Publié par Eduardo Mackenzie le 3 août 2015

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Pour la deuxième fois en quatre mois, le président colombien Juan Manuel Santos a décidé de suspendre les bombardements aériens contre les agressifs détachements des FARC. Il s’agit là d’une concession militaire majeure aux FARC, et un coup sévère et inhabituel pour le système de défense du pays.

Dans la période 2002-2010, les opérations de la Force aérienne de Colombie (FAC) avaient réussi à arrêter l’expansion de la guérilla, à freiner ses concentrations de troupes et ses attaques les plus brutales. Les coups de l’Armée de l’Air avaient atomisé les FARC, cassé leurs structures de direction et freiné leurs prises massives d’otages destinées à gonfler leur image de prédateurs victorieux.

[quote]Bilan global : les FARC sont plus fortes qu’avant et l’Etat colombien est plus faible qu’avant[/quote]

En fait, le nouvel ordre de Santos de clouer au sol les avions de combat fait revenir la Colombie à une situation de grande instabilité et de risque. Cette mesure est principalement le résultat de trois années de négociations « de paix » à La Havane, dont le bilan global est le suivant: les FARC sont plus fortes qu’avant et l’Etat colombien est plus faible qu’avant. Faible non pas parce que la structure militaire de l’Etat ait été vaincue ou complètement minée mais parce que le centre politique qui dirige le gouvernement est moins en mesure d’organiser l’effort de répression et de désorganisation de la narco-guérilla et de lui imposer un accord de paix qui renforce le système démocratique.

L’inverse est vrai. Devant un adversaire faible, les FARC imposent sur la table de négociation une ligne de l’accord de paix qui menace la continuité du système démocratique colombien.

Santos présente, en particulier dans les capitales étrangères, sa gestion «de paix» comme une réussite: il serait en train d’obtenir une « réduction de l’intensité du conflit armé» et l’autodissolution des FARC. Par conséquent, il avance vers un cessez-le feu définitif à l’horizon de novembre 2015. Santos rêve d’être récompensé avec le prochain prix Nobel de la paix.

Cette fiction d’exportation sert à tout justifier, surtout la série de concessions sans contrepartie au bloc terroriste.

Conscient de leur influence sur Santos, les FARC imposent leurs critères: une fois la paix signée les FARC ne rendront pas leurs armes, elles ne se soumettront pas à la justice, elles ne restitueront pas les terres volées aux paysans, et ne livreront ni leurs narco-cultures, ni leurs réseaux de trafic et de blanchiment d’argent. Au contraire, les FARC demandent l’octroi de vastes zones agricoles (les tristes « zones de réserve paysannes ») pour y régner selon leurs volontés et sans aucune entrave. Elles demandent l’octroi des sièges au Parlement, et l’octroi d’un ensemble médiatique complet (de presse audiovisuelle et écrite). Et, le plus important : les FARC ne reconnaîtront pas la démocratie. D’où leur exigence pour la rédaction d’une nouvelle Constitution qui s’adapte à leurs critères collectivistes.

Les FARC ont revendiqué tout cela sans que Santos réagisse en conséquence. Au contraire, la politique de Santos des accommodements s’intensifie. Il a suspendu l’extradition des narco-terroristes aux États-Unis et il intrigue à Washington pour faire libérer Simon Trinidad, un capo des FARC emprisonnés aux États-Unis pour l’enlèvement de trois Américains.

L’insistance de Santos à sacrifier la force aérienne colombienne, l’arme la plus crainte par les FARC et par les autres organisations armées illégales, complète, de ce fait, le dispositif que le castrisme s’est efforcé de bâtir dès le début des pourparlers à Cuba: empêcher que le rapport de forces sur le terrain militaire qui existait en 2010, si défavorable à la subversion, reste intact en empêchant l’avance foudroyant des FARC dans la négociation politique.

Cela est plus ou moins la situation du processus de paix.

Cependant, Santos présente les choses différemment. Santos dit :

« Nous avons convenu de désamorcer le conflit. Qu’est-ce que cela veut dire: moins de décès, moins de douleur, moins de victimes. Compte tenu de la déclaration faite par les FARC, j’ai donné l’ordre de suspendre aujourd’hui les bombardements aériens. Ils ne pourront être effectués que par ordre explicite du Président. Cette décision sera valable que si les campements [des FARC] ne sont pas une menace pour la population, pour la force publique, pour l’infrastructure ou si elles font du prosélytisme ».

