Publié par Magali Marc le 25 juin 2016

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Parce que nous supposons que Washington doit être impliquée en tant que puissance indispensable pour régler les problèmes du Moyen Orient, nous avons tendance à ignorer les réalités dysfonctionnelles de cette région.

(Un texte d’Aaron David Miller*, publié le 16 juin 2016 dans Newsweek que j’ai traduit pour les lecteurs de Dreuz.)

Le Moyen-Orient est devenu un véritable cimetière où viennent s’échouer les illusions et les mythes américains.

Voici cinq mythes pernicieux qui ont la vie dure et avec lesquels nous devons en finir pour de bon.

Celui qui aura la chance de conseiller le prochain président devra se mettre à cette tâche et en faire sa priorité dans son Mémo numéro un, lors de sa première séance d’information.

Mythe numéro 1 : Des solutions globales existent pour régler les problèmes du Moyen Orient.

Non elles n’existent pas.

Et je défie quiconque d’en identifier une seule qui aurait des effets significatifs ou durables.

De la guerre civile syrienne à la situation politique en Irak, de la guerre contre le groupe militant État Islamique (ÉI) au problème israélo-palestinien, nous avons affaire à des problèmes qui nécessitent une gestion attentive et prolongée, car il n’y a pas de résolution rapide ou facile.

Il faut penser en terme de résultats et non pas de stratégie à court terme.

La réussie (N.d.T. sic) mais très imparfaite réalisation de l’administration Obama lors de l’accord du P5 plus 1 concernant le nucléaire iranien, est un accord de contrôle des armements limité dans le temps et la portée, mais dépourvu de garantie ou d’assurance qu’un point final a été mis aux aspirations de l’Iran de se doter d’armes nucléaires (N.d.T. c’est le moins qu’on puisse dire !).

En fait, nous devrions cesser de croire que nous allons régler les problèmes dans ce que j’appelle le temps «administratif» d’un mandat présidentiel de quatre à huit ans et commencer à penser de façon plus réaliste que le règlement des problèmes va s’étaler sur une ou deux décennie.

Mythe numéro 2 : Les États-Unis ont les réponses.

Non, nous ne les avons pas.

Le Moyen-Orient est une région brisée, en colère et dysfonctionnelle où une absence de leadership, d’institutions efficaces, cohérentes, et de bonne gouvernance ajoutée à la présence de rivalités sectaires, régionales et religieuses se combinent pour garantir une instabilité continue et, dans certains cas, la fragmentation et le chaos.

Nous ne tenons pas compte de l’état lamentable de la région et nous infantilisons les peuples qui y vivent en prétendant que Washington peut et doit être impliquée en tant que puissance indispensable qui va résoudre tous les problèmes.

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Hillary Clinton est sans doute plus encline à voir la région de cette façon.

Mais même Donald Trump a parlé de résoudre le problème de l’ÉI une fois pour toutes.

Les dirigeants de la région ne resteront pas les bras croisés à attendre les solutions américaines à leurs problèmes.

Le fait est que les résultats les plus positifs dans cette région émaneront d’abord de circonstances changeantes qui obligeront les habitants à revoir leur évaluation de la situation et à accepter d’assumer que c’est à eux qu’il appartient de résoudre les problèmes.

C’est seulement à ce moment-là que les États-Unis auront la capacité de jouer un rôle indirect.

De toute évidence, c’est ce qui s’est produit dans le cas du conflit arabo-israélien. Et ça s’applique en double quand on en est rendu à essayer de promouvoir une gouvernance fonctionnelle et cohérente dans des endroits comme l’Irak, la Syrie et la Libye.

Sans des dirigeants arabes désireux et capables de se lever et et de prendre le rôle principal dans la stabilisation et la réforme de leurs propres pays, Washington ne peut pas réussir.

Mythe numéro 3 : La politique américaine doit être réellement cohérente.

Absolument pas.

Les grandes puissances se comportent habituellement de façon anormale, contradictoire et même hypocrite. Ça fait partie de leur description de tâches.

