Publié par Guy Millière le 12 février 2014

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Je ne m’intéresse que très modérément au sport. Je comprends la volonté de se dépasser soi-même et d’aller au bout de ses forces. Je peux apprécier l’intelligence et la stratégie d’un joueur de tennis. Mais je ne peux aller plus loin. Et les sports collectifs me laissent de marbre. Les engouement grégaires que peuvent susciter les rencontres de football me consternent. Les gens qui exultent en criant « on a gagné » parce qu’un groupe de millionnaires payés pour taper dans un ballon et venus des quatre coins du monde a mieux tapé dans un ballon que le groupe qui lui faisait face me paraissent, au mieux, affligeants. Tout comme ceux qui pleurent ou se saoulent sous prétexte qu’ils ont « perdu ».

Les Jeux Olympiques m’irritent particulièrement. Ils sont en général l’occasion de déferlements nationalistes où des sportifs sont censés représenter leur pays et en devenir les porte drapeaux. Ils occasionnent des moments de fierté patriotique sans fondements (la performance est celle d’un athlète, pas d’un pays).

Ils servent aussi à des fins de propagande : soit en envoyant des sportifs frelatés récolter des médailles en quantité, comme le faisait l’Allemagne de l’Est, soit en étant puissance organisatrice. Ce fut le cas de nombreuses fois, mais deux de ces fois me semblent particulièrement marquantes.

L’une de ces fois a été les Jeux de Berlin en 1936. Le nazisme avait alors les pleins pouvoirs en Allemagne depuis trois ans, Hitler ne faisait pas mystère de ses visées totalitaires et de son antisémitisme. Il ne faisait pas mystère non plus de sa volonté d’utiliser les Jeux Olympiques à son avantage. Les Jeux n’en ont pas moins eu lieu. Le reste du monde s’est, pendant quelques jours, fait complice. Leni Riefenstahl en a tiré un film que Goebbels et Hitler appréciaient beaucoup, et qui, après avoir été primé à la Mostra de Venise sous Mussolini en 1938, recevra une médaille d’or du Comité International Olympique, en 1939!

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La deuxième de ces fois est les Jeux Olympiques de Sotchi, commencés voici peu, et qui vont durer encore deux semaines. Ces Jeux sont ceux de Vladimir Poutine. Ils ont coûté très cher et sont, on ne cesse de le répéter, les Jeux les plus chers de l’histoire (cinquante et un milliards de dollars). Ils représentent des détournements de fonds d’une ampleur sans précédents (au moins un tiers de la somme totale), une affirmation de l’autocratisme qui régit présentement la Russie (classée cent quarantième dans l’Index of Economic Freedom entre le Tadjikistan et le Burundi), mais aussi une façon d’entériner la politique internationale russe et de préparer la suite de celle-ci.

La Russie est l’alliée du régime Assad en Syrie et du Hezbollah au Liban. Elle est l’alliée du régime des mollahs en Iran. Elle téléguide le régime en place en Ukraine, et on peut penser qu’après les Jeux une intervention très musclée s’opèrera du côté de Kiev, pour en finir avec ce qui restera du soulèvement populaire en cours. Tout cela se trouve oublié, placé entre parenthèses.

Des journalistes occidentaux ont ironisé sur l’état des aménagements prévus pour les accueillir : robinets desquels coule une eau couleur de rouille dangereuse pour la peau, tringles à rideaux qui se détachent des murs, poignées de porte qui tombent, cuvettes de toilettes installées les une à côté des autres sans la moindre séparation, bouches d’égout sans plaque d’égout, immeubles inachevés cachés derrière une toile peinte dans la tradition de Grigory Potemkine. Ils n’ont pas songé au malheur russe qui se perpétue et à l’ombre de dictature qui plane autour d’eux. La presse officielle russe s’est même permise d’ironiser sur leur ironie, notant que les journalistes occidentaux se plaignaient de menus détails parce qu’ils ne pouvaient pas se plaindre officiellement d’une autre réalité : le fait qu’ils sont, à Sotchi, étroitement surveillés dans tout ce qu’ils disent, font, écrivent, par une police secrète omniprésente.

Peu de journalistes occidentaux ont évoqué ce qu’a eu d’obscène et de mégalomaniaque la transformation d’une station balnéaire sur la mer Noire en station de ski, et ce qu’ont été les conséquences pour la population locale, puisque des quartiers entiers ont été rasés pour l’occasion, sans relogement décent pour les gens chassés, qui se comptent par milliers.

La Russie de Poutine peut tempérer les ardeurs de l’islam radical chiite, ce qui, dans un contexte où les Etats Unis sont sous l’administration Obama et où l’Europe est faible et pusillanime est mieux que rien. Elle peut endiguer l’islam radical sunnite, ce qui est aussi mieux que rien (et encore : l’endiguement peut se révéler poreux, comme l’ont montré de récents attentats djihadistes à Volgograd).

Mais ce mieux que rien ne peut faire oublier ce qui est perdant présentement dans le monde, et ce qui restera perdant pendant tous les Jeux Olympiques de Sotchi : l’esprit de liberté.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Guy Millière pour Dreuz.info.

PS J’aurais pu ajouter à la liste les Jeux Olympiques de Pékin en 2008. Le régime chinois est aussi autocratique que la Russie de Poutine, mais les dépenses ont été moins immenses, et la Chine n’est pas aussi ouvertement l’alliée de régimes ennemis de l’Occident, quand bien même elle en est l’alliée aussi. Et si je sortais du sujet Jeux Olympiques, j’aurais pu évoquer la Coupe du monde de football qui va être organisée par le Qatar.

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