Moins de décès ? Moins de prosélytisme ? L’expérience ne confirme pas ce pronostic.

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  • Le 15 avril dernier, après le premier ordre de Santos de suspendre les bombardements, onze militaires ont été massacrés par les FARC dans un hameau dans le Cauca. Vingt autres soldats y ont été blessés. Depuis des années les FARC n’avaient pas réussi à frapper si fortement l’Armée. Les FARC ont repéré le groupe de soldats, ont rassemblés leurs troupes et ont attaqué pendant la nuit. Les combats ont duré plusieurs heures, mais les soldats n’ont pas été aidés. La Force aérienne a fait valoir que les conditions météorologiques avaient empêché l’envoi d’un avion pour repousser l’attaque. Voilà le résultat de l’ordre de Santos sur la FAC.Cette tuerie a déclenché une vague d’indignation dans le pays et a montré que la trêve offerte par les FARC n’était qu’un stratagème pour frapper l’armée colombienne et la forcer à reculer sur le terrain.
  • Le 18 mars dernier, à Mapiripán (Meta), au milieu du cessez le feu « unilatéral », les FARC ont capturé au combat le soldat Mario Rodriguez Perdomo. Résultat: elles l’ont attaché à un arbre et l’ont brûlé vif. La famille du malheureux militaire a demandé des explications à Santos. La réponse est venue de l’Armée: le soldat Perdomo était mort « d’un tir ».Au lieu de suspendre les négociations, Santos a encore reculé devant les violents en ordonnant la suspension de l’épandage aérien contre les narco-cultures dans la région de Catatumbo et à la frontière avec l’Equateur.

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Pour toutes ces calamités, Santos a perdu la confiance des Colombiens.

Selon les sondages, le président est soutenu uniquement par 27% de l’opinion. Et le processus de paix avec les FARC est appuyé seulement par 26% de l’opinion.

Comme Santos a dû autoriser de nouveau l’utilisation (théorique) de la FAC contre le narco terrorisme, les FARC ont répliqué, dès le 22 mai, avec une nouvelle série d’atrocités. Surtout dans les départements de Putumayo, Caquetá, Cauca et Norte de Santander. Elles ont attaqué des civils, détruit des pylônes et des oléoducs, elles ont causé des désastres écologiques et ont tué des militaires et des policiers dans des embuscades et par les mines anti-personnel.

Le 27 juillet, un rapport de la Fondation Idées pour la Paix a déclaré que les FARC ont « causé des problèmes de fort impact » pendant les deux mois où le cessez le feu unilatéral a été suspendu. Ce document dit que :

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  • dans 109 attaques portées contre l’armée, les FARC « ont provoqué le déplacement de 500 paysans » et que,
  • dans 135 actes de violence enregistrés durant cette période, deux civils sont morts et 30 ont été blessés,
  • que 34 soldats ont été tués et 62 blessés, et que 24 guérilleros ont été tués.
  • Il y a eu, selon cette source, 48 actes de harcèlement, dont 2 assauts contre du personnel militaire,
  • 1 barrage routier et 54 attaques contre les infrastructures (18 contre le secteur pétrolier, 16 contre le secteur de l’électricité et 20 contre les routes et les véhicules).

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Devant ce panorama, l’opposition, et même certains alliés du gouvernement, ont demandé la suspension du processus de paix.

[quote]Santos ne lutte pas contre le terrorisme, il est nécessaire d’obtenir sa démission[/quote]

Certaines voix ont appelé à la démission du chef de l’Etat. Un analyste de l’opposition, Hector Hoyos Velez, a écrit: «Nous devons exiger que Santos ne gouverne plus” (…) car il ne lutte pas contre le terrorisme et est déterminé à suivre une ligne de «tromperie, tricherie, manipulation, crimes d’Etat, narco politique des FARC, et achat des consciences ». Par conséquent, conclut-il, « il est nécessaire de poursuivre le chef de l’Etat, il est nécessaire de le faire retirer de son poste, obtenir sa démission ou tout ce qui soit nécessaire, mais il ne doit pas continuer à gouverner» (1).

