Publié par Magali Marc le 25 janvier 2015

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Le 17 mars 1992, une bombe explose à l’ambassade d’Israël à Buenos Aires, faisant 29 morts et 242 blessés. Cette attaque est revendiquée par l’Organisation du Djihad Islamique qui est liée à l’Iran et fonctionne sous l’égide du Hezbollah.

Deux ans plus tard, soit le 18 juillet 1994, une autre attaque terroriste vise la communauté juive argentine à Buenos Aires.

Une voiture piégée détruit le bâtiment de l’Asociación Mutual Israelita Argentina (AMIA) abritant plusieurs associations juives, faisant 84 morts et 230 blessés.

Ce fût l’attentat à la bombe le plus meurtrier commis en sol argentin. L’Argentine abrite la plus importante communauté juive d’Amérique latine et la troisième en importance dans les Amériques après les États-Unis et le Canada.

Ces deux attaques terroristes furent exécutées alors que Carlos Menem était président de l’Argentine (1989-1999). Fils d’immigrants syriens, Menem a été élevé dans la religion musulmane mais s’est converti au catholicisme dans le but de se présenter aux élections pour la présidence de l’Argentine.

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  • Carlos Menem a été accusé d’avoir reçu 10 millions de dollars de la part de Téhéran pour faire dévier l’enquête.
  • En 2009-2010, il a été inculpé avec son frère, le tout nouveau chef de la police métropolitaine de Buenos Aires, et d’autres proches, pour entrave à la justice.
  • Le 31 mars 2012, il est accusé d’avoir fait obstruction à l’enquête et d’avoir dissimulé des preuves reliant l’attaque de l’AMIA au Hezbollah et à l’Iran. Menem n’a jamais été jugé et aucune date de procès n’a été fixée.
  • Suite à une décision de la Cour d’appel qui l’a trouvé coupable de contrebande aggravée, Menem a été condamné à sept ans de prison le 13 juin 2013 pour son rôle dans une vente d’armes illégales à l’Équateur et à la Croatie.
  • Son poste de sénateur lui donnant l’immunité, il a échappé à l’incarcération.
  • À cause de son âge avancé, (82 ans), la possibilité d’une assignation à résidence lui a été offerte.

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Succédant à Edouardo Duhalde, président par intérim après Carlos Menem, Nestor Kirchner est élu en 2003.

En 2004, il nomme Alberto Nisman procureur général et le met à la tête d’une nouvelle enquête sur l’attentat de l’AMIA, déclarant que l’enquête menée auparavant a été une «honte nationale».

En juillet 2005, le cardinal Jorge Mario Bergoglio, qui devint le pape François, a été la première personnalité publique à signer une pétition pour obtenir que justice soit faite. La pétition était intitulée «85 victimes, 85 signatures» et circulait dans le cadre du 11e anniversaire de l’attentat.

En août 2005, le juge fédéral, Juan José Galeano qui avait mené l’enquête avant Nisman, a été mis en accusation et démis de ses fonctions pour «graves irrégularités» (notamment un pot de vin versé à un témoin).

Le 25 octobre 2006,  Alberto Nisman et son collègue Marcelo Martinez Burgos accusèrent formellement le gouvernement iranien et le mouvement Hezbollah d’être responsables des attentats.

En novembre 2007, Interpol publia les noms des six individus accusés par le gouvernement argentin pour leur rôle dans l’attaque terroriste. Ils furent ajoutés à la liste d’alerte rouge d’Interpol :

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  • Imad Mughniyah
  • Ali Fallahijan
  • Mohsen Rabbani
  • Ahmad Reza Asghari
  • Ahmad Vahidi (nommé ministre de la Défense par le gouvernement de Mahmoud Ahmadinejad en août 2009), et
  • Mohsen Rezaï

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Mohsen Rezaï et Ali Akbar Velayati, considérés comme étant les organisateurs de l’attentat, étaient tous deux candidats à la présidence de l’Iran en 2013.

