Publié par Abbé Alain René Arbez le 16 janvier 2016
Christ et le jeune homme riche - Heinrich Hofmann, 1889
Christ et le jeune homme riche – Heinrich Hofmann, 1889

Le scoop d’un intervenant sur un plateau de télé a suscité beaucoup de réactions. Face au problème des sourates belliqueuses du coran, cet expert autoproclamé n’a rien trouvé de mieux que de lui comparer l’évangile dans deux passages où selon lui, Jésus en personne appelait à mettre à mort ses adversaires !

Ceux pour qui toutes les religions se valent étaient satisfaits : se conforter dans des slogans simplistes évite de les vérifier auprès de spécialistes. Ceux qui veulent minimiser les injonctions agressives de l’islam et même justifier la radicalisation avaient trouvé une fois de plus un porte-parole adéquat.

Le fait est que la parabole dite « des mines » citée par le contradicteur peut prêter à confusion, pour autant qu’on en reste à une lecture superficielle et anecdotique. Le texte soit-disant criminogène se situe en Luc 19,27. Plusieurs fois, dans des débats interreligieux, on a vu des musulmans se saisir de cette référence pour établir un parallèle complaisant avec les sourates menaçantes de leur texte sacralisé.

Avant toute chose, il faut savoir qu’il existe des genres littéraires différents dans les écrits bibliques. Certains font une lecture littérale du texte, un peu comme si on avait tenu un micro pour enregistrer les propos de Jésus en direct. Or on sait que, même si la rédaction des évangiles a suivi de près les premiers témoignages oraux, les paroles attribuées à Jésus sont des recompositions théologiques fiables soulignant la dimension de foi de la première génération. Par exemple, la formulation conceptuellement élaborée de l’évangile de Jean ne reflète pas au mot à mot l’expression du Jésus historique mais en développe les implications spirituelles pour une nouvelle vision du monde.

L’intervenant télévisuel faisait référence à une parabole bien ciblée pour étayer sa démonstration. On sait que la parabole est un mode d’expression courant à l’époque de Jésus. Il en circule des milliers, comme des récits de sagesse populaire et souvent tirées de la vie quotidienne. C’est pourquoi Jésus les affectionne afin de donner un enseignement en prise avec les réalités courantes. Mais pour comprendre la parabole mise en exergue par le contradicteur du plateau TV, prenons un exemple analogue sujet à débats : le fait que Jésus mette en scène, dans son discours, un homme dont le comportement n’est pas exemplaire n’a rien d’extraordinaire. Il part des faits divers connus de ses auditeurs et il appuie ses appels à la réflexion sur des situations habituelles. Ainsi, lorsque Jésus raconte comment un gérant malhonnête s’est tiré d’affaire après sa mise à l’écart par son patron, il ne fait pas l’apologie de la corruption ! Il invite les pratiquants de la torah à avoir autant d’initiative et d’habileté pour faire le bien, que certains en démontrent incontestablement pour faire le mal. Les fils de lumière doivent être aussi doués que les méchants rusés, mais cette fois au service du Royaume et de ses valeurs bienfaisantes, dit Jésus.

Dans le cas de la parabole des mines, il est question d’un homme de haute naissance, un roi ou un gouverneur important, qui élimine cruellement ses adversaires par égorgement. Peut-être est-ce, comme le pensent certains spécialistes, une allusion circonstancielle aux attitudes sanguinaires d’Archélaüs, souverain aux jugements expéditifs. Mais comment – à partir de là – peut-on attribuer à Jésus lui-même, homme de Dieu pacifique s’il en est, ce rôle d’égorgeur ?

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Il suffit de regarder le contexte global de son action au sein du peuple. Ainsi, lorsqu’il commence la tournée des villages pour annoncer le règne de Dieu, Jésus recommande à ses disciples de se présenter dans une maison en annonçant d’abord la paix aux habitants. Ni contrainte, ni pression. C’est pourquoi il suggère à ses coéquipiers de secouer la poussière de leurs sandales pour aller plus loin si ces gens refusent leur paix. Pourquoi exigerait-il un traitement inhumain envers des personnes simplement du fait qu’elles n’accueillent pas son message ?

De plus, Jésus, qui affirme que son Royaume n’est pas à la manière de ce monde, manifeste souvent une perception assez critique des notables au pouvoir, ce qui signifie qu’il ne cautionne aucun abus qui ferait violence à qui que ce soit : « les grands de ce monde font sentir leur pouvoir, qu’il n’en soit pas ainsi parmi vous… » (Matthieu 20.25) C’est pour cette raison que Jésus ne recherche jamais pour lui-même une position dominante, mais une attitude de service ; et donc quand la foule, enthousiasmée par ses gestes réconfortants envers les plus faibles, veut lui donner une fonction officielle, il se retire à l’écart dans la prière.

En Matthieu 27.52, nous voyons même Jésus avertir fermement ceux qui seraient tentés par la force et la contrainte envers les adversaires : « qui combat par l’épée périra par l’épée… »

Et cela aide à ne pas faire de contresens sur la dimension prophétique que Jésus a donnée à son action : « Je ne suis pas venu apporter la tranquillité, mais le glaive tranchant de la Parole de Dieu » ( Matthieu 10.34) Le glaive est une expression biblique habituelle pour désigner la manière dont la Parole de Dieu permet de discerner la subtilité des situations de la vie. Ce qui permet de trancher, c’est-à-dire de prendre des décisions, pas de décapiter des êtres vivants !

Dans la même tonalité, l’auteur de l’épître aux Hébreux (4.12) précise de quoi il est question : « La parole de Dieu est vivante et efficace, elle est comme un glaive à deux tranchants qui pénètre à l’intime de l’être, elle permet de discerner les intentions de l’âme et du cœur… » C’est bien d’un appel au discernement et à la responsabilité qu’il s’agit ! Pas d’une incitation au meurtre…Et parfois, cette fonction de la parole de Dieu passe par le témoignage verbal d’un homme inspiré, comme Isaïe lorsqu’il disait de sa mission : « Dieu a rendu ma bouche semblable à un glaive qui tranche ! » (Isaïe 49.2).

Au cours des siècles, des courants antijudaïques dans l’Eglise ont instrumentalisé la parabole des mines (instrumentalisée par l’intervenant de la télé) et en ont profité pour prôner l’exécution des juifs qui refusaient la croyance officielle dominante. Ce genre d’exégèse meurtrière et infidèle au sens biblique des récits a conduit à des exactions à grande échelle. On voit à quelles extrémités d’inhumanité peuvent entraîner des lectures irresponsables de textes sacrés.

L’intention du pourfendeur de la TV était de mettre au même niveau coran et évangile, ce qui ne résiste à aucune analyse sérieuse. Comment le rabbi juif Jésus aurait-il pu inciter ses adeptes à égorger d’autres juifs, au nom d’une autorité transcendante, simplement parce qu’ils ne partageaient pas ses options sur le salut d’Israël et du monde ?

L’apprenti expert s’est donc engagé sur une voie périlleuse en lançant complaisamment des affirmations qui entretiennent la confusion auprès d’un public déjà peu averti.

Bien qu’il ait lancé des mises en garde vigoureuses et qu’il ait usé du registre apocalyptique propre à son époque en attente de changement, Jésus n’a pas été un égorgeur, ni un gourou, ni un chef de guerre. Les écrits évangéliques sont le reflet fiable de la vraie personnalité de Jésus, qui a cassé les engrenages de toute violence, qui a livré sa propre vie sans aucune haine, en pardonnant à ses bourreaux. Il suffit de s’armer de bonne foi et de prendre en compte le style littéraire et les références bibliques par lesquelles Jésus annonce la bonne nouvelle d’un monde de paix.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez pour Dreuz.info.

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