Publié par Sidney Touati le 28 mai 2015

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Le traumatisme de l’exode

Pendant une quinzaine de jours, en juin 40, les Français ont vécu la douloureuse expérience de l’Exode. Ils eurent brutalement conscience d’appartenir à un peuple paria : plus de gouvernement, plus de pays, plus d’administration, plus de repère.

Pendant cette courte période, les Français ont connu la situation qui fut celle du Juif depuis la destruction du Second Temple, celle de l’errance.

Exode, défaite, désorganisation totale du pays, occupation allemande… Chacun s’est retrouvé livré à lui-même, sous le regard indifférent, voire hostile de l’autre.

Sur ces routes encombrées, des millions d’êtres hagards ont été confrontés à un processus de désocialisation, prélude à une forme de déshumanisation. Tous les anciens rapports dissouts, les codes de conduite habituels sont devenus obsolètes. Ne demeuraient dans cet état de panique, que les gestes inspirés par le désespoir de la survie.1

Comment la France a-t-elle vécu cette vertigineuse déchéance ? Comment les Français ont-ils repris le chemin du quotidien après ce traumatisme douloureux ?

Ils ont, du fond de leur insondable détresse, entendu une voix.

Ils se sont accrochés à un nom qui symbolisait les heures de gloire à jamais perdues.

Pour échapper à la noirceur des jours, ils ont trouvé refuge dans le leurre que leur tendait le Maréchal Pétain : le rétablissement d’un État souverain.

La sortie du traumatisme : sacrifice des Juifs et leurre vichyste

Pour que le caractère fantasmatique de la situation puisse perdurer, il fallait lui donner une réalité et notamment, désigner un coupable.

À peine installé, le nouveau pouvoir stigmatisa les étrangers et les Juifs. Durant l’été 40 et massivement le 3 octobre 40, une partie de la population fut légalement déclassifiée et réduite à l’état d’exclu, de paria. Toute la machine bureaucratique participa à ce crime, du fonctionnaire le plus humble, aux plus hautes autorités de la Justice : Conseil d’Etat et Cour de Cassation, inclus.

Les historiens s’interrogent toujours sur les motifs d’une telle hâte à légiférer sur les Juifs.

Nous risquons ici une piste pour comprendre pourquoi Vichy a fait le choix d’emprunter – dans l’espoir d’être sauvé- le chemin du crime organisé ?

Avec le statut des Juifs, Vichy affichait tout à la fois le visage de la puissance regagnée et celui de la Justice qui châtie. Avec le vol des biens Juifs, on trouva l’indemnité pour réparer le préjudice de la défaite.2

Au plan de la représentation idéologique, la politique anti juive de Vichy permettait aux Français de revivre l’horreur de l’Exode en leur faisant croire qu’ils en étaient définitivement sortis puisque les Juifs occupaient cette abominable place.

Par ce leurre, on persuada les Français, qu’ils étaient gouvernés, qu’ils appartenaient à un État souverain. En réalité, Vichy enfermait chaque jour davantage les Français dans le périmètre du pouvoir Allemand. L’outil forgé pour asservir les Juifs étant de plus en plus utilisé pour l’asservissement du peuple français. Par exemple, au vol des biens Juifs, succéda le pillage de la nation tout entière. S’étant fait la main sur les Juifs, l’Etat Français avait appris à voler en toute légalité. Le verbiage moralisateur du Maréchal visait à masquer la sordide réalité : l’image du Juif paria était en réalité l’image de la France elle-même.

Les Français en prirent conscience lorsque les Allemands procédèrent à une double capture : celle des Juifs pour la déportation et celle des hommes pour le STO.

La mécanique qui rendait supportable la répétition du traumatisme s’enraya lorsque le Juif changea de « propriétaire », disparaissant du même coup du paysage sociétal.

Sans la présence réelle du Juif déchu, les Français furent confrontés à leur propre déchéance.

Vichy avait besoin de mettre en scène le spectacle de la misère des Juifs pour fonctionner. Raison pour laquelle il agissait avec une telle détermination pour en conserver la mainmise.

Mais, l’impuissance du pouvoir de Vichy à demeurer « propriétaire » de ses Juifs était le signe de son impuissance à protéger les Français de la domination nazie.

Le Juif vivant, le Juif déchu, était l’unique signe de la puissance de Vichy. Le Juif et ses richesses, fantasmées ou réelles, étaient le bien de la Nation, le signe d’une apparente souveraineté de l’Etat.

Le Juif disparu, le Juif déporté, était à rebours, l’expression de la toute-puissance nazie et corrélativement celle de la soumission absolue de la France au joug nazi.

Fin du leurre : le règne des nazis

En quelques neuf mois, le régime de Vichy montra son vrai visage.

Avec la déportation des Juifs, le leurre laborieusement mis en place par le Maréchal Pétain – la collaboration de deux Etats souverains, – France/Allemagne – s’effondra. Lui succéda le pouvoir de plus en plus affiché des nazis sur les Français. Darquier de Pellepoix succédant à Xavier-Vallat en mai 1942 suivi par les grandes Raffles de Juifs de juillet 42 ; l’envahissement de la zone Sud en novembre 42, puis par la création de la Milice française (police supplétive de la Gestapo) en janvier 1943 et la création du STO (service du travail obligatoire) en février 1943… furent les signes les plus visibles de ce basculement.

Les Français confrontés à la substitution du régime d’expulsion par un processus d’extermination des Juifs, ne pouvaient ignorer que la collaboration avec les Allemands avait cédé la place au règne brutal, atroce, des nazis. Même l’Eglise ne put persister dans sa cécité.

Le vide laissé par le Juif raflé, fut automatiquement occupé par la masse des Français redevenue le peuple paria, le peuple étranger dans son propre pays.

Les wagons qui conduisaient les Juifs vers les camps de la mort, allaient être aussi remplis par les hommes affectés au STO. Tous les français se sentirent traqués. La machine de guerre allemande consommait de l’humain, comme ses chars consommaient du pétrole ; elle détruirait la France comme elle détruisait les Juifs.

Désormais, il devint de plus en plus difficile d’ignorer que la Collaboration était par essence un processus de mort ; chacun fut confronté à un choix existentiel fondamental : résister ou disparaître.

Il est clair que le statut du Juif fut l’élément clé de cette sombre histoire.

En passant de l’exclusion des Juifs à leur extermination programmée, le régime de Vichy ne changeait pas tant de nature que de niveau de criminalité, le règne des voleurs cédant la place à celui des assassins.

1 Le très beau livre d’Irène Nemirosky, Suite Française, décrit cette débâcle.

2 Ils furent nombreux à « profiter » et de l’exclusion des Juifs et du vol de leurs biens. Sartre par exemple, n’eut aucun scrupule à occuper au lycée Condorcet, le poste laissé vacant par un professeur évincé de la fonction publique, parce que Juif.

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