Nisman était aussi convaincu que l’Ayatollah Hashemi Rafsanjani, qui était président de la République islamique d’Iran de 1989 à 1997, avait ordonné l’attaque et avait réclamé un mandat d’arrêt international à son encontre.

Les résultats de son enquête ont été salués à l’époque par Irwin Cotler, ancien ministre de la Justice du Canada, comme «un jugement important ayant des ramifications internationales pour la lutte contre le terrorisme.”

Mais Cotler se réjouissait trop vite.

Cristina Fernandez Kirchner fût élue et succèda à son mari en 2007, puis fût réélue en 2011. Nestor Kirchner est décédé en 2010.

Le 28 Février 2013, la Chambre des députés argentine entérina un protocole d’entente que le gouvernement argentin de la présidente, Cristina Fernandez de Kirchner, avait signé avec l’Iran le 27 janvier 2013.

Ce protocole d’entente établissait une “commission de vérité” conjointe pour enquêter sur l’attentat contre l’AMIA. Selon la présidente Kirchner, cette commission conjointe était créée pour «analyser tous les documents présentés à ce jour par les autorités judiciaires de l’Argentine et de l’Iran … et pour donner son avis et émettre un rapport contenant des recommandations sur la façon de poursuivre la procédure dans le cadre juridique et réglementaire des deux parties».

Refusant de désarmer, Alberto Nisman publie en mai 2013, un acte d’accusation de 502 pages démontrant que l’Iran a établi des réseaux terroristes dans toute l’Amérique latine – en Argentine, au Brésil, au Paraguay, en Uruguay, au Chili, en Colombie, en Guyane, en Trinité-et-Tobago et au Suriname – depuis les années 1980.

Nisman a également fait état d’une nouvelle preuve soulignant la responsabilité de Mohsen Rabbani, l’ancien attaché culturel iranien en Argentine, cerveau de l’attentat contre l’AMIA et “coordinateur de l’infiltration iranienne en Amérique du Sud, en particulier en Guyane”.

Selon Nisman, des documents judiciaires américains ont prouvé que le militant islamiste Abdul Kadir – qui a été condamné à la prison à vie en 2010 pour avoir participé à un plan déjoué d’attentat contre l’aéroport international John F. Kennedy à New York – était un disciple de Rabbani.

Le Canadien Irwin Cotler dénonça le fait que malgré l’implication clairement établie du Hezbollah et de l’Iran (ou du moins de personnalités importantes du gouvernement iranien) et en dépit des tentatives des cours argentines de faire extrader les Iraniens et les membres du Hezbollah accusés d’avoir joué un rôle majeur dans les attentats, le gouvernement argentin avait décidé de conclure un accord avec les auteurs de l’attentat, ce qui eut pour effet de les blanchir sur toute la ligne !

L’ire de l’ancien ministre de la justice du Canada était palpable :

« Il est tout simplement inacceptable et incompréhensible, qu’en dépit du fait que six mandats d’arrêts ont été émis, il n’y a eu aucune condamnation en relation avec ces horribles attaques terroristes … la notion qu’une ‘commission de vérité’ conjointe peut résulter en autre chose que le blanchiment de ces crimes vieux de vingt ans est une absurdité… Ce n’est pas une plus grande coopération avec le régime responsable des attaques dont on a besoin – ce qui revient à demander au pyromane d’enquêter sur l’incendie – mais plutôt de la volonté politique du gouvernement argentin et de la communauté internationale de prendre des mesures immédiates contre ceux qui ont contrevenu au droit international et qui doivent être tenus responsables de leurs actes.»

L’assassinat déguisé en suicide du procureur Nisman

Le 14 janvier 2015, le procureur chargé de l’affaire, Alberto Nisman, accuse la présidente argentine, Kristina Kirchner, d’avoir levé des accusations visant à couvrir des suspects iraniens en échange de pétrole à un prix avantageux.