Les doctrines ou les approches uniformisées constituent un carcan pour la politique américaine et nous empêchent de faire preuve de flexibilité quand nous cherchons à résoudre les problèmes. C’est une recette pour le désastre, particulièrement dans les cas où se pose la question des droits de l’homme.

Il est très difficile dans la plupart des régions du monde de concilier les valeurs et les intérêts américains.

Prenons le Moyen-Orient comme exemple.

Nous avons encouragé un printemps arabe en Egypte et en Tunisie.

Devrions-nous aussi l’encourager en Arabie Saoudite ou au Bahreïn, si le chaos causé par les événements de 2011 en venait à menacer leur stabilité ?

Que ferons-nous avec le gouvernement actuel en Égypte s’il refuse de se réformer et de cesser de réprimer les médias et s’il continue d’arrêter des milliers de gens, alors que nous avons besoin de la coopération égyptienne sur un certain nombre de questions régionales ?

Nous avons envahi et occupé l’Irak pour éliminer un méchant dictateur, avec des conséquences désastreuses. Sommes-nous obligés de faire de même pour retirer Bachar Al-Assad ?

Dans le cas de la Libye, après avoir aidé l’OTAN à saper le pouvoir de Mohammar Qaddafi, devrons-nous aussi nous résoudre à occuper ce pays ?

Mythe numéro 4 : la paix israélo-palestinienne devrait être une priorité absolue pour la prochaine administration.

Non, pas du tout.

Non seulement le conflit est impossible à résoudre dès maintenant sans que les dirigeants israéliens et palestiniens en fassent eux-mêmes plus, mais cette question est loin d’être prioritaire pour le États-Unis dans la région.

Nous avons à nous occuper à la fois de l’État islamique et de la crise en Syrie ; des dysfonctionnements en Irak et en Libye ; et de la gestion des relations avec les partenaires traditionnels tels que l’Arabie Saoudite, Israël et l’Egypte. Rien dans cette région en voie de se fragmenter ne sera sensiblement amélioré ou réparé grâce à une solution au conflit israélo-palestinien qui n’est tout simplement pas à notre portée en ce moment.

Les États arabes sont beaucoup plus préoccupés actuellement par leurs problèmes internes – les défis que posent l’Iran et les djihadistes sunnites – qu’avec tout ce qui concerne la question palestinienne.

L’an prochain à cette époque, Israël aura occupé (N.d.T. sic) une grande partie de la Cisjordanie depuis un demi-siècle.

Il y a peu d’indication que les Israéliens ou les Palestiniens soient disposés ou en mesure d’échanger cette réalité pour quelque chose de mieux.

Mythe numéro 5 : Les États-Unis peuvent tout simplement se désengager de la région.

Nous sommes coincés dans une région que nous ne pouvons ni transformer, ni réparer, ni même quitter

Non, nous ne le pouvons pas.

L’Amérique a des alliés, des ennemis et des intérêts vitaux au Moyen-Orient qui garantissent qu’il n’y aura pas de changement majeur , de rééquilibrage ou de départ.

Le dilemme de Washington, c’est que nous sommes coincés dans une région que nous ne pouvons ni transformer, ni réparer, ni même quitter.

Face à ce défi, nous devons œuvrer à la sécurité et la gestion du mieux que nous pouvons.

Cela signifie que nous devons nous concentrer sur ce qui est vraiment essentiel : la lutte contre le terrorisme transnational pour protéger notre pays et les alliés des États-Unis ; le maintien de l’accès au pétrole du Moyen-Orient ; et la lutte contre l’émergence d’une hégémonie régionale (comme l’Iran) qui cherche à se doter d’armes nucléaires.

Nous devons trouver un moyen de travailler avec des partenaires du Moyen-Orient qui ne partagent pas nos valeurs et même pas la totalité de nos intérêts.

C’est un portrait qui n’est ni attrayant ni héroïque. Mais c’est une approche intelligente et réaliste pour une région en colère, brisée et dysfonctionnelle qui nous saignera à blanc si nous n’y prenons pas garde.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Magali Marc (@magalimarc15) pour Dreuz.info.

*Aaron David Miller est vice-président de New Initiatives et «Distinguished Fellow» du Middle East Program au Wilson Center situé à Washington.

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