Marianne : II y a treize ans, vous avez publié La Nouvelle judéophobie*. Votre essai pointait une haine des juifs émergente, alors largement sous-estimée par les élites. Comment le phénomène antisémite a-t-il évolué depuis lors ?
Pierre-André Taguieff : Le diagnostic que j’avais dressé fin 2001 dans la Nouvelle Judéophobie [essai publié en janvier 2002] est largement confirmé. J’y avais notamment identifié l’émergence, à côté des formes persistantes mais résiduelles du vieil antisémitisme nationaliste d’extrême droite fixé sur la figure mythique du « juif international » conspirant contre les peuples, d’une configuration antijuive inédite, située au point de confluence des mobilisations islamistes et des mouvements antisionistes radicaux d’extrême gauche, instrumentalisant l’antiracisme et l’antifascisme pour diaboliser le « sionisme » et délégitimer Israël. Le terme d’« antisémitisme » est impropre pour désigner cette configuration antijuive nouvelle, qui ne repose pas sur une vision raciale et répulsive des « Sémites », mais sur la démonisation des « sionistes ».
Assiste-t-on à la radicalisation, dans des franges entières de l’opinion française, d’un rejet des juifs ? Est-il dès lors valide, pour caractériser ces attitudes, de refuser de recourir à la notion d’antisémitisme ?
P.-A.T. : Pourquoi donc tenir à ce point au mot « antisémitisme », forgé dans les années 1870 pour marquer l’apparition d’une nouvelle forme d’hostilité à l’égard des juifs fondée non plus sur la religion mais sur la « théorie des races », à une époque où les doctrines racialistes sont jugées désuètes et condamnées d’une façon consensuelle ? Depuis la disparition IIIe Reich, la haine des juifs ne s’idéologise plus sur la base de la vision racialiste du « sémitisme » comme menace, mais sur celle du « sionisme » fantasmé comme une superpuissance mondiale et occulte. On peut reconnaître une validité au terme d’« antisémitisme » pour renvoyer à la forme dominante de la Judéophobie observable de la fin des années 1870 au milieu des années 1940. Stricto sensu, le mot « antisémitisme » signifie « racisme dirigé contre les juifs ».
Or, les nouveaux ennemis des juifs, dans leur majorité, ne se réclament pas du « racisme », mais, rhétoriquement, de l’« antiracisme ». Parallèlement, lorsqu’ils se réfèrent à des motifs religieux, les judéophobes contemporains puisent de moins en moins dans le christianisme et de plus en plus dans l’islam.
Plutôt que de parler de « nouvel antisémitisme » (comme plusieurs auteurs le font depuis le début des années 1970), je juge préférable de parler, pour éviter certaines équivoques, de « nouvelle Judéophobie » ou de « nouvelle configuration antijuive », dont le noyau dur est constitué par l’antisionisme radical et démonologique.
L’« islamophobie » est devenue le péché majeur en même temps qu’une nouvelle clé de l’histoire. Etre accusé ou seulement soupçonné d’« islamophobie » revient à être menacé de mort, ou pour le moins d’exclusion sociale. Les « islamophobes » désignés à la vindicte publique ne survivent que grâce à une protection policière. « Islamophobie » est venu enrichir le stock des mots qui tuent.
Dans un contexte où la menace islamiste est reconnue par les Etats occidentaux et leurs opinions publiques, la dénonciation de l’« islamophobie » fonctionne comme un mécanisme de défense, elle constitue un bouclier contre la critique légitime des dérives de l’islam.
Les tueries de janvier 2015 montrent que, pour les islamistes radicaux, il existe deux péchés mortels : être juif, être « islamophobe ». Deux raisons suffisantes pour mériter la mort.
Une pseudo-sociologie gauchiste vient au secours des islamistes, en prétendant avoir découvert la véritable cause des réactions antijuives autant que de l’engagement djihadiste : l’« islamophobie », érigée en forme dominante du racisme. Il y a là une imposture banalisée.
Au sujet du 11 janvier, vous formulez ce jugement hétérodoxe : « Le droit de vivre des juif s sortait du champ de vision des universalistes républicains, qui ne trouvaient pas en lui une raison suffisante de manifester. » N’est-ce pas un peu sévère ?
P.-A.T. : Je me suis contenté de constater le fait, peut-être en forçant le trait.
Quelques millions de Français se sont mobilisés avant tout contre une forme de terrorisme visant un hebdomadaire satirique de gauche érigé en symbole de la liberté d’expression. Or, non seulement cette « marche républicaine » n’a guère attiré les jeunes issus de l’immigration, mais on a pu observer un contraste entre la large mobilisation populaire en hommage à Charlie Hebdo, érigé pour l’occasion en symbole de la France voltairienne ou « républicaine », et la modeste mobilisation, à dominante juive, pour honorer la mémoire des victimes juives du djihadiste Coulibaly.
Derrière la façade du « grand rassemblement républicain » et l’écran de la « France unie », j’ai perçu l’existence d’une terrible hiérarchisation implicite, fondée sur le partage entre des victimes dotées d’une valeur universelle (en tant que symboles de la liberté d’expression) et des victimes réduites à leur identité particulière, ethnique ou religieuse, les victimes juives.
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Vous êtes lucide sur les tentatives de ripolinage idéologique du FN. Que faut-il penser de l’attitude plus positive de sa présidente, Marine Le Pen, à l’endroit d’Israël ?
P.-A.T. : ll est difficile de ne pas suspecter un leader politique démagogue de faire preuve de démagogie dans un domaine quelconque. Il en va de l’attitude vis-à-vis d’Israël comme du programme à résonance sociale, voire sociale-étatiste, du nouveau Front national.
Trois aspects sont à considérer :
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- d’abord, la volonté de marquer une nette rupture avec les positions de Le Pen père, qu’elles portent sur le régime de Vichy, les chambres à gaz ou les juifs ;
- ensuite, l’objectif stratégique de séduire les Français juifs, majoritairement favorables à Israël ;
- enfin, le projet de créer un front commun contre la menace islamiste.
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Mais on a des raisons de douter que l’israélophilie affichée par Marine Le Pen soit en parfaite congruence avec l’opinion des cadres du parti comme avec celle des adhérents et des sympathisants.
Des enquêtes d’opinion récentes montrent que les préjugés et les stéréotypes antijuifs sont beaucoup plus répandus parmi les sympathisants du Front national et les Français de culture musulmane que dans l’ensemble de la population française. L’une des principales différences entre le nationalisme xénophobe classique et le nouveau nationalisme à la française, incarné par le FN de Marine Le Pen, tient à ce que, dans le discours officiel de ce dernier, on ne rencontre plus de thèmes antijuifs explicites. Mais on relève un décalage flagrant entre les positions explicitement anti-antisémites et pro-israéliennes de la nouvelle direction et les sentiments judéophobes (et nettement moins pro-israéliens) des personnes qui se disent « proches » du parti lepéniste ou qui ont voté pour la présidente du FN en 2012.
En outre, on peut voir dans ces prises de position un signe de plus marquant la différence entre le parti de masse qu’est devenu le FN et les groupuscules dits d’extrême droite ou de droite radicale qui donnent dans l’antisionisme complotiste et le négationnisme, non sans trouver du charme à certaines dictatures arabes ou au régime iranien.
• Propos recueillis par Alexis Lacroix pour Marianne.
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Devant la peste verte, on doit faire front commun avec tous les patriotes, juifs, non juifs…..! Votre plaidoyé est totalement stérile et contre productif! Suspecter le FN d’avoir des cadres qui ne répondent pas aux idées avancées par MLP consiste à décrédibiliser le FN et faire voter pour les autres partis ouvertement judeophobes! Faites un choix et assumez le en conscience et avec responsabilité!
Bah~~!!! L`antisemitisme n`a rien de « nouvelle », c`est le meme antisemitisme d`antan. Ca qui provoque leur rage, c`est que Israel, la Terre des Juif, est une superpuissance, du tout point de vue. Si ca leur plaisent ou non, la probleme est a eux, car Israel est un Miracle du Sionisme.!!!
« formes persistantes mais résiduelles du vieil antisémitisme nationaliste d’extrême droite fixé sur la figure mythique du « juif international » conspirant contre les peuples, » Je trouve cette affirmation un peu légère. L’antisémitisme français couvre le spectre entier de l’éventail politique. Quel serait le parti pro-juif, voire pro-israélien dans ce pays globalement et traditionnellement antisémite? Le Fn peut bien raconter ce qu’il veut, MLP n’envisage sûrement pas de coopération, et encore moins d’alliance avec l’Etat Juif, d’autant que les israéliens, comme les Juifs réels, ont une piètre évaluation de la france. Il y a toujours autant de français obsédés par l’existence d’un minuscule Etat Juif et d’un petit Peuple encore fort dispersé. Prenons, par exemple, Luc Ferry et Jacques Julliard. On se demande ce qu’ils apportent à la Connaissance et comment ne pourraient-ils pas être des parasites sociaux destructeurs ? Et bien ces 2 « érudits » encensent shlomo Sand pour son délire concernant l’invention du Peuple juif, tout en accusant les généticiens Juifs de « délirer scientifiquement »! Qui se ressemble, s’assemble, et les grands esprits comme Ferry et Julliard correspondent au « génie » irrationnel de shlomo Sand! Sur la partie concernant les Juifs d’Afn, des dizaines de faits parfaitement objectifs contredisent cette thèse ridicule. Sand n’est qu’un pauvre pédant prétendant parler de ce qu’il ne connait pas, un cas psychiatrique d’école. Si Ferry et Julliard étaient des gens rationnels, ils n’encenseraient pas un cas psychiatrique comme Sand. Un autre type de critique négative fort antisémite vient de gens comme H de Lesquen et J.Y Le Gallou qui, à la différence de Sand, Ferry et Julliard, ne nient pas la Réalité du Peuple Juif. Ils considèrent que les Juifs ont été dans leur Histoire génocidaires comme les Allemands puisque pour s’installer sur leur terre promise ils ont exterminé les Cananéens puis les Amalékites. Avec ce type de raisonnement, on peut considérer les Nazis parfaitement fondés à exterminer les Juifs. De Lesquen insiste que les Juifs ont « une religion de la Shoah » et sont raçistes à ignorer les autres génocides de l’Histoire. Dans le premier cas on stigmatise les Juifs comme menteurs. Ils n’existeraint pas en tant que Peuple et donc l’Etat Juif n’aurait aucune légitimité. Dans les second cas, on les considère comme racistes. Je me demande de quel vice on n’a pas encore accusé les Juifs depuis 2000 ans? J’ai toujours dit qu’il fallait éviter à tout prix d’entrer dans de faux débats et que la meilleure réponse est d’ignorer les mots et actions des cas psychiatriques délirants que j’ai qualifiés de goyim psychotiques. Curieusement, en 1882, Léon Pinsker demandait aux Juifs de s' »auto-émanciper » et soutenait qu’ « il faut renoncer à combattre ces courants antisémites non moins que n’importe quelle autre disposition héréditaire. Cet axiome est d’autant plus essentiel qu’il y a urgence à renoncer à toutes ces polémiques qui ne sont autre chose qu’un gaspillage de temps et de forces, que de stériles exercices de spirites. Car même les Dieux ne sauraient lutter contre la superstition. Aussi précise et nette que soit une… Lire la suite »