Publié par Dreuz Info le 29 décembre 2016

Garry Kasparov, activiste politique et champion du monde d’échecs, répondait aux question du président du groupe Slate, Jacob Weisberg. La partie sur Poutine est intéressante, celle sur Trump moins.

Extraits.

Vladimir Poutine, comme tout dictateur, aura besoin d’une scène mondiale pour renforcer son emprise

“Je déteste dire «Je vous l’avais bien dit». Je me souviens que quand j’ai soumis mon livre à l’éditeur [Winter Is Coming: Why Vladimir Putin and the Enemies of the Free World Must Be Stopped*], il a bien aimé le livre, mais il doutait du sous-titre : «Pourquoi Vladimir Poutine et les ennemis du monde libre doivent être stoppés» ?

Moi et nombre de mes collègues, tels que feu Boris Nemtsov, disons depuis quelque temps que Vladimir Poutine est notre problème mais qu’il sera à terme le problème de l’ensemble du monde parce que, comme tout dictateur, il aura besoin d’une scène mondiale pour renforcer son emprise sur le pouvoir au niveau national. Il lui a été naturel de se tourner vers les Etats-Unis pour y éprouver son ego de dictateur, démontrer qu’il est si puissant, si invincible, qu’il peut défier la nation la plus puissante du monde.

Mais être dictateur à vie, c’est dangereux.

[…]

Si on essaye d’étudier Poutine et ses actions de notre point de vue en se disant «Nous vivons dans un pays libre, nous regardons de l’avant, nous faisons des calculs stratégiques», on ne peut pas aboutir à un jugement exact parce qu’un dictateur ne s’intéresse pas à la stratégie.

À partir d’un certain point, ce n’est que de la survie et tout ce qui compte est d’atteindre ses objectifs jour par jour.

Il peut se permettre de faire des erreurs parce qu’il n’a pas à se soucier d’une presse libre ou d’un parlement à qui il devrait rendre compte de ses actions, mais il sait qu’il y a une erreur fatale que tout dictateur doit éviter : il ne peut pas se permettre d’avoir l’air faible.

[…]

Après des années à voir l’administration Obama montrer des signes de faiblesse, il s’est senti libre de faire preuve d’audace. C’est la raison pour laquelle j’étais certain qu’il le ferait [pirater des comptes email américains pendant la campagne présidentielle], parce que j’ai lu assez de livres d’histoire pour apprendre que les dictateurs, lorsqu’ils ne s’arrêtent pas très tôt, ont tendance à dépasser toutes les limites qui se présentent à eux.

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Poutine a vu en Donald Trump une opportunité et l’a saisie, tandis que nous savons que l’administration actuelle, Obama et la Maison-Blanche, le département d’Etat, la CIA, recevaient des rapports sur le sujet mais tentaient d’éviter un conflit ouvert avec la Russie. Il y avait évidemment de nombreuses raisons d’éviter un tel conflit. C’était exactement le calcul de Poutine.

[…]
Un dictateur ne veut pas qu’une structure de sécurité devienne trop puissante.

Slate : Vous êtes le plus grand joueur d’échecs de l’histoire, pensez-vous que Poutine joue aux échecs ou joue-t-il à un autre jeu ?

Non, je veux défendre l’intégrité de mon jeu, notamment quand les gens disent : «Poutine joue aux échecs et Obama joue aux dames».

Poutine, comme tout dictateur, déteste les échecs parce que les échecs sont un jeu stratégique 100% transparent : je sais de quelles ressources je dispose et quelles ressources peuvent être mobilisées par mon adversaire. Je ne sais évidemment pas ce que mon adversaire pense sur le plan stratégique et tactique, mais au moins je sais quelles ressources à sa disposition peuvent me mettre à mal.

Les dictateurs n’aiment pas la transparence et Poutine est bien plus à son aise pour jouer un jeu que je voudrais plutôt décrire comme un poker géopolitique.

Au poker, on peut gagner avec une main très faible à condition d’avoir assez de liquide pour augmenter la mise et, si on a les nerfs solides, pour bluffer. Poutine n’a jamais cessé de bluffer. Il voyait ses adversaires géopolitiques se coucher les uns après les autres.

À mes yeux, le moment où Poutine a décidé qu’il pourrait faire tout ce qu’il voulait a été celui de la décision d’Obama de ne pas mettre ses menaces à exécution lorsque la ligne rouge qu’il avait établie a été franchie en Syrie.

Il y aurait dû y avoir une ligne rouge contre toute ingérence dans une élection américaine. Pourquoi l’administration Obama n’en a-t-elle pas fixé une ? Pourquoi n’a-t-elle pas réagi et porté cela à la connaissance du public avant l’élection lorsqu’elle a appris ce que nous savons tous aujourd’hui ? Pourquoi n’a-t-elle pas répliqué d’une façon ou d’une autre ?

Je pense encore une fois qu’il faut reconnaître à Poutine sa capacité à évaluer la psychologie de son adversaire. Il a joué brillamment avec l’administration Obama comme il avait joué avec l’administration Bush en charmant George W. lors de leur première rencontre. On se souvient que ce dernier avait affirmé avoir pu planter ses yeux dans l’âme de Poutine… Poutine avait su s’assurer de la coopération du président Bush et il a su, dès 2014 ou 2015, qu’Obama ferait absolument tout pour éviter un conflit ouvert sérieux avec la Russie avant la fin de son mandat.

Poutine n’avait pas une bonne main parce qu’une réplique américaine aurait été un désastre pour la Russie mais il a parié sur l’inaction d’Obama, qui espérait voir Hillary gagner quand même. Poutine a pensé qu’il pourrait non seulement gagner cette bataille, non seulement obtenir le résultat qui l’arrangeait, mais également envoyer un message.

Le rôle joué par Poutine dans l’élection américaine n’est pas seulement un fait qui concerne la politique intérieure américaine : cela a montré à tout le monde, des alliés des Etats-Unis au sein de l’Otan jusqu’aux monarchies arabes du Golfe en passant par les Chinois, les Japonais, les nations africaines et l’Amérique du sud que Poutine est si puissant, si arrogant et sûr de sa force qu’il peut intervenir dans le processus politique américain et que les Etats-Unis ne peuvent pas s’y opposer.

[…]

Poutine n’a pas seulement fait pirater des institutions politiques américaines : il l’a également fait en Europe, et si on refusait de croire les rapports de la CIA, il faudrait aussi refuser de croire les rapports de nombreux services de renseignement en Europe, où des attaques similaires ont été observées.

 

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