné en 90 les critères de judéité, plus restrictifs qu’auparavant, et ont ainsi exclu les “minîm” ou dissidents, dont faisaient partie les disciples juifs de Jésus.
Triste Histoire qui a opposé les hommes pendant 2000 ans, 2 vérités absolues, celle de l’universalisme et celle de la sauvegarde de l’identité qui s’affrontent depuis la nuit des temps. Un équilibre qu’il nous faudra trouver un jour car il est l’essence même du message de la Torah. De plus en plus de Juifs se passionnent pour l’histoire de Jésus et de Chrétiens pour leur racine juive. La réconciliation est en marche même si elle sera longue et imparfaite. Que la venue (ou le retour) du Machia’h soit précipitée et qu’elle nous apporte Paix et Fraternité. Tous mes vœux pour l’année nouvelle.
vous l’avez bien dit!
Une histoire pas simple, celle d’une divinisation de l’homme, fait porteur de parole et d’origine divine…
Mais la question demeure celle de la légitimité
En accord avec le nom
Barouch ata Adonai
Monsieur l’Abbé,
Merci pour la profondeur de vos propos sur le sens de l’Epiphanie: votre article est un complément chrétien qui sied au partage de cette belle fête.
Vous en introduisez la dimension historique en citant Benoit XVI; je vous confesse être en accord avec ses propos, comme d’ailleurs en bien des domaines.
Lorsque, par la suite, vous écrivez:
“Les mages venus de l’étranger sont ici la figure idéalisée des chercheurs de vérité de toutes les cultures et de tous les temps. Ils allient quant à eux croyance et raison, sciences et révélation.”
Ne pensez-vous pas que l’hommage de ces mages, levantins attentifs aux signes du ciel, symboliserait, dans le contexte de l’écrit évangélique, une reconnaissance des religions indo-iranniennes avec lesquelles le judaïsme fut en contact étroit lors de l’exil de Babylone?
Etait-ce à ces relations que Benoit XVI faisait allusion lorsqu’il a évoqué l’Epiphanie en tant qu’événement historique?
Bonne fêtes de l’Epiphanie à tous.
Dans le sens de ce que vous écrivez, ce sont certainement toutes les spiritualités de l’époque qui sont sollicitées dans le profil mystérieux des mages, comme un souhait d’avenir, pour que le meilleur de leur tradition s’ouvre au message biblique. Ce sont donc des personnages inclusifs et non exclusifs, comme un pari sur le meilleur de l’être humain car D.ieu parle au cœur de tous sans exceptions. Mais comme vous le dites, il y a peut-être une référence implicite à l’expérience d’exil chez les Assyriens et babyloniens, ce qui ne veut pas dire une caution des aspects les plus inacceptables de cette civilisation.
Monsieur l’Abbé,
Merci pour votre réponse mais, à moins que je ne me sois mal exprimé, mon commentaire ne faisait pas allusion à l’influence qu’auraient pu avoir les civilisations assyriennes et babyloniennes sur le judaïsme durant l’exil à Babylone. La question que je soulevais portait sur l’éventualité d’un rapport, direct ou indirect, du judaïsme avec les religions indo-iranniennes durant cet exil.
Voyez-vous, ce qui m’interpelle c’est le fait que l’Evangile nous rapporte que l’Enfant Jésus à reçu l’adoration des “mages”. La question, telle que posée d’un point de vue historique par Benoit XVI, est donc de comprendre qui sont ces “mages” en certains aspects si mystérieux…
Et c’est précisément le mot “mage” qui m’interpelle; si l’évangéliste avait voulu symboliser trois continents, il aurait alors évoqué des rois; mais ce ne sont pas des rois qu’il cite mais des “mages d’Orient”, et si la tradition parle de rois elle n’oublie jamais d’y apposer le mot “mage”.
Il me semble qu’à l’époque de Jésus et de ses apôtres le mot “mage” désignait bien un prêtre, ou en tout cas un disciple de Zarathoustra.
à chacun ses convictions et ce n’est pas moi qui vous dicterai quoi penser (je suis juif pas musulman ni satandonnien) mais je ne vous demande qu’une chose ;;;;qu’on cesse de dire que jésus a été tué par des juifs. ça nous cole depuis longtemps et ça a fait beaucoup de morts ce gros mensonge. la crucifixion n’est elle pas un “jeu” romain???
bon c’est sur une fois que rome eut pris la religion de jesus il fallait un peu truquer l’histoire non??