Pour sa part, l’ancien président et sénateur Alvaro Uribe suggéra à Santos que, sans se retirer de la table de La Havane, il organise la concentration des FARC dans une zone sous contrôle de l’Etat, comme Uribe l’avait fait quand il a réussi la démobilisation de plus de 35.000 paramilitaires.

Uribe interprète ainsi un vœu du peuple. Selon le sondage de Datexco, seulement 17% des colombiens croient que Santos doit continuer à négocier avec les FARC au milieu du conflit. Le sondage conclut qu’uniquement 9% de l’opinion est favorable à l’obtention d’un cessez-le feu bilatéral. Santos, cependant, a refusé de formuler ces conditions et à travailler pour la concentration des FARC dans une zone pour qu’elles ne puissent plus continuer de tuer. Il s’est contenté de demander à la presse et à l’armée de cesser d’insulter les FARC en les appelant terroristes et criminels.

[quote]La répartition des attaques entre les FARC et l’ELN exigée par la dictature cubaine[/quote]

Tandis que les FARC jouent à la trêve unilatérale, l’ELN, maintenant alliée avec les FARC, après avoir violemment disputé avec elles certains territoires, intensifie ses attaques. Cette répartition des tâches exigée par la dictature cubaine à ses pions en Colombie, est le résultat d’un pacte secret de collaboration.

En octobre 2014, les chefs des deux bandes, Rodrigo Londoño, alias Timochenko, et Nicolas Rodriguez, alias Gabino, se sont réunis à Cuba. La réunion a été facilitée par Sergio Jaramillo, commissaire de Santos pour la paix (2). L’excuse donnée à la presse est que dans ce conclave les chefs terroristes « analyseront l’évolution des négociations de paix entre les FARC et le gouvernement colombien », dans la perspective d’une « incorporation future au processus de paix de la part du ELN ».

Fin avril 2015, il y a eu une autre réunion similaire à Cuba. Sous la pression de la presse, le président Santos a admis, le 12 mai, qu’il avait autorisé cette étrange réunion. Humberto de la Calle, son négociateur en chef à La Havane, a tenté de minimiser l’ampleur de ce geste en affirmant que la réunion avait été courte « et loin de la table de dialogue».

Peu convaincu, le Procureur général, Alejandro Ordóñez Maldonado, a ouvert un dossier sur la légalité de cet acte du chef de l’Etat. Devant la double offensive des FARC et de l’ELN, Santos évite (ou n’arrive pas) d’imposer les correctives militaires nécessaires, comme si l’ordre sur les bombardements aériens devait bénéficier aussi à l’ELN.

La Commission des accusations de la Chambre des représentants, en tout cas, a ouvert une enquête sur le président car l’avocat Guillermo Rodriguez avait accusé Juan Manuel Santos des délits de «prévarication par omission et trahison » pour avoir facilité le voyage de Timochenko à Cuba. L’enquête continue, semble-t-il.

Dans ce contexte, les FARC saluent les mesures prises par Santos et demandent toujours plus, alors que le pays exprime des voeux diamétralement opposés.

Ces derniers jours, la presse a informé que les FARC, avec la permission de Santos, aura 17 guérilleros de plus à La Havane et que l’équipe de négociation du président a été renforcée avec trois personnalités spécialisées en « justice transitionnelle ».

Le plus pathétique de tout cela est que les FARC, tandis qu’elles promettaient une « trêve unilatérale » à partir du 20 juillet 2015, organisaient, en même temps, une attaque massive à l’explosif contre l’armée et la police lors de la parade militaire du même 20 juillet dans la capitale : les autorités ont trouvé 332 kilos d’explosifs dans un immeuble à Bogota.

Ainsi va la prétendue «réduction des hostilités » en Colombie.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Eduardo Mackenzie pour Dreuz.info.

Eduardo Mackenzie est journaliste. Il est l’auteur de Les FARC ou l’échec d’un communisme de combat* (Publiboock, Paris, 2005, 589 pages).

(1) PeriodicoDebate.com

(2) HavanaTimes.org

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