Le 18 janvier, la veille de son audition devant la commission de législation pénale de la Chambre des députés, Alberto Nisman est retrouvé mort à son domicile, une balle dans la tête, avec à ses côtés un pistolet calibre 22 qui appartient à l’un de ses collaborateurs. Ce dernier l’aurait apporté à la demande du procureur la veille de sa mort, apparemment pour sa protection. Pourtant, Nisman possédait déjà une arme de calibre 38. Et on a retrouvé aucune trace de poudre sur ses mains.

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Sur son bureau ont été retrouvées 300 pages de dénonciation où figurent des écoutes téléphoniques entre la présidente et les autres initiateurs du plan que Nisman s’apprêtait à exposer devant la commission de législation pénale comme autant de preuves démontrant ses accusations.

Personne n’a cru à son suicide. Ni son ex-épouse, Sandra Arroyo Salgado, ni des journalistes ou auteurs qui l’ont connu personnellement tels que Matthew Levitt, Jeff Weintraub ou Gustavo Perednik.

Le journaliste Andrès Oppenheimer a écrit sur son compte Twitter qu’il a reçu le samedi avant sa mort (soit le 17 janvier) un courriel dans lequel Nisman acceptait de faire une interview avec lui la semaine suivante et se disait confiant.

Matthew Levitt du Washington Institute a connu Nisman personnellement et l’a rencontré à plusieurs reprises. Il décrit Alberto Nisman comme l’Eliot Ness de la conspiration de l’AMIA.

Damian Pachter au moment d'embarquer
Damian Pachter au moment d’embarquer pour fuir le pays

Damian Pachter du BuenosAiresHerald.com, le premier journaliste à avoir annoncé le décès d’Alberto Nisman, a indiqué à deux proches collègues qu’il était suivi depuis quelques jours. Il a ensuite appris que les services secrets argentins le surveillaient et a reçu le conseil de quitter le pays. Ce qu’il a fait. Il s’est réfugié en Israël (il est juif et né en Israël) et a atterri à l’aéroport Ben Gurion dimanche 25 janvier dans l’après midi après être passé par Montevideo, Uruguay et Madrid.

La Présidente Kirchner, pour sa part, pointe du doigt le chef de l’espionnage, Antonio Horacio Stiuso, celui qui aurait fourni à Nisman les centaines d’heures d’enregistrements secrets qui prouveraient qu’elle avait tenu des négociations secrètes afin de saboter ses tentatives de faire extrader cinq fonctionnaires iraniens qui devraient subir leur procès pour avoir fomenté l’attaque de l’AMIA.

Selon Nisman, Cristina Kirchner aurait accordé l’immunité aux Iraniens en échange de pétrole pour aider l’Argentine à combler le fossé énergétique qui met en danger son économie.

Selon la Présidente Kirchner, Stiuso lui ayant fourni les enregistrements, et Nisman ayant écrit son rapport, il l’aurait tué car il n’avait plus besoin de lui et aurait souhaité le réduire au silence… Stiuso se vengeant ainsi d’avoir été mis à la porte par Kirchner.

Personne ne croit au suicide de Nisman.

Mais personne ne s’entend sur le nom de l’assassin.

La mort d’Alberto Nisman fait l’affaire de bien des gens.

D’abord des Iraniens parce qu’en l’absence de preuve et de témoignages concluants, ils ne seront jamais accusés.

Ensuite, de tous ceux qui ont participé de près ou de loin à la dissimulation des preuves et à l’échec des premières enquêtes, à commencer par Carlos Menem et à finir par Cristina Kirchner.

On se demande encore comment il se fait que les dix agents secrets chargés de sa sécurité n’ont pas réussi à le protéger et ont bien tardé à signaler qu’il ne répondait pas au téléphone. C’est finalement la mère de Nisman, alarmée, qui a fait ouvrir la porte de son appartement à 10h du soir pour découvrir la dépouille de son fils.

On s’attend à ce que l’ex-épouse de Nisman, Sandra Arroyo Salgado, elle même une magistrate, demande une nouvelle autopsie et des tests balistiques au nom des deux filles adolescentes qu’elle a eues avec le défunt.

La vérité viendra peut-être de ce côté.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Magali Marc pour Dreuz.info.

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