« À toute chose, malheur est mauvais. » – Peuchmaurd
Ceux qui s’imaginent que l’élection israliénne se déroule le 17 mars, jour du vote, se mettent le doigt dans l’œil. L’élection commence vraiment le lendemain, par une tambouille cashère qui n’a de démocratique que la dimension des petits papiers que les citoyens israéliens glisseront dans l’urne.
Avec le système parlementaire pourri qu’Israël s’est choisi, ce n’est pas le gagnant qui remporte le gros lot – enlevez-vous toute illusion – mais celui qui sera considéré par le président Rivlin comme le plus capable de créer une coalition stable.
[quote]Vous pouvez écarquiller les yeux, penser que je divague ou que j’ai de la fièvre, c’est pourtant l’exacte réalité[/quote]
Vous pouvez écarquiller les yeux, penser que je divague ou que j’ai de la fièvre, c’est pourtant l’exacte réalité. En février 2009, Tzipi Livni avec son parti Kadima a remporté les élections avec 28 sièges, un de plus que le Likoud. Et c’est Benjamin Netanyahou qui est devenu premier ministre.
Pourquoi ? Parce que Livni n’a pas été capable, au bout des trois semaines impératives, de créer une coalition, et le président Shimon Peres, qui penche du même coté politique qu’elle, a proposé au président du Likoud de présenter une coalition, ce qu’il a réussi à faire.
C’est là que se passe l’élection, et qu’elle se passera plus que jamais ce mois de mars 2015, du fait que les deux « partis » principaux, Likud et Union sioniste (Union sioniste est une alliance de deux partis, le centre gauche ex Kadima et la gauche travailliste, Avoda, devenue très faible), sont au coude à coude, et qu’ils doivent être capables de constituer ladite coalition de 61 sièges pour assurer au pays la stabilité dont le président Rivlin est garant.
La Tambouille cashère
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- Selon les derniers sondages, la Droite est créditée de 47 sièges, et la Gauche de 41 : aucun des leaders des deux camps ne peut prétendre au poste de premier ministre sans une alliance avec un ou plusieurs petits partis : la liste unie des partis arabes devrait avoir 13 sièges, et les partis religieux, 19 (Shas 9, UTJ 6 et Yachad 4).
- A Droite, le parti Koulanou de Moshe Kahlon, un dissident du Likoud, devrait obtenir 9 sièges. Kahlon a déclaré qu’il est prêt à faire alliance avec n’importe quel gouvernement, à condition qu’il soit nommé ministre des finances. La raison officielle est qu’il entend briser les monopoles afin de relâcher les tensions sur le coût de la vie, un sujet clef pour les sympathisants d’origine sépharade et Moyen-orientale comme lui, qui votent traditionnellement Likoud, mais qui sont déçus de la politique économique de Netanyahou.
- La proposition de Kahlon signifie que les différences droite gauche l’indiffère, (bonjour la représentation démocratique). Sans lui, la droite tombe à 38 sièges, et la gauche passe 50.
- La gauche alliée à Kahlon doit alors trouver 11 sièges. Elle tentera une coalition avec les 9 sièges de Shas et les 6 de Yachad – si elle fait des concessions – comme d’habitude scandaleuses parce que réservées aux religieux au détriment du reste de la société civile, une pilule que l’électorat de gauche, plutôt laïque, a toujours du mal à avaler.
- Mais ce bras tendu vers les religieux risque de ne pas fonctionner.
- Yachad a déclaré vouloir renforcer le Likoud à droite.
- Yaakov Litzman, le député et chef de file du parti religieux Unité Torah Judaïsme a déclaré qu’il ne fera pas partie d’un gouvernement avec Yaïr Lapid (Yesh Atid – 12 sièges), auteur de la loi pénale contre les religieux qui refusent de faire leur service militaire. « Je ne siègerai pas avec Lapid. Purement et simplement » a déclaré Litzman qui a ajouté n’avoir aucun problème à participer à une gouvernement avec le parti d’extrême gauche Meretz, rappelant qu’il a dans le passé, il a fait partie d’un gouvernement travailliste avec eux. « J’ai déjà siégé dans un gouvernement de coalition avec le Meretz. Yossi Sarid était ministre de l’éducation, et c’était d’ailleurs un excellent ministre à ce poste. C’était en 1999 avec Ehud Barak. »
- Bien qu’il ait réservé sa décision pour conserver son pouvoir de levier, le responsable politique religieux de Shas pourrait bien emboîter le pas à UTJ.
- Si l’Union sioniste doit renoncer aux 12 sièges de Yesh Atid pour obtenir les 19 des ultra-orthodoxes, elle est toujours un peu court pour une majorité.
- D’autant que Rabbi Meir Mazuz, le conseil rabbinique du parti Yachad, a déclaré qu’il entend faire de l’annulation de la loi qui impose aux religieux de joindre les rangs de l’armée sous peine de prison, une condition d’entrée dans une coalition.
- Mais Yaïr Lapid, l’auteur de la loi, a déclaré que son préalable à lui, pour rejoindre un gouvernement, c’est que sa loi ne soit ni annulée, ni amendée.
- Reste la liste d’union des partis arabes. Personne n’imagine Zoabi ou Tibi, qui œuvrent à la destruction d’Israël, au gouvernement – sauf le parti Meretz ou des « intellectuels » comme Shlomo Sand évidemment, et cela ne donne d’ailleurs pas une majorité.
- Car 41 sièges à gauche + 19 ultra-orthodoxes – 12 Yesh Atid + 9 Koulanou, ça ne fait pas non plus une majorité…
- Netanyahou, dans ce contexte, va naturellement être tenté (ou contraint) de composer un gouvernement avec Yaïr Lapid (12 sièges). Mais il lui manque alors 2 sièges pour faire une majorité. Et puisque UTJ a refusé de participer à un gouvernement auquel participe Lapid, il devra chercher une alliance avec un des autres partis religieux, qui demandent l’amendement de la loi pénale contre les ultra-religieux, ce que Netanyahou s’est par avance engagé à faire.
- Sauf que Lapid a annoncé qu’il ne fera pas partie d’un gouvernement si l’on touche à sa loi.
- Une fois encore, ce sont les petits partis religieux bénéficiaires du système à la proportion intégrale, dont les demandes exorbitantes et exclusives distordent la représentation démocratique, qui vont se positionner en arbitres, ce que Netanyahou avait réussi à éviter dans le gouvernement sortant – c’était une première.
- L’Union sioniste sera alors tentée d’attirer Yisrael Beitenou et ses 6 sièges. Mais elle perd Meretz (5 sièges) avec qui Lieberman a déclaré qu’il ne fera pas de coalition, et personne n’imagine Bennet (Jewish Home) passer à gauche.
- D’ailleurs Bennet sent qu’une coalition de droite ou de gauche pourrait bien se faire sans lui, dont les 12 sièges ne sont pas indispensables si le Likoud s’allie à l’Union sioniste, et il panique un peu.
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Si le Likoud se retrouve à devoir coopérer avec la gauche pour composer un gouvernement sans Lapid, dans lequel il n’aura pas besoin des 9 sièges de Kahlon, nous aurons assisté à un superbe exercice de Benjamin Netanyahou qui rappelle celui de Jacques Chirac.
Bibi a dissous son gouvernement après avoir renvoyé Livni et Lapid, et il se retrouve avec Livni (qui a annoncé qu’elle renonce à un poste au gouvernement pour ne pas gêner le vote de l’Union sioniste) et Herzog, et certainement l’obligation d’une alternance au poste de premier ministre avec Herzog, dans un gouvernement où le Likoud ne pèse pas assez lourd.
Fin de semaine, sur Facebook, Benjamin Netanyahou a accusé la gauche + le premier quotidien israélien Yedioth Ahronoth + les ONG financées par l’étranger et l’organisation « d’un gouvernement étranger », c’est à dire V15 de Barack Obama, d’avoir monté une conspiration contre lui.
Il a raison et c’est une réalité dont nous sommes de nombreux témoins. Mais il ne peut s’en prendre qu’à lui-même.
Comment l’homme qui a su déjouer avec brio tous les pièges du président américain est-il tombé dans un piège israélien si basique, que l’on savait tous tendu contre lui, cela reste un mystère à élucider.

Pire. Si comme je le pense, l’intervention des activistes de V15 qui ont frappé aux portes d’un million et demi d’Israéliens avec un scénario parfaitement huilé, contribue à son échec, le premier ministre ne peut oublier que c’est lui qui par deux fois a rejeté le projet de loi d’Ofir Akunis, inspiré par Ronen Shoval a qui l’auteur de ces lignes a apporté un soutien actif, qui voulait interdire que des pays étrangers financent des ONG malignes, ce qui leur donne une puissance de voix artificiellement disproportionnée par rapport à leur taille microscopique (des ONG de quelques dizaines de membres reçoivent des subventions de plusieurs millions d’euros pour fabriquer des dossiers à charge dont leurs parrains se servent ensuite dans des commissions d’enquête de l’ONU, de la Cour pénale internationale, et pour poursuivre en justice des soldats israéliens).
Le vote de cette loi aurait empêché à Obama d’envoyer V15 en Israël renverser Netanyahou…
[quote]J’espère avoir été clair, car vous devez maintenant oublier tout ce que vous venez de lire[/quote]
J’espère avoir été clair, car vous devez maintenant oublier tout ce que vous venez de lire : le dernier sondage de vendredi donne 25 sièges à l’Union sioniste, 21 au Likoud, 11 à Yesh Atid et 11 à Jewish Home. Koulanou reçoit toujours 9 sièges, tandis que Shas, Yisrael Beytenou et Unité Torah Judaïsme tombent à 6 chacun, ce qui rend caduque une partie du jeu de chaises vides que je vous ai exposé.
Voilà pourquoi l’élection commencera le 18 mars, et non le 17, lorsque le président Rivlin recevra les chefs des principaux partis, écoutera leurs promesses de coalition, et choisira le plus convainquant dans sa capacité à former un gouvernement stable. Il lui donnera trois semaines pour le démontrer. A l’issue de ce délai, le candidat choisi devra apporter dans sa besace une coalition majoritaire, ou contempler le candidat perdant se voir offrir la même tâche…
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour Dreuz.info.
Cela ressemble au système belge. Le Roi nomme le formateur qui doit essayer de trouver une majorité.
Bon vote aux Israéliens.
Effectivement, il fallait une explication du mode de fonctionnement… et du contexte récent !
Bon vote aux Israéliens
Wow, chapeau. Je n’avais pas idée de l’existence d’une telle « tambouille ». Merci pour ces explications.