Publié par Jean-Patrick Grumberg le 3 janvier 2015

Dans une interview exclusive accordée à Paris Review, Michel Houellebecq parle évidement de son livre à sortir le 7 janvier, Soumission*.

Islamophobie, racisme, antisémitisme, grand remplacement, athéisme, catholicisme, islam … Ce qu’il dit va vous surprendre, et pas dans le sens que vous imaginez…

En préalable, je veux dire que Dreuz étant sur les listes noires des éditeurs, nous ne recevons pas, contrairement à nos confrères, d’exemplaires réservés à la presse. Comme nous sommes à l’étranger, c’est par ailleurs compliqué.

Et comme ma maman m’a bien élevé, je n’ai pas voulu télécharger le livre que l’on peut trouver à plusieurs endroits piratés. Je ne l’ai jamais fait pour les films, ni pour les programmes informatiques, je ne vais pas commencer aujourd’hui. Donc je ne l’ai pas lu, et je ne m’aventurerai pas à parler de ce que j’ignore.

Au lieu, je vais vous rapporter quelques extraits (traduits par moi librement de l’anglais) de l’interview qu’il a accordé à Sylvain Bourmeau pour le site Paris Review.

Pourquoi avez-vous écrit [Soumission] ?

Pour plusieurs raisons, je dirais. Tout d’abord, je pense que c’est mon travail, même si je n’aime pas ce mot…

Je pense que la deuxième raison est que mon athéisme n’a pas tout à fait survécu à tous les morts que je ai eu à affronter. En fait, il m’est devenu insoutenable.

La mort de votre chien, de vos parents ?

Oui, ça a été beaucoup en très peu de temps. Une raison est peut être que, contrairement à ce que je pensais, je n’ai jamais été vraiment athée. J’étais agnostique. Habituellement, ce mot sert d’écran à l’athéisme, mais pas dans mon cas je pense. Lorsque, à la lumière de ce que je sais, je réexamine la question de savoir s’il y a un créateur, un ordre cosmique, ce genre de choses, je me rends compte que je n’ai pas vraiment de réponse.

Alors qu’avant, vous pensiez …

Je pensais que j’étais athée, oui. Maintenant, je ne sais vraiment plus. Ce sont donc les deux raisons pour lesquelles j’ai écrit le livre, la deuxième raison étant probablement plus forte que la première.

Où avez-vous eu l’idée d’une élection présidentielle, en 2022, entre Marine Le Pen et le chef d’un parti musulman ?

Eh bien, Marine Le Pen me paraît être une candidate réaliste pour 2022, même pour 2017 …

Le parti musulman est plus … c’est le cœur du sujet, vraiment.

[quote]Les musulmans sont très loin de la gauche et encore plus loin des Verts. Il suffit de penser au mariage gay[/quote]

J’ai essayé de me mettre à la place d’un musulman, et j’ai réalisé qu’en réalité, ils sont dans une situation totalement schizophrénique. Parce que les musulmans, globalement, ils ne sont pas intéressés par les questions économiques. Leurs grandes questions sont ce que nous appelons aujourd’hui les questions de société.

Sur ces questions, de toute évidence, ils sont très loin de la gauche et encore plus loin des Verts. Il suffit de penser au mariage gay et vous verrez ce que je veux dire, mais la même chose est vraie dans tous les domaines.

Et on ne voit pas vraiment pourquoi ils voteraient pour la droite, et encore moins pour l’extrême droite, qui les rejette catégoriquement.

Donc, si un musulman veut voter, qu’est ce qu’il est censé faire ? La vérité, c’est qu’il est dans une situation impossible. Il n’est absolument pas du tout représenté. Il serait faux de dire que cette religion n’a pas de conséquences politiques – elle en a. Il en va de même du catholicisme, d’ailleurs, même si les catholiques ont été plus ou moins marginalisés. Pour ces raisons, il me semble, un parti musulman fait beaucoup de sens.

