Publié par Ftouh Souhail le 8 mars 2017

« La Tunisie est le phare de l’espoir ! » a déclaré la chancelière allemande Angela Merkel, lors de son discours à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) le 3 mars 2017. On croit rêver…

Elle a fait l’éloge de la Tunisie soi-disant « démocratique et moderne », qui a fait selon elle un chemin qu’elle a décrit comme étant « extraordinaire avec des élections libres et l’élaboration d’une Constitution ».

La chancelière a également exprimé sa sollicitude et son « émerveillement » vis-à-vis des acquis tunisiens, prenant pour exemple l’octroi du prix Nobel de la paix au quartet du dialogue national.

Angela Merkel a, par ailleurs fait un parallèle avec l’assemblée fédérale allemande, le Bundestag, et l’ARP en indiquant que « les travaux des députés se rejoignent, car les défis des deux pays sont identiques ».

« On ne peut nier les avancées réalisées par la Tunisie depuis la révolution de 2011 et l’Allemagne, en tant que pays frère, veut vous accompagner sur cette voie » a ajouté Angela Merkel sous les applaudissements des députés.

L’espoir de quoi ? Le pays est le berceau du racisme et le centre de la traite des êtres humains.

Une chancelière allemande qui débarque pour moins de 24 heures, offre 275 millions d’euros de dons sous le coup des chantages, et qui lance ensuite des fleurs à ce pays raciste ? Quelqu’un lui a-t-il montré le tableau de bord actuel ? A-t-elle vraiment la conscience que ce dernier « prix Nobel de la Paix » pour la Tunisie a un goût amer.

Les 10 à 20 % de Tunisiens à la peau sombre ont chacun leur lot d’anecdotes à raconter attestant du racisme ordinaire subi par eux – ils sont totalement absents des hautes fonctions et de la scène médiatique.

Le racisme, tel qu’il est vécu par les Tunisiens noirs et les ressortissants subsahariens, est une réalité jamais exposée par les médias locaux.

Au sud du pays par exemple, on se croirait sous le régime de l’apartheid. Tous les jours des bus scolaires sont réservés pour les enfants noirs et d’autres pour les enfants blancs, pourtant tous les deux convergent vers les mêmes écoles. La ségrégation et le racisme sont monnaie courante dans le pays des Jasmins.

Au niveau des autorités tunisiennes, et ce même malgré l’adoption d’une nouvelle Constitution (qui ne garantit aucun droit pour les noirs, les juifs et les berbères), rien n’est fait et rien n’est proposé.

Au niveau des organisations internationales, cela fait longtemps pourtant qu’on identifie le malaise ; à titre d’exemple, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU s’inquiète, dans son dernier rapport de 2016, des discriminations en Tunisie et préconise de faire évoluer les cadres législatifs.

La Tunisie est le deuxième pays le plus intolérant d’Afrique, selon une étude récente d’Afrobarometer. La Tunisie est en dessous de la moyenne africaine.

Afrobaromètre est un réseau de recherches panafricain et indépendant qui conduit des enquêtes sur les attitudes du public envers la démocratie, la gouvernance, les conditions économiques, et des questions connexes à travers l’Afrique. Il a mené plus 145 études depuis 1999.

L’étude porte sur la tolérance des habitants de 33 pays africains envers certaines situations, et à ce jeu, la Tunisie obtient un score de tolérance médiocre de 2,35 sur une échelle de 1 à 5, se classant à l’avant-dernière place juste devant le Niger !

Les Arabes musulmans tunisiens sont en grande partie hosties aux autres ethnies (surtout les noirs), les autres religions (les juifs en premier), envers les immigrants et travailleurs étrangers (les résidents africains), les personnes vivant avec le VIH/sida et les homosexuels.

La Tunisie est située en dessous de la moyenne africaine en matière de tolérance. Le Sénégal et le Gabon sont les pays les plus tolérants.

La Tunisie est aussi classée au niveau 2 sur la liste des pays pratiquant la traite transnationale des personnes selon le rapport 2016 du Bureau de contrôle et de lutte contre la traite des personnes du Département d’État des États-Unis.

Toujours selon l’étude du Département d’État des États-Unis, la Tunisie est un pays source de destination et de transit pour les victimes de la traite. Tunis ferme les yeux sur le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes aux fins d’exploitation. Des véritables mafias sévissent dans le pays et veillent sur le fléau de l’esclavage.

Le statu quo est fermement maintenu : le ministère de la Justice a offert une fin de non-recevoir à la demande d’Adam, une association représentant les Noirs de Tunisie d’interdire la pratique d’un autre âge consistant à mentionner sur certains actes de naissance la mention « atig » (en arabe : affranchi) renvoyant directement à la période esclavagiste (les Noirs tunisiens sont pourtant loin d’être tous descendants d’esclaves).

La racine du problème, c’est que la diversité est un tabou institutionnalisé à l’époque de Bourguiba. Dans sa volonté d’aligner tous les Tunisiens au sein d’un Etat-nation « moderne », mentionner les spécificités et la pluralité de la société tunisienne est rendu impossible, car perçu comme une volonté de semer la division.

Le caractère profondément africain de l’identité tunisienne subit le même sort : relégué au rang d’« archaïsme » par une classe politique et intellectuelle qui ne daigne concevoir la Tunisie que comme un cocktail entre Orient et Occident.

Il est impossible pour une victime de racisme de déposer plainte : ce délit n’existe pas dans le Code pénal

Cette aversion pour la diversité et l’africanité s’est maintenue jusqu’aujourd’hui et se perpétue comme un dogme jamais remis en cause, y compris au sommet de l’État. La nouvelle Constitution clôt la Tunisie dans une identité exclusivement « arabo-musulmane » au lieu de l’ouvrir également sur sa dimension africaine et méditerranéenne.

La principale difficulté de la lutte antiraciste en Tunisie provient du fait que le racisme (l’injure raciale ou la discrimination raciale) comme délit n’existe tout simplement pas dans le Code pénal tunisien. Il est donc impossible pour une victime de déposer plainte.

Une situation d’autant plus alarmante que la police se rend souvent responsable ou complice d’actes à caractère raciste, et que les responsables politiques n’inscrivent cette situation intolérable dans un État de droit, ni dans leurs agendas ni dans les débats. D’ailleurs, à cause du racisme six mille étudiants subsahariens ont quitté la Tunisie au cours de ces dernières années.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Souhail Ftouh pour Dreuz.info.

 

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