Publié par Michel Gurfinkiel le 17 janvier 2017

 

La conférence sur le Moyen-Orient devait servir les intérêts et le prestige de la France. Elle en fait surtout ressortir les limites.

 

Avant de relater le voyage qu’il effectue au Levant au printemps 1941, le général de Gaulle écrit, dans le premier tome de ses Mémoires de Guerre* : « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples ».

Replacée dans son contexte, cette « petite phrase » signifie, comme n’importe quel lecteur peut s’en rendre compte, qu’il doit gérer une situation cornélienne en Syrie et au Liban, où les Britanniques viennent de renverser les autorités vichystes. Dépendants de Londres, de Gaulle et la France libre ne peuvent que soutenir une opération qui ôte par ailleurs toute légitimité au maintien d’une domination française dans les deux territoires. Le général résout cette contradiction – la « simplifie » – par un tour de passe-passe : il se résigne à l’inévitable, mais obtient d’assurer la transition. De fait, c’est son représentant, Georges Catroux, qui mettra en place dès 1943 les premiers gouvernements indépendants à Beyrouth et Damas…

Le mot a sans cesse été cité. On s’est moins attardé sur les événements auxquels il sert d’exergue.

De Gaulle, Mitterrand et Hollande savent que la France n’est plus une très grande puissance ; mais ils veulent à tout prix qu’elle en conserve les apparences

On y trouve pourtant l’essentiel de ce que sera, après 1958, la politique étrangère de la Ve République. De Gaulle et ses successeurs, jusqu’à François Mitterrand et Jacques Chirac hier, François Hollande aujourd’hui, savent que la France n’est plus une très grande puissance ; mais ils veulent à tout prix qu’elle en conserve les apparences. La difficulté, dans cet exercice, est de ne pas trop s’éloigner de la réalité. Cela pourrait amener à travailler contre les intérêts profonds de la nation. Ou bien, pire, à perdre le crédit qu’on cherchait à sauvegarder.

 

La conférence sur le Moyen-Orient qui s’ouvre ce 15 janvier à Paris est à cet égard l’exemple même des erreurs à ne pas commettre.

 

Le président Hollande et le Quai d’Orsay affirment qu’ils prennent aujourd’hui l’initiative de cette conférence dans le seul but de « relancer » ou de « sauver » un « processus de paix israélo-palestinien » défaillant. Personne, dans les chancelleries, n’est dupe. Le projet d’une telle conférence remonte au moins à 2011 : c’est Alain Juppé, sous Nicolas Sarkozy, qui l’avait évoqué le premier. Tout a changé en six ans au Moyen-Orient, sauf, semble-t-il, le fantasme d’un « rôle » arbitral de la France.

 

Quel poids, compte tenu du calendrier, peut revêtir une telle conférence ? Hollande, le maître d’œuvre, est le plus déconsidéré des présidents français, tant en France même qu’à l’étranger ; et il est peu probable que son successeur appartienne à la même famille politique que lui. Quelque soixante-dix pays et organisations envoient des représentants : la plupart de ces derniers sont de second ordre. L’administration américaine sortante envoie son secrétaire d’Etat, John Kerry. Mais elle sera remplacée cinq jours plus tard par l’administration Trump dont on sait, d’ores et déjà, qu’elle a ses propres idées sur le Moyen-Orient et sur une reprise des négociations israélo-palestiniennes. Entre une initiative Hollande et une initiative Trump, personne ne peut actuellement hésiter.

 

Quel est en outre le sens d’une telle conférence en l’absence du principal intéressé, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ? Le président Hollande a reconnu le 12 janvier, devant le corps diplomatique, que la paix ne sera faite « que par les Israéliens et les Palestiniens eux-mêmes », et que « seules des négociations bilatérales donneront des résultats ». Ce qui est exactement la raison que Netanyahu a invoquée pour ne pas venir à Paris. Dès lors, pourquoi mettre en scène ce qui est donné d’emblée comme un non-événement ? Toutes choses égales d’ailleurs, n’aurait-il pas mieux fallu se concentrer sur un événement plus substantiel, prévu à Paris lui aussi, mais auquel Netanyahu a donné son accord : un sommet avec le président de l’Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas ?

 

Les présupposés juridiques de la conférence de Paris font également problème. La diplomatie française se comporte comme si le « processus de paix » engageait deux Etats, Israël et la Palestine. Ce n’est pas le cas. La Palestine, au sens d’Etat arabe palestinien souverain, sera peut-être créée au terme de ce processus. Pour l’instant, elle n’existe ni en droit, ni en fait.

 

L’Autorité palestinienne, créée en 1993 par les accords d’Oslo et qui pourrait en constituer l’ébauche, ne contrôle qu’un territoire palestinien sur deux, la Cisjordanie. Ses instances – présidence, parlement, gouvernement – n’ont plus ou n’ont jamais eu de légitimité démocratique. L’autre territoire, Gaza, entièrement et unilatéralement évacué par les Israéliens en 2005, est tombé en 2007 aux mains du Hamas, une organisation islamiste considérée comme terroriste, en tant que telle ou à travers sa branche armée, par les Etats-Unis, le Canada, l’Union européenne, le Japon, l’Australie, mais aussi l’Egypte et la Jordanie. Qui plus est, il exclut toute éventualité d’une paix avec Israël. Un traité n’étant valide que dans la mesure où il est mis en application (« pacta sunt servanda »), un éventuel acte de paix entre Israël et l’Autorité palestinienne serait donc, dans la situation actuelle, nul et non avenu car inapplicable dans une partie importante des territoires qui dépendent de cette dernière.

 

La diplomatie française présente également la ligne d’armistice israélo-jordanienne des années 1949-1967 – la « ligne verte » – comme la frontière internationale séparant Israël de l’hypothétique Etat de Palestine. Mais elle ne reconnaît pas cette frontière elle-même puis qu’elle refuse obstinément d’inclure Jérusalem-Ouest (les secteurs de la Ville sainte situés en deçà de la « ligne verte ») comme partie intégrante du territoire israélien.

 

Dernière erreur de la diplomatie française, la plus grave peut-être : elle se trompe d’urgence géopolitique au Proche et du Moyen-Orient. Le vrai problème humanitaire, par le nombre, la détresse, l’impact global, c’est celui des réfugiés irakiens, syriens, libyens : pas celui des Palestiniens de 1948 et de leurs descendants, pris en charge par l’UNWRA sur près de quatre générations. Face au nihilisme jihadiste et à un axe chiite Iran-Assad-Hezbollah, les pays sunnites, y compris l’Arabie Saoudite et la Turquie, se rapprochent de plus en plus ouvertement d’Israël. Enfin, ce qui peut remodeler la région en profondeur, ce n’est pas un « jeu » de la France, ni même celui de l’Europe, mais bien l’interventionnisme de la Russie, l’entrée désormais inéluctable de la Chine (qui vient d’acquérir une base navale géante à Djibouti) et le retour, avec Trump, de l’Amérique.

 

© Michel Gurfinkiel & Atlantico, 2017

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