Publié par Dreuz Info le 2 mai 2015

jacques sémelin

Ce mardi 5 mai 2015, l’historien Jacques Semelin présente son livre “Le paradoxe français. Comment 75% des juifs ont échappé à la Shoah” à l’institut français de Tel-Aviv. Je ne serai pas en Israël à cette date, mais je n’aurais de toute façon pas été écouter M. Semelin.

[quote]Le soi-disant travail de recherche historique de Jacques Semelin est déformé par une obsession qu’il promène d’ouvrage en ouvrage[/quote]

Non pas parce que le sujet ne m’intéresse pas, au contraire, et pas seulement parce que j’ai déjà entendu Semelin présenter son livre à Paris en 2014. Mais tout simplement parce que le soi-disant travail de recherche historique de Jacques Semelin est déformé par une obsession qu’il promène d’ouvrage en ouvrage, “La résistance civile”.

C’est une notion importante, et lorsque Semelin a proposé celle-ci vers la fin des années 1980, il a fait une contribution importante à notre connaissance de la Seconde guerre mondiale, et entre autres de la Shoah. Le problème est que Semelin, depuis cette importante découverte, ne regarde notre passé qu’à travers ce prisme, comme si c’était l’élément principal qui nous permettait de comprendre ce qui s’était passé entre 1939 et 1945.

[quote]Il repose sur une extrapolation tirée de manière non scientifique de quelques témoignages[/quote]

Je ne suis pas souvent d’accord avec l’historien américain Robert Paxton, on le sait. Mais dans la recension qu’il a consacré à l’ouvrage de Semelin dans la “New York Review of Books” en mars 2014, celui-ci a mis le doigt sur les défauts importants de l’ouvrage : non seulement il repose sur une extrapolation tirée de manière non scientifique de quelques témoignages, mais de plus nulle part il n’est effectué de comparaisons qui démontreraient que l’attitude des Français à cette époque aurait été différente, en bien comme en mal, de l’attitude des autres populations des différents pays européens.

J’ajouterai deux critiques supplémentaires à celles, importantes, de Paxton.

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  • La première, c’est la prétention de Semelin à être le premier à se consacrer à l’explication du “paradoxe français” qui fait que la France a été un des pays où la proportion de Juifs qui ont échappés à la Shoah a été l’une des plus importantes d’Europe. Des dizaines d’historiens, français et étrangers, se sont interrogés sur cette question depuis les années 50, moment où Léon Poliakov et Raul Hilberg l’avaient déjà abordé. Le fait que les réponses données par ces historiens aient été différentes de ce que prétend Semelin n’aurait pas dû amener celui-ci à faire semblant de les ignorer.
  • Deuxième défaut du livre, c’est un manque total d’analyse, sauf dans les dernières pages, qui soit un tant soit peu politique, par rapport au gouvernement français de l’époque notamment. Comme si les sauvetages s’étaient effectués dans un espace vide de toutes circonstances extérieures.

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Mais au fait, d’où vient cette “obsession” de Semelin pour l’attitude des populations et leur capacité de résistance ?

Si on prend le temps d’examiner la bibliographie de Jacques Semelin dans Wikipédia, on s’aperçoit d’un fait étrange. Semelin a d’abord été psychologue, puis est devenu historien au milieu des années 1980. Mais autant sa carrière d’historien est fortement détaillée, autant on ne trouve rien, pas un mot, sur ce qu’il a fait dans sa première profession.

On ne dit pas, notamment, qu’il a commencé à travailler dans un cadre fort intéressant : dans les années soixante-dix, et alors que la menace soviétique est encore une réalité, le Ministère de la défense embauche Semelin pour comprendre pourquoi une partie de la population, pendant la seconde guerre mondiale, a collaboré avec l’occupant, et comment éviter cela si une nouvelle invasion se produit. Ce sont ces travaux qui ont amené le psychologue Semelin à s’intéresser à la résistance civile et, finalement, à devenir historien de ce phénomène. Mais apparemment en restant prisonnier jusqu’aujourd’hui de ce départ de carrière.

Tous ceux qui, dans la foulée du grand show chiraquo-klarsfeldien de l’entrée des Justes de France au Panthéon, pensent qu’il faut développer l’image d’une population française presque totalement unie dans l’aide aux Juifs poursuivis par les nazis, se précipiteront mardi pour écouter Jacques Semelin.

Ils éviteront ainsi de se poser quelques questions historiques importantes mais que l’on préfère éviter aujourd’hui :

• Pourquoi y-a-t’il si peu de Justes reconnus ?

• Pourquoi l’immense majorité de la population (en France comme ailleurs) est-elle restée tellement indifférente au sort des Juifs ?

• Pourquoi la France Libre de Londres ou encore les dirigeants des réseaux de résistance n’ont-ils jamais donné de consignes de sauvetage pour aider les Juifs ?

• Et pourquoi trouve-t-on un nombre non négligeable d’interventions en faveur des Juifs faites par le gouvernement collaborateur de l’époque ?

Mais pour répondre à ces interrogations, il faut comprendre qu’il n’est pas suffisant d’examiner l’histoire par le petit bout de la lorgnette du sauvetage, comme le fait Jacques Semelin.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Alain Michel, historien, pour Dreuz.info, depuis Jérusalem.

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