Publié par Abbé Alain René Arbez le 23 décembre 2014

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Beaucoup de commentaires ont été exprimés après l’événement annoncé par B. Obama le 17 décembre 2014 : le tournant dans les relations entre les Etats Unis et Cuba. Cinq décennies d’embargo américain envers l’île communiste prennent fin. Le rôle déterminant du pape François et de la diplomatie vaticane a été souligné avec reconnaissance par les deux chefs d’Etat.

En 1996, une loi adoptée par le Congrès américain stipulait que « tant que Fidel Castro et Raul Castro seront au pouvoir, aucunes négociations entre les Etats Unis et Cuba ne seront engagées ».

[quote]Un fil conducteur dans les initiatives de l’Eglise avec Cuba[/quote]

Comment analyser la posture catholique dans cette affaire ? Certains regrettent que le pape, bien qu’animé de bonnes intentions, cautionne un régime qui veut donner des signes d’ouverture mais qui n’a pas changé. Pour comprendre les objectifs du pape, il faut revenir loin en arrière, car il y a comme un fil conducteur dans les initiatives de l’Eglise avec Cuba.

En 1962, déjà, alors que la crise est à son paroxysme en raison de l’implication soviétique et des menaces de la part des deux camps, le pape Jean XXIII intervient avec détermination pour éviter un conflit nucléaire. Les missiles de Cuba pointés sur les Etats Unis restent finalement immobiles, et les stratégies de représailles sont désamorcées in extremis en Floride.

Cette rétrospective d’un demi siècle permet de mieux saisir le sens de la récente déclaration du Vatican : « Le Saint Père désire exprimer sa grande satisfaction pour la décision historique des gouvernements des Etats Unis et de Cuba d’établir des relations diplomatiques afin de surmonter, dans l’intérêt de leurs citoyens respectifs, les difficultés qui ont marqué leur histoire ».

L’action du pape François a été précédée de celle de ses prédécesseurs Jean Paul II et Benoît XVI.

En 1998, Jean Paul II, dont l’engagement avait contribué magistralement à mettre à bas le communisme à l’est, arrive à Cuba, reçu par Fidel Castro qui, quelque temps auparavant, emprisonnait les prêtres et les chrétiens engagés. Les milliers de Cubains crient « Libertad ! Libertad ! » sur son passage. Son discours dénonce les injustices et demande la liberté de conscience pour tous. L’archevêque de la Havane, don Ortega, avait été nommé à ce poste par Jean Paul II en raison de son passage dans les geôles de Fidel Castro. L’Eglise se veut proche des pauvres et des populations ayant besoin d’encouragement sur le terrain. Castro avait semble-t-il été marqué par cette visite et intéressé par la personnalité du pape.

Puis c’est Benoît XVI qui vient en visite en 2012. Il insiste lui aussi sur la libération des détenus politiques. Le pouvoir castriste considère l’Eglise comme un partenaire de dialogue et cherche à démontrer sa bonne volonté. C’est ainsi que le gouvernement accepte la construction d’un séminaire et la création d’un centre culturel catholique à l’université de La Havane. Raul Castro autorise aussi la pérégrination de la Vierge del Cobre à travers l’île, cette manifestation de piété rassemble des foules souvent attirées par les cultes syncrétistes d’origine africaine ; l’Eglise acquiert à cette période une visibilité inconnue depuis la révolution de 1959 et la répression qui a suivi.

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Concernant le protestantisme, le pasteur Suarez, également député à l’Assemblée nationale, considère que les 55 dénominations réformées de Cuba jouent un rôle utile aux populations, mais il ne comprend pas pourquoi le pouvoir choisit l’Eglise catholique comme interlocutrice privilégiée alors qu’elle n’a pas soutenu le régime du pays.

Depuis des mois, des contacts décisifs préparent le terrain de l’accord américano-cubain. En mars dernier Obama rend visite au pape François à Rome. Leur échange aborde la question des relations avec Cuba. En octobre les délégations américaine et cubaine se rencontrent au Vatican et finalisent les termes de leur négociation. Le pape écrit ensuite une lettre personnalisée aux deux chefs d’Etat, dans laquelle il les invite à « résoudre les questions humanitaires d’intérêt commun ». Initiées par le Canada, les discussions aboutissent par la médiation du Saint Siège.

[quote]Le pape argentin a rappelé qu’il se situe en pasteur et non en intervenant politique[/quote]

Des questions se posent : certains observateurs ont l’impression que le pape François s’est laissé instrumentaliser et que rien ne va changer dans les difficultés de vie quotidienne des Cubains. Ses bonnes intentions ont-elles pu se faire piéger ? La situation est sans doute différente de celle de Jérusalem-est, lorsque les organisateurs palestiniens ont stoppé la voiture pontificale juste devant une partie du mur comportant certains graffitis afin que les photos mêlent le profil du pape à des slogans bien particuliers. Le pape argentin a rappelé à plusieurs reprises qu’il se situe en pasteur et non en intervenant politique, c’est-à-dire en homme religieux attentifs aux personnes et aux communautés dans leur dignité humaine, et non pas en stratège de pouvoir.

On lui a reproché de ne pas condamner formellement le régime de Bachar el Assad en Syrie, mais sans doute a-t-il voulu éviter que l’étau se referme plus tragiquement sur les chrétiens traqués par les islamistes. Lors de la visite de Shimon Peres et de Mahmoud Abbas dans les jardins du Vatican, le pape a été joué par la délégation palestinienne qui a fait ajouter au programme convenu des prières islamiques chantées une sourate belliqueuse. La prière du pape à Ste Sophie devenue mosquée lors de son voyage en Turquie a été diversement interprétée, alors que ses choix étaient en fait assez limités et que son objectif essentiel était d’inciter les Turcs à ne pas aggraver à leurs frontières la situation des chrétiens assiégés par l’Etat islamique. De même, le fait que le pontife n’invite pas le Dalaï Lama ces derniers jours au Vatican n’est certainement pas le signe d’un mépris quelconque envers les bouddhistes, mais simplement le signe que les discussions en cours entre le Saint Siège et le présidium de Pékin ne doivent échouer sous aucun prétexte, les enjeux d’avenir pour l’Eglise chinoise étant trop importants.

[quote style=”boxed” float=”left”]Les démarches et les initiatives publiques du pape pourront être mieux décryptées lorsqu’elles auront produit leur effet constructif de manière durable[/quote]

Les démarches et les initiatives publiques du pape pourront être mieux décryptées lorsqu’elles auront produit leur effet constructif de manière durable, mais cela implique le moyen et le long terme pour tenir des affirmations ou des critiques crédibles. Agir pour le bien suppose souvent de devoir assumer des effets contradictoires, ne pas agir seulement pour éviter des éventuelles conséquences discutables ne serait pas à la hauteur de la tâche.

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