Publié par Daniel Frédéric Gandus le 3 mars 2017

Ce que signifient le Brexit, l’élection de Trump et de nombreux autres événements à venir qui contredisent «le sens de l’Histoire» défini par ces élites bien-pensantes, c’est la liberté retrouvée du peuple.

De la fin de la seconde guerre mondiale à ce jour, les peuples occidentaux furent conditionnés à ne plus bouger par l’immobilisation que réussit à leur imposer le soft-power ensorcelant de la télévision ronronnante dans le salon.

En effet, que se passerait-il si toute une nation– je dis bien toute une nation ou du moins peut-on espérer sa majorité– était capable, comme d’un seul homme, de se priver totalement de médias pendant au moins un mois ?

(La chose peut paraître folle, mais le militant Ralph Nader a réussi, dans son pays, à convaincre 2 millions de concitoyens de ne plus regarder leur télévision).

Eh bien cette nation s’apercevait tout d’abord qu’une soirée tout court, c’est bien plus long qu’une soirée télé.

Puis elle réaliserait tout le temps (le temps, c’est-à-dire «la substance de la vie» dixit Bergson et l’un des noms de Dieu selon la mystique juive) qu’elle a perdu à écouter les tournicotis-tournicotons de ces flopées de pseudo-journalistes auto-dégradés en chroniqueurs, tantôt cyniques tantôt hilares, autour de la sorte d’anus symbolique géant qu’est la table du plateau-TV aux formes souvent éclatées, du bout de laquelle un animateur central sans réels talents [mais bien né ou assez opportuniste pour avoir su développer ses bonnes relations] s’auto-proclame maître d’une cérémonie qui finit systématiquement par tourner au rite sacrificiel contre une personnalité, un livre ou une cause, et ce, avec la même exultation lugubre que celle des sacrifices humains pratiqués par les Aztèques à l’encontre des perdants des jeux consacrés aux dieux, qui étaient alors précipités au bas de leurs pyramides à étages (les touristes savent rarement devant quoi ils s’ébahissent).

Les mêmes se croient au sommet de la civilisation alors qu’ils en sont le caniveau.

Le grand silence qui suivrait un coup de hache définitif dans la télé-monologuante ouvrirait enfin l’homme qui en commettrait l’acte à la redécouverte, pour celui-ci, d’une réflexion profonde sur le sens de sa vie, ses chemins de sens contraints dans les plis de souffrances post-modernes qu’il repoussait jusqu’alors chaque jour un peu plus avec l’aide du néant ambiant, pour ne plus exister en ses propres questions existentielles… Pour un second, il pourrait enfin n’avoir plus peur de se confronter à ses silences intérieurs ou partir en quête d’une expérience spirituelle, pour un troisième qui serait père, cela serait la possibilité d’avoir par exemple la première conversation avec son fils pour l’accompagner dans le devenir homme, au lieu de l’habituel remplissage-bavardage de la télé,

Pour un autre, serait enfin possible la redécouverte du corps érotique de sa femme qu’il ne regardait plus depuis 20 ans.

Et peu importe l’âge et le temps qui passe, puisque l’amour transfigure les défauts en charmes.

Cet homme, la télé l’a privé de ces silences suintants de désir au sein du couple, mais aussi des craintes et tremblements qui font un couple, et plus encore, des débats politiques très «à la française» avec ses voisins autour d’une table garnie de vins et d’où s’envolent des disputes tantôt acerbes, tantôt fleuries sur la nation et l’art des hommes qui mettent la main dans la gueule du destin, pour le faire courber et lui rappeler la fierté essentielle –même si elle est toujours brisée de fautes– qu’un être «à l’image de l’image de Dieu» (traduction la plus précise du texte biblique qui redouble la notion d’image afin de nous faire d’emblée renoncer à la prétention d’un accomplissement total dans la ressemblance à Dieu) peut effectivement changer le monde, comme il l’a fait depuis plus de 2000 ans… plutôt que regarder ce monde derrière un écran de verre.

Mais aussi reviendraient ces jeux, discussions, surprises et enseignements qu’attendent –sans être encore à l’âge de pouvoir les formuler par eux-mêmes– les enfants de leurs parents ; enfants qui sentent et ressentent la pesante misère humaine de leurs aînés lorsque ceux-ci n’ont eux-mêmes aucune parole ou symbolique forte à leur offrir pour donner sens à ces soirées et finissent par placer les enfants devant la télé pour combler le vide du ne-pas-savoir-être-père, ne-plus-souhaiter-être-mère… et toutes autres formes du n’–avoir-rien-à-transmettre si typiques de notre époque.

  • Sans la moindre trace de sang, une victoire absolue de la Mort, par seule absence de Parole.
  • Une victoire offerte inconsciemment à la mort, directement, du parent à l’enfant.

Dans ces authentiques conversations qui reviendraient, on parlerait à nouveau entre sans-dents et des sans-dents, de la perte irrémédiable des êtres aimés et de leurs visages jamais oubliés, de ce qu’est d’en rester-blessé, des chances que l’on a laissé passer, et pour les enfants, des leçons à en tirer, de l’apprendre à vivre et à mourir qui donnent au peuple une sagesse du quotidien, et d’où naissent aussi des philosophies qui exprimeront l’âme de ce peuple au reste de l’humanité.

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Toutes choses face auxquelles nous est plutôt imposé le dernier rappeur à la mode (voir larealiteenface.overblog.com) et par lequel le citoyen n’a plus de narratif national commun, et se trouve livré à une solitude identitaire, par quoi encore nos vies ne signifient plus rien d’autre que «devant, c’est derrière, et derrière, c’est devant» dans «La solitude» que décrivait Léo Ferré ; ce géant de gauche qui eut le courage de s’opposer aux siens, disant «la gauche, c’est une antichambre pour le fascisme» voir :

la télévision n’est plus un média informant mais un attentat quasi permanent contre notre capacité à rêver

Cette vidéo correspond aussi à ce genre d’échange totalement réalisé «à bâtons rompus» qui a toujours existé entre un Ancien qui a quelque chose dire et une nouvelle génération qui le suit ; cette expérience n’existe quasiment plus aujourd’hui ou éventuellement au travers de ces sessions assez formatées que l’on nomme «dialogue intergénérationnel» et dont on se demande si elles seront encore possibles, et quel sens elles auront lorsque la génération racaille sera majoritaire face à de vieux Français de souche dont cette génération racaille sera censée recevoir une parole, un héritage culturel ou identitaire.

Pour conclure sur ce qu’est la télévision aujourd’hui, on peut dire qu’elle n’est plus un média informant mais un attentat quasi permanent contre notre capacité même à rêver et une insulte à notre vocation naturelle d’être sujet au monde, à notre capacité de réapprendre à agir-le-monde.

… Mais personne ne voit le corps éclaté de l’âme.

Redevenir sujet au monde et ne plus être le simple «spectateur» ni de sa propre vie ni de la société du spectacle (Guy Debord), ni être objectivé par le pouvoir des médias faisant de nos vies des objets filmés et commentés par des juges-paillettes de télé-réalité, suppose que nous réapprenions à chaque humain– et pour ainsi dire un à-un– sa vocation naturelle d’accoucher son rêve au monde.

Et à notre époque, c’est un combat avant d’être un idéal comme cela aurait dû le rester.

Le mouvement personnaliste fondé par l’intellectuel chrétien Emmanuel Mounier et son «engagement de pensée pour l’action» est une des bases possibles– parmi d’autres– de ce renouveau.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Daniel Frédéric Gandus pour Dreuz.info.

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