Mais d’imaginer qu’un tel parti pourrait se trouver en passe de remporter une élection présidentielle dans sept ans …

[quote]Il faudrait que les musulmans arrivent à s’entendre entre eux[/quote]

Je suis d’accord, ce n’est pas très réaliste. Pour deux raisons, en fait.

Premièrement, et c’est la chose la plus difficile à imaginer, il faudrait que les musulmans arrivent à s’entendre entre eux.

Mais en supposant qu’il existe [un homme extrêmement intelligent avec d’extraordinaires talents politiques], le parti pourrait décoller, mais il faudrait bien plus de sept ans.

On pourrait aussi dire que ce qui intéresse vraiment ces gens [qui se convertissent à l’islam], c’est ce qui se passe en Syrie, plutôt que de se convertir.

Je ne suis pas d’accord. Je pense qu’il y a un réel besoin de Dieu et que le retour de la religion n’est pas un slogan mais une réalité, et que c’est très en hausse.

Cette hypothèse est au cœur du livre, mais nous savons qu’elle a été discréditée depuis de nombreuses années par de nombreux chercheurs, qui ont montré que nous assistons à une sécularisation progressive de l’Islam, et que la violence et le radicalisme doivent être compris comme l’agonie de l’islamisme.

Ce n’est pas ce que j’ai observé… Ce n’est pas un phénomène français, c’est pratiquement mondial. Je reste à bien des égards un adepte d’Auguste Comte, et je ne crois pas qu’une société puisse survivre sans la religion.

Mais pourquoi avez-vous décidé de dire ces choses de manière considérablement exagérée, alors que vous reconnaissez que l’idée d’un président musulman en 2022 est irréaliste?

Ça doit être mon côté marché de masse, mon côté “thriller”.

Vous n’appelleriez pas cela votre côté Éric Zemmour?

[quote]Je ne pense pas que nous assistions à un suicide français. Je pense que nous voyons pratiquement l’inverse[/quote]

Je ne sais pas, je n’ai pas lu son livre. Que dit-il exactement? … Je ne connais que le titre du livre de Zemmour [Le Suicide français*], et ce n’est pas du tout la façon dont je vois les choses. Je ne pense pas que nous assistions à un suicide français. Je pense que nous voyons pratiquement l’inverse. L’Europe se suicide et, au milieu de l’Europe, la France se bat désespérément pour survivre. C’est presque le seul pays qui se bat pour survivre, le seul pays dont la démographie lui permettre de survivre.

Le suicide est une question de démographie, c’est la meilleure et la plus efficace façon de se suicider. C’est pourquoi la France n’est pas du tout en train de se suicider. Qui plus est, que des gens se convertissent est un signe d’espoir, pas une menace. Cela signifie qu’ils aspirent à un nouveau type de société. Cela dit, je ne pense pas que les gens se convertissent pour des raisons sociales, les raisons de leur conversion sont plus profondes, même si mon livre me contredit légèrement.

[quote]Oui, le livre a un côté effrayant. J’utilise des tactiques d’intimidation[/quote]

Pour revenir à la question de vos exagérations irréalistes, dans votre livre, vous décrivez, de manière très floue et vague, divers événements mondiaux, et pourtant le lecteur ne sait jamais vraiment ce qu’ils sont. Cela nous emmène dans le royaume de l’imaginaire, n’est ce pas, dans la politique de la peur.

Oui, peut-être. Oui, le livre a un côté effrayant. J’utilise des tactiques d’intimidation.

Comme d’imaginer la perspective que l’islam prenne possession du pays?

En fait, de qui sommes nous censés avoir peur, des nativistes ou des musulmans ? Je laisse la question en suspens.

Vous êtes-vous demandé quel effet pourrait avoir un roman basé sur une telle hypothèse ?

Aucun. Aucun effet.

Vous ne pensez pas qu’il contribuera à renforcer l’image de la France que je viens de décrire, dans laquelle l’Islam plane au dessus des têtes comme une épée de Damoclès, comme la chose la plus effrayante de toutes ?

En tout cas, c’est à peu près de quoi parlent tous les médias, ils ne pouvaient pas plus en parler. Il serait impossible d’en parler plus qu’ils ne le font déjà, donc mon livre n’aura aucun effet.

Et ça ne vous a pas donné envie d’écrire sur autre chose afin de ne pas vous joindre à la meute?

Non, une partie de mon travail consiste à parler de ce que tout le monde parle, objectivement. J’appartiens à mon temps.

[…]

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…les mêmes personnes sont souvent antiracistes militants et fervents défenseurs de la laïcité, avec deux modes de pensée ancrée dans le siècle des Lumières.

[quote]Les musulmans ont plus en commun avec l’extrême droite qu’avec la gauche[/quote]

Regardez, les Lumières c’est mort, qu’elles reposent en paix. Un exemple frappant ? Le candidat de gauche sur la liste d’Olivier Besancenot qui portait le voile, voilà une contradiction. Mais les musulmans sont dans une situation effectivement schizophrénique. Au niveau de ce que nous appelons habituellement les valeurs, les musulmans ont plus en commun avec l’extrême droite qu’avec la gauche. Il y a une opposition plus fondamentale entre un musulman et un athée qu’entre un musulman et un catholique. Cela semble évident pour moi.

Mais je ne comprends pas le lien avec le racisme …

C’est parce qu’il n’y en a pas. Objectivement parlant, il n’y en a aucun. Quand j’ai été poursuivi en justice pour racisme et acquitté, il y a une décennie, le procureur a fait remarquer, à juste titre, que la religion musulmane n’était pas une caractéristique raciale. C’est devenu encore plus évident aujourd’hui. Donc, on a étendu le domaine du «racisme» en inventant le crime d’islamophobie.

Le mot est peut-être mal choisi, mais il existe des formes de stigmatisation envers des groupes ou catégories de personnes, qui sont des formes de racisme …

Non, l’islamophobie n’est pas une forme de racisme. Si quelque chose est devenu évident, c’est bien ça.

L’islamophobie sert d’écran à une forme de racisme qui ne peut plus s’exprimer parce que c’est contre la loi.

Je pense que c’est juste faux. Je ne suis pas d’accord.

Vous vous appuyez sur une autre dichotomie douteuse, l’opposition entre l’antisémitisme et le racisme, alors qu’en réalité, nous pouvons citer de nombreux moments dans l’histoire où ces deux choses sont allées de pair.

Je pense que l’antisémitisme n’a rien à voir avec le racisme. J’ai passé du temps à essayer de comprendre l’antisémitisme, et comment il arrive. le premier réflexe est de le connecter au racisme. Mais quel genre de racisme est-ce quand une personne ne peut pas dire si quelqu’un est juif ou pas, parce que la différence n’est pas visible ? Le racisme est plus élémentaire que ça, c’est une différence de couleur de peau …

Non, car le racisme culturel est avec nous depuis longtemps.

Mais maintenant vous demandez aux mots de dire quelque chose qu’ils ne disent pas. Le racisme, c’est simplement lorsque vous n’aimez pas quelqu’un parce qu’il appartient à une autre race, parce qu’il n’a pas la même couleur peau que vous, ou les mêmes caractéristiques, et cetera. Vous ne pouvez pas étirer le mot pour lui donner un sens plus élaboré.

Mais puisque d’un point de vue biologique, les races n’existent pas, le racisme est nécessairement culturel.

Mais le racisme existe, c’est visible, tout autour de nous. Il a existé dès le moment où les races ont commencé à se mélanger … Soyez honnête, Sylvain! Vous savez très bien que le raciste est quelqu’un qui n’aime pas quelqu’un d’autre parce qu’il a la peau noire ou parce qu’il a un visage arabe. C’est ça le racisme.

Ou parce que ses valeurs ou sa culture sont …

Non, ce est un problème différent, je suis désolé.

Parce qu’il est polygame, par exemple.

Eh bien, on peut être choqué par la polygamie sans être le moins du monde raciste. Ce doit être le cas pour beaucoup de gens qui ne sont pas racistes pour un rond. Mais revenons à l’antisémitisme, parce que nous nous sommes écartés du sujet. En voyant que personne n’a jamais été en mesure de dire si quelqu’un est juif par son apparence ou même par son mode de vie, car au moment où l’antisémitisme s’est vraiment développé, très peu de Juifs avaient un mode de vie juive, que pourrait bien signifier l’antisémitisme ? Ce n’est pas une sorte de racisme. Tout ce que vous avez à faire, c’est de lire les textes pour réaliser que l’antisémitisme est tout simplement une théorie du complot. Il y a des gens cachés qui sont responsables de tout le malheur du monde, qui complotent contre nous, un envahisseur parmi nous. Si le monde va mal, c’est à cause des Juifs, à cause de banques juives … C’est une théorie de la conspiration.

Mais dans Soumission, n’y a-t-il pas là une théorie conspirationniste, l’idée qu’un “grand remplacement», pour reprendre les mots de Renaud Camus, est en cours, que les musulmans vont s’emparer du pouvoir?

Je ne connais pas grand chose sur cette théorie du «grand remplacement», mais je suppose que cela a à voir avec la race. Alors que dans mon livre, il n’y a aucune mention d’immigration. Ce n’est pas le sujet.

Ce n’est pas nécessairement racial, ce peut être religieux. Dans ce cas, votre livre décrit le remplacement de la religion catholique par l’islam.

Non. Mon livre décrit la destruction de la philosophie du siècle des Lumières, qui n’a plus de sens pour personne, ou pour très peu de gens. Le catholicisme, en revanche, se porte plutôt bien. Je maintiens que l’alliance entre catholiques et musulmans est possible. Nous avons vu cela se produire avant, cela pourrait se reproduire.

Vous qui êtes devenu agnostique, vous pouvez regarder gaiement la destruction de la philosophie des Lumières?

Oui. Ca doit se passer à un moment ou à un autre, autant que ce soit maintenant. … Alors oui, je suis hostile à la philosophie des Lumières, je souhaite être parfaitement clair là dessus.

Ce livre n’est pas destiné à provoquer ?

J’accélère l’histoire, mais non, je ne peux pas dire que le livre est une provocation – si cela signifie de dire des choses que je considère comme fondamentalement fausses juste pour taper sur les nerfs des gens. Je condense une évolution qui est, à mon avis, réaliste.

N’y a-t-il pas quelque chose de désespérant … ?

[quote]Le coran est bien mieux que ce que je pensais[/quote]

Le désespoir vient du fait de dire adieu à une civilisation, pourtant ancienne. Mais finalement, le Coran s’avère être beaucoup mieux que je pensais, maintenant que je l’ai relu, ou plutôt lu. La conclusion la plus évidente est que les djihadistes sont des mauvais musulmans. Évidemment, comme pour tous les textes religieux, il y a la place à l’interprétation, mais une lecture honnête conclura que la guerre sainte et l’agression ne sont généralement pas sanctionnés, seule la prière est valable. Donc, vous pourriez dire que je ai changé d’avis. C’est pourquoi je ne pense pas que j’écris par peur. Je pense plutôt que nous pouvons nous arranger [avec l’islam]. Les féministes ne pourront, si nous voulons être complètement honnêtes. Mais moi et beaucoup d’autres gens le pourront.

Traduit de l’anglais par Jean-Patrick Grumberg, qui salue Michel Houellebecq, lequel, me dit-on, nous lit régulièrement.

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