Publié par Abbé Alain René Arbez le 11 avril 2017

La veille de sa passion, au soir du jeudi saint, Jésus n’a pas célébré la première « eucharistie chrétienne ».

Il a simplement commémoré la Pâque juive avec ses amis, au cours du repas rituel traditionnel. Et c’est dans ce cadre bien précis qu’il a inclus son propre geste rituel confié aux apôtres comme mémorial valable pour l’après Golgotha.

Habituellement, avant le début du seder, un domestique ou le plus jeune des fils, apporte au président du repas une bassine d’eau pour l’ablution rituelle. Ici c’est Jésus qui préside, et il décide de se lever, d’endosser la fonction de serviteur et il lave lui-même les pieds des disciples (Jn 13.1-6), afin de mettre ce dernier événement sous le signe de l’humilité et du service fraternel.

Lors du seder pascal juif, le président du repas donne aux participants trois galettes rondes de pain non levé (matzot ougot- Exode 12.39), en rappel de la sortie d’Egypte qui avait été pour Israël un départ libérateur dans l’urgence. Cette distribution du pain de la Pâque a un sens communautaire : la première matza représente le corps des prêtres, la deuxième, le corps des lévites, et la troisième, le corps du peuple de Dieu.

Jésus prend la dernière galette azyme qui représentera son corps, unifiant en une seule les 3 autres, afin de présenter à Dieu, par la bénédiction, un Israël uni auquel il s’identifie personnellement. Les Ecritures dénomment Israël « peuple de prêtres », chargé de rendre un culte au Dieu saint, grâce à la qualité de son comportement éthique guidé par la Torah.

En disant « ceci : mon corps » la veille de la fête des pains sans levain où est immolé l’agneau pascal au Temple, Jésus annonce sa propre Pâque, imminente. Anticipant son sacrifice, corps rompu, il récapitule en lui la mission de serviteur du peuple d’Israël dont Dieu est le Père. (Il y a une grande différence anthropologique entre la notion de corps chez les Grecs et chez les Israélites. La tradition biblique considère l’être humain comme une unité, âme et corps ne sont pas séparés comme dans le paganisme hellénistique, où l’esprit de l’homme est une étincelle divine tombée du ciel mais enfermée dans un corps méprisable et sans avenir).

En disant « ceci : mon corps » Jésus dit donc : dans ce geste est ma personne, tout ce que j’ai réalisé avec vous, c’est moi-même donné entièrement pour vous… (Ceci explique l’insistance du 4ème évangile pour affirmer dans son prologue : « le Verbe de Dieu s’est fait chair ! », l’incarnation du divin n’étant pas concevable dans la pensée grecque).

La todah (merci à Dieu) appelée plus tard en grec « eucharistie »  sera célébrée selon la demande de Jésus après sa mort et sa résurrection ; elle se réfère à ce repas pascal initial, mais ce ne sera évidemment pas le corps mortel, mais bel et bien le corps glorieux du Christ qui investira la matière du pain de l’offrande consacrée. De même, le sang ne peut pas être isolé, même dénommé spécifiquement puisque symbole de vie, car le sang est associé intimement à la vie du corps. Pour les Hébreux, le sang, c’est la vie (haïm), donc dans l’eucharistie d’après Pâques, c’est la vie irradiant le corps glorieux du ressuscité qui est là dans le vin consacré, ce n’est évidemment pas l’hémoglobine du Jésus terrestre.

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Dans le rituel de la Pâque juive, le président de la célébration élève pour une bénédiction quatre coupes de vin successives qui sont bues par les convives au cours du repas. La 4ème coupe s’accompagne d’une prière que Jésus a dite, en pensant peut-être aux Romains qui bafouent les lois divines par leur violence idolâtrique : « Ô Dieu d’Israël, répands ta colère sur les peuples qui ne veulent pas reconnaître ta justice et méprisent l’être humain ! » Chaque commémoration de la Pâque, libération des servitudes, est un « zakhor », une actualisation de l’événement pascal, qui rend chaque participant réellement contemporain de la délivrance évoquée.

Puis Jésus prend en mains la cinquième coupe, celle qu’on laissait de côté avec dévotion car c’est la coupe du prophète Elie, celui qui vient à la fin des temps annoncer l’imminence messianique du Règne de justice et de paix. C’est cette cinquième coupe qui se retrouvera au centre de la célébration eucharistique.

Et Jésus dit, citant mot pour mot Jérémie, prophète du retour d’exil : « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, versé pour beaucoup ». Ce qui veut dire : les temps de l’ère nouvelle sont arrivés, c’est aujourd’hui – par le don de soi – que le règne de Dieu commence à transformer nos vies. Tous les êtres humains sont invités au banquet final du Royaume.

C’est pour cette raison que lors de la célébration du mémorial consécratoire le prêtre dit : « à la fin du repas, il prit LA coupe », les 4 autres ayant déjà été bues, c’est donc bien de la 5ème, celle d’Elie, qu’il s’agit, car habituellement on la laissait intacte.

L’offrande du pain et du vin évoque aussi le profil bienfaisant de Melkitsédek, roi de Salem, mis en valeur dans la Bible, car représentant d’une lointaine tradition religieuse pacifique et accueillante, à l’opposé des coutumes idolâtriques et sanguinaires omniprésentes dans les territoires païens. 

Or la Pâque ancienne a récapitulé rituellement le passage – vécu par l’humanité ancienne – de la chasse à l’élevage et de la cueillette à l’agriculture. C’est pourquoi la Pâque a d’abord été fête des éleveurs, où l’on sacrifiait à Dieu, en action de grâces, un agneau sans défaut, partagé ensuite entre officiant et famille. Puis s’y est adjointe la fête des moissonneurs, avec l’offrande de la première gerbe en remerciement pour le don des grains de blé. (Les vieux levains étaient jetés, on mangeait le pain de la nouvelle mouture). Ces deux célébrations sont du registre de la nature, la première Pâque est une fête en l’honneur du Dieu de la nature généreuse.

La deuxième Pâque qui s’y ajoute, et qui sera dominante, est la sortie d’Egypte, événement providentiel de libération permettant au peuple de Dieu de s’approprier sa destinée en partant vers la Terre des promesses. C’est donc le registre de l’histoire, qui implique la responsabilité humaine.

« Choisis la vie pour que tu vives ! (Deutéronome)» De ce fait, le Dieu créateur de la nature est aussi le Dieu sauveur s’adressant à notre liberté et suscitant la culture.

L’eucharistie que nous célébrons se fonde certes sur le dernier repas historique de Jésus juste avant sa passion, mais  avant tout sur la présence du Christ ressuscité version Emmaüs, lorsqu’il révèle aux marcheurs le mystère des événements à partir des Ecritures saintes et se fait reconnaître en rompant le pain.  Cette prise de conscience dans leur cheminement les libère de la désespérance antérieure et leur fait faire demi-tour vers Jérusalem, siège de la communauté apostolique, l’Eglise-mère, d’où rayonnera ensuite la mission auprès de toutes les nations.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez prêtre, pour Dreuz.info.

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