Dès lors que les explications sont totalement absentes en France, je dois les donner ici. La “crise” du Qatar fait partie intégrante de la mise en oeuvre de la doctrine Trump.
Celle-ci repose sur un retour à une alliance forte des Etats-Unis avec les pays sunnites. Cette alliance est conditionnelle : Donald Trump ne demande pas aux pays sunnites de changer de régime (il a compris que la démocratie n’est pas compatible avec l’islam), mais il leur demande de couper tout lien avec le terrorisme islamique et avec toute activité de djihad et leur dit que c’est la condition stricte d’une alliance retrouvée avec les Etats-Unis.
Il leur dit aussi que l’autre condition de l’alliance est une reconnaissance par eux de l’Etat d’Israël. L’Egypte, l’Arabie Saoudite, les émirats sauf le Qatar, la Jordanie (après un moment de réticence) acceptent les conditions. Le Qatar les refuse et entend garder ses liens avec l’Iran, les Frères Musulmans et le Hamas. Le Qatar se trouve dès lors soumis à une pression extrême. La Turquie d’Erdogan, qui est sur la même ligne que le Qatar pour ce qui concerne les Frères Musulmans et le Hamas s’efforce de soutenir celui-ci. L’Iran s’efforce lui aussi de soutenir le Qatar, car si le Qatar tombe, l’alliance voulue par Trump avancera et l’Iran sera sur la voie de l’endiguement, qui est l’un des buts de l’alliance, avec la reconnaissance d’Israël par les pays sunnites et le net recul du terrorisme islamique et des activités de djihad.
En parallèle, l’avancée vers la chute de l’Etat Islamique s’accélère, et cette chute, dans laquelle les forces spéciales américaines dépêchées par Trump jouent un rôle essentiel, va renforcer les positions kurdes (les forces kurdes représentent l’essentiel des “forces démocratiques syriennes”) et impliquer un redécoupage de la Syrie et de l’Irak. Ce redécoupage impliquera une négociation entre la Russie et les Etats-Unis dans le cadre de laquelle Trump pense disposer d’une position de force à même de lui permettre d’exiger de Poutine qu’il entérine l’endiguement de l’Iran et qu’il pèse de tout son poids sur le Hezbollah au Liban, moyennant quoi les Etats-Unis accepteront le maintien des bases russes de Lattaquié et Tartous, dans le cadre d’un régime Assad maintenu dans les régions alaouites, accepteront l’annexion de la Crimée et lèveront les sanctions contre la Russie.
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Le renforcement des positions kurdes ne fait pas l’affaire d’Erdogan, qui ne veut ni d’une autonomie plus grande des régions kurdes en Syrie et en Irak, ni, plus largement, d’un redécoupage de la Syrie et de l’Irak. Trump entend placer Erdogan sous pression par ce renforcement, et entend aussi pousser Poutine à mettre lui-même Erdogan sous pression.
Le renforcement des positions kurdes ne fait pas non plus l’affaire de l’Iran qui y voit une cassure du croissant chiite, qui commençait à prendre forme. Il ne fait, bien-sûr, pas l’affaire de l’Etat Islamique, qui va perdre Raqqa, et tenter de porter le djihad sur d’autres fronts : des attentats en Europe sont à prévoir, et les attentats qui viennent de frapper Téhéran sont logiques en ce contexte.
En frappant l’Iran, les dirigeants de l’Etat Islamique essaient sans doute de se négocier une porte de sortie chez les dirigeants du monde sunnite.
L’alliance conditionnelle Etats-Unis pays sunnites va considérablement affaiblir le Hamas, qui, dans l’attitude du Qatar, joue sa propre survie.
Elle place l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas dans une situation très difficile : pour que l’alliance inclue Israël, les pays sunnites demandent des gestes “pro-palestiniens” aux Etats-Unis et à Israël, mais savent qu’ils obtiendront peu et revoient leurs exigences à la baisse. Il y aura sans doute quelques infimes “échanges” de territoires, une autonomie qui ne sera pas beaucoup plus que la situation actuelle, mais sera accompagnée d’une exigence ferme que l’Autorité Palestinienne cesse d’inciter au meurtre. Si l’exigence n’est pas satisfaite, l’Autorité Palestinienne n’aura plus aucun soutien du monde sunnite et sera sous une pression maximale des Etats-Unis, qui lui couperont très vraisemblablement les vivres.
Les pays producteurs de pétrole savent que les Etats-Unis n’ont plus besoin d’eux pour s’approvisionner en énergie
Le transfert de l’ambassade des Etats Unis à Jérusalem a été différé dans le cadre des négociations avec les pays arabes sunnites. Il n’a été que différé, pas du tout annulé, et les communiqués de la Maison-Blanche sont clairs et explicites sur ce point.
Un élément crucial des négociations en cours est le pétrole. Les Etats-Unis redeviennent indépendants énergiquement des pays producteurs de pétrole. Les pays arabes sunnites veulent l’alliance avec les Etats-Unis parce qu’ils veulent absolument l’endiguement de l’Iran. Ils savent en outre que les Etats-Unis n’ont plus besoin d’eux pour s’approvisionner en énergie. Israël devient un pays producteur de pétrole et de gaz naturel et renforce sa puissance. La Russie vit de ses ressources en pétrole et en gaz naturel, et Poutine sait que Trump peut faire baisser les cours mondiaux, et créer des difficultés profondes à la Russie. La Turquie s’approvisionne en pétrole en Irak et en Iran, mais reçoit l’essentiel de son gaz naturel de Russie.
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Un autre élément des négociations en cours est la chaine de télévision al-Jazeera, qui est une chaîne du Qatar, et qui est sur la ligne des Frères Musulmans, et soutient le Hamas et tous les groupes djihadistes : Trump et les pays arabes sunnites veulent un changement de ligne d’al-Jazeera.
Tout ce que je viens de décrire est très mobile.
Néanmoins, une recomