Le traumatisme de l’exode
Pendant une quinzaine de jours, en juin 40, les Français ont vécu la douloureuse expérience de l’Exode. Ils eurent brutalement conscience d’appartenir à un peuple paria : plus de gouvernement, plus de pays, plus d’administration, plus de repère.
Pendant cette courte période, les Français ont connu la situation qui fut celle du Juif depuis la destruction du Second Temple, celle de l’errance.
Exode, défaite, désorganisation totale du pays, occupation allemande… Chacun s’est retrouvé livré à lui-même, sous le regard indifférent, voire hostile de l’autre.
Sur ces routes encombrées, des millions d’êtres hagards ont été confrontés à un processus de désocialisation, prélude à une forme de déshumanisation. Tous les anciens rapports dissouts, les codes de conduite habituels sont devenus obsolètes. Ne demeuraient dans cet état de panique, que les gestes inspirés par le désespoir de la survie.1
Comment la France a-t-elle vécu cette vertigineuse déchéance ? Comment les Français ont-ils repris le chemin du quotidien après ce traumatisme douloureux ?
Ils ont, du fond de leur insondable détresse, entendu une voix.
Ils se sont accrochés à un nom qui symbolisait les heures de gloire à jamais perdues.
Pour échapper à la noirceur des jours, ils ont trouvé refuge dans le leurre que leur tendait le Maréchal Pétain : le rétablissement d’un État souverain.
La sortie du traumatisme : sacrifice des Juifs et leurre vichyste
Pour que le caractère fantasmatique de la situation puisse perdurer, il fallait lui donner une réalité et notamment, désigner un coupable.
À peine installé, le nouveau pouvoir stigmatisa les étrangers et les Juifs. Durant l’été 40 et massivement le 3 octobre 40, une partie de la population fut légalement déclassifiée et réduite à l’état d’exclu, de paria. Toute la machine bureaucratique participa à ce crime, du fonctionnaire le plus humble, aux plus hautes autorités de la Justice : Conseil d’Etat et Cour de Cassation, inclus.
Les historiens s’interrogent toujours sur les motifs d’une telle hâte à légiférer sur les Juifs.
Nous risquons ici une piste pour comprendre pourquoi Vichy a fait le choix d’emprunter – dans l’espoir d’être sauvé- le chemin du crime organisé ?
Avec le statut des Juifs, Vichy affichait tout à la fois le visage de la puissance regagnée et celui de la Justice qui châtie. Avec le vol des biens Juifs, on trouva l’indemnité pour réparer le préjudice de la défaite.2
Au plan de la représentation idéologique, la politique anti juive de Vichy permettait aux Français de revivre l’horreur de l’Exode en leur faisant croire qu’ils en étaient définitivement sortis puisque les Juifs occupaient cette abominable place.
Par ce leurre, on persuada les Français, qu’ils étaient gouvernés, qu’ils appartenaient à un État souverain. En réalité, Vichy enfermait chaque jour davantage les Français dans le périmètre du pouvoir Allemand. L’outil forgé pour asservir les Juifs étant de plus en plus utilisé pour l’asservissement du peuple français. Par exemple, au vol des biens Juifs, succéda le pillage de la nation tout entière. S’étant fait la main sur les Juifs, l’Etat Français avait appris à voler en toute légalité. Le verbiage moralisateur du Maréchal visait à masquer la sordide réalité : l’image du Juif paria était en réalité l’image de la France elle-même.
Les Français en prirent conscience lorsque les Allemands procédèrent à une double capture : celle des Juifs pour la déportation et celle des hommes pour le STO.
La mécanique qui rendait supportable la répétition du traumatisme s’enraya lorsque le Juif changea de « propriétaire », disparaissant du même coup du paysage sociétal.
Sans la présence réelle du Juif déchu, les Français furent confrontés à leur propre déchéance.
Vichy avait besoin de mettre en scène le spectacle de la misère des Juifs pour fonctionner. Raison pour laquelle il agissait avec une telle détermination pour en conserver la mainmise.
Mais, l’impuissance du pouvoir de Vichy à demeurer « propriétaire » de ses Juifs était le signe de son impuissance à protéger les Français de la domination nazie.
Le Juif vivant, le Juif déchu, était l’unique signe de la puissance de Vichy. Le Juif et ses richesses, fantasmées ou réelles, étaient le bien de la Nation, le signe d’une apparente souveraineté de l’Etat.
Le Juif disparu, le Juif déporté, était à rebours, l’expression de la toute-puissance nazie et corrélativement celle de la soumission absolue de la France au joug nazi.
Fin du leurre : le règne des nazis
En quelques neuf mois, le régime de Vichy montra son vrai visage.
Avec la déportation des Juifs, le leurre laborieusement mis en place par le Maréchal Pétain – la collaboration de deux Etats souverains, – France/Allemagne – s’effondra. Lui succéda le pouvoir de plus en plus affiché des nazis sur les Français. Darquier de Pellepoix succédant à Xavier-Vallat en mai 1942 suivi par les grandes Raffles de Juifs de juillet 42 ; l’envahissement de la zone Sud en novembre 42, puis par la création de la Milice française (police supplétive de la Gestapo) en janvier 1943 et la création du STO (service du travail obligatoire) en février 1943… furent les signes les plus visibles de ce basculement.
Les Français confrontés à la substitution du régime d’expulsion par un processus d’extermination des Juifs, ne pouvaient ignorer que la collaboration avec les Allemands avait cédé la place au règne brutal, atroce, des nazis. Même l’Eglise ne put persister dans sa cécité.
Le vide laissé par le Juif raflé, fut automatiquement occupé par la masse des Français redevenue le peuple paria, le peuple étranger dans son propre pays.
Les wagons qui conduisaient les Juifs vers les camps de la mort, allaient être aussi remplis par les hommes affectés au STO. Tous les français se sentirent traqués. La machine de guerre allemande consommait de l’humain, comme ses chars consommaient du pétrole ; elle détruirait la France comme elle détruisait les Juifs.
Désormais, il devint de plus en plus difficile d’ignorer que la Collaboration était par essence un processus de mort ; chacun fut confronté à un choix existentiel fondamental : résister ou disparaître.
Il est clair que le statut du Juif fut l’élément clé de cette sombre histoire.
En passant de l’exclusion des Juifs à leur extermination programmée, le régime de Vichy ne changeait pas tant de nature que de niveau de criminalité, le règne des voleurs cédant la place à celui des assassins.
1 Le très beau livre d’Irène Nemirosky, Suite Française, décrit cette débâcle.
2 Ils furent nombreux à « profiter » et de l’exclusion des Juifs et du vol de leurs biens. Sartre par exemple, n’eut aucun scrupule à occuper au lycée Condorcet, le poste laissé vacant par un professeur évincé de la fonction publique, parce que Juif.
C’est un sujet tres complique. Il est impossible de tenir des positions objectives sans etre victime de considerations politiques et ideologiques.
– D’un cote on a un regime de Vichy qui collabore (activement meme par moment), dont la police arrete et deporte des Juifs.
– On a d’un autre cote le fait que 75% des Juifs francais ont survecu. Dans les pays occupes sans gouvernement collaborateur, les pertes ont ete gigantesques: 90% des Juifs polonais, baltes, tchecoslovaques (la Slovaquie avait un gouvernement collabo mais pas la Tchequie); 75% des Juifs hollandais; 70% des Juifs hongrois (a partir du coup d’Etat allemand); 60% des Juifs ukrainiens et bielorusses…
– Aussi surprenant que cela puisse paraitre, des Etats allies aux allemands ont reussi a proteger relativement leurs Juifs: Finlande (1% de pertes), Italie et Bulgarie (20%), France (25%).
– On peut en deduire que la Shoah s’est manifestee avec le plus de brutalite en Europe de l’est (la ou habitaient les Juifs) et dans des pays totalement occupes par les allemands, ou les locaux slaves ne valaient pas grand chose non plus aux yeux des occupants (le sort reserve aux slaves n’etait pas rejouissant non plus) et ou les collaborationnistes etaient donc peu nombreux en comparaison avec la France par exemple.
– Il ne faut JAMAIS oublier que sans l’invasion et l’occupation allemande, il n y aurait JAMAIS eu de Shoah. Les occidentaux et leurs medias ont tendance a oublier cela. Les responsables sont les allemands, le peuple allemand, uniquement le peuple allemand. Et aujourd’hui j’ai malheureusement l’impression que de trop nombreux Juifs ont tout pardonne a l’Allemagne et focalisent leur haine sur Vichy, la Pologne ou d’autres… attitude purement opportuniste et materialiste je crois.
– Contrairement a ce qu’avance M. Touati, la France n’a pas fait preuve de zele meurtrier outre mesure. Bien evidemment que ce qui s’est produit est odieux et represente un crime contre l’humanite, mais si les francais s’etaient comportes comme les allemands, aucun Juif francais n’aurait survecu.
Bref, c’est un sujet trop complexe pour etre traite en si peu de place et de temps. Rien qu’en rappelant ces quelques elements, je vais trouver le moyend e me faire traiter d’antisemite, d’effroyable nauseabond ou de negationniste.
Pour vous Nathaniel
https://www.youtube.com/watch?v=FMExFBDfQ74
Bonjour Nathaniel , c’est en effet très difficile de parler des Juifs sous l’occupation , ….hors politique !
Et c’est pourtant en France que 75 % des juifs français ont survécu et celà gràce au peuple français dans une globalité qui peut réunir des individus catholiques ou communistes . J’emploie bien le mot individu à dessein .
Dans mon sud-ouest mon père me désignait à chaque promenade une maison isolée dans la montagne où se cachèrent des juifs jusqu’en 44, et la milice ou le détachement allemand n’est jamais venu les chercher , parce que la population qui le savait n’est pas allée les dénoncer ! A l’école religieuse de la grand ville se cachait un enfant juif , il est resté plusieurs mois gràce aux prêtres !
Je cite bien « des individus « communistes en mémoire de la famille qui sauva Jean Ferrat !
La France a certainement sauvé des juifs par une certaine loi du silence bien appliquée ! Ma belle-maman polonaise d’origine me racontait que dans les campagnes polonaises des paysans qui regardaient les trains en route vers les camps se passaient ironiquement un doigt sur la gorge , et je dis bien » des paysans » et non les paysans !
Et je pense pour finir que l’antisémitisme d’aujourd’hui sous couvert de pro-palestinisme a débuté il y a quelques années avec la redécouverte de LF Céline par toute une partie de la gauche bobo qui se flattait d’avoir lu » Le voyage … » .
Personnellement la lecture de Céline m’emmerde autant que de lire le coran ou le nouvel obs , mis à part son roman NORD qui constitue un témoignage remarquable sur l’Allemagne de la défaîte !
Mais j’y pense tout à coup , mes enfants à 50 % polonais , portent bien un prénom français et nous ne les avons jamais emmerdés avec une culture polonaise à préserver , tout comme mes amis italiens , arméniens , espagnols , portugais .
Que des chances pour la France ………………………………….EUX !
Cher Amal Gametou,
Loin de moi l’idée de me mêler de vos affaires familiales, mais je trouve dommage que vous n’ayez pas transmis la culture polonaise à vos enfants. Ma mère l’a fait, elle m’a appris le polonais quand j’étais jeune et m’envoyait régulièrement en Pologne chez la famille. Je ne la remercierai jamais assez, car grâce à cela j’ai rencontré ma femme et j’ai profité d’une opportunité professionnelle qui m’a permis de déménager à Varsovie. Je m’y sens beaucoup mieux qu’en France.
Et puis c’est une immense richesse, la connaissance des langues, des sociétés, des mœurs et coutumes de l’Europe Centrale. J’ai accès au médias locaux et j’ai ainsi une vision plus profonde sur de nombreux sujets. Par exemple sur le conflit russo-ukrainien. Un français basique ne sait rien de ce qui se passe là bas. Uniquement les médias qui vomissent Putin et la « réacosphère » qui le glorifie. Ma connaissance des pays et des langues me permet d’avoir un avis plus nuancé et plus proche de la réalité.
Ajoutez à cela ma culture juive, et je suis en possession de trésors de culture et de connaissance.
Cultivez vos origines et transmettez les, bien évidemment si elles se respectent mutuellement. J’ai de la chance, mes trois « identités » ne sont pas en opposition, elles sont magnifiquement complémentaires. C’est tout bénef, croyez moi…
rebonjour Nathaniel et redaccord avec vous , mais vous parlez de votre maman et
en effet la maman de mon épouse lui avait appris le polonais , par contre pour nos enfants cette tradition s’est relachée , mais ils projettent de se rendre un jour dans le village d’origine de leurs gds parents maternels , Koscian .
Ma belle mère parlait également l’allemand fort bien , après que la famille se soit aussi enfuie d’allemagne nazie dès 1933 , et enfin elle parlait un français fort littéraire malgré la condition ouvrière de ses parents dans les corons du nord … mais là il s’agit d’une autre problèmatique !
Quant à moi , dans mon pays d’exil je m’initie à une autre langue étrangère ce qui m’enrichit culturellement et ce qui nous met encore une fois d’accord …
cordialement !
@ Amal , @ Nathaniel
ça réchauffe nos cœurs de vous lire tous les deux, merci à vous
Anny
Les Juifs sous l’Occupation ne sont pas un simple « détail », mais un élement clé de la propagande de Vichy qui essaie d’établir sa crédibilité sur du faux. L’arrestation quasi-immédiate, dès Août 1940, des Ministres et Parlementaires Juifs au Maroc, et leur condamnation purement arbitraire pour l’affaire du Massilia montre clairement la propagande antisémite nationale de Vichy qui cherche à détourner l’attention sur un bouc émissaire (Machiavel avec les points et les virgules) en rendant les Juifs faussement coupables de l’effondrement de 1940. Le problème est que cette culpabilité des Juifs n’était que de l’illusion.
J’ai ensuite, toujours souligné sur Dreuz et ailleurs, qu’au moins jusqu’à la rafle du Vel d’Hiv, voire jusqu’à la Libération, il n’y a eu aucune protestation, ni le moindre mouvement d’indignation, émanant d’aucun parti politique, association, ni même des Eglises Catholique et Protestantes, devant l’odieuse persécution des Juifs. Votre thèse « sacrifice des Juifs et leurre Vichyste » pourrait expliquer cette absence de protestations. Les Français rassurés sur eux-mêmes en rejetant toute culpabilité sur les Juifs, ne pouvaient qu’approuver les persécutions antisémites au nom de la « Justice ».
Par contre je ne vous suis pas quand vous soutenez qu’au moment de l’Exode de 1940 les Français auraient brutalement pris conscience d’appartenir à un Peuple. Après la destruction du second Temple, les Juifs ont certes erré durant des siècles, mais avec la conscience constante d’appartenir à la Nation Juive. Lors de l’Exode de 1940, les Français prennent plutôt conscience que la France n’est qu’une fausse Nation et tous les mouvements séparatistes des Provinces (Bretagne, Flandre, Alsace-Lorraine, Savoie, Nice, Corse, Pays-Basque, Sud-Ouest, etc..) vont s’empresser de collaborer avec l’ennemi Allemand et avoir, par eux-mêmes, une politique antisémite.
Enfin, si à partir du STO les Français auraient repris conscience de leur situation de parias, pourquoi ont-ils continué à approuver les déportations de Juifs qui ont duré jusqu’à la Libération? En 1943 et 44, les Français savent qu’ils ne sont pas un peuple, et il y aura, à la Libération des sécessions, telles la République du Sud-ouest par exemple. Roosevelt avait parfaitement compris que ce pays, fausse Nation, ne pouvait pas être une démocracie une fois libéré, et en avait annoncé certes l’Amgot dès mai 1943, mais aussi le partage de l’Empire Colonial avec les Anglais. Pourquoi après 1945, les Américains ont-ils placé la France dans le camps des vainqueurs, lui ont fait attribuer un siège au Conseil de Sécurité de l’Onu, et portée à bout de bras durant les années 50 et 60? cela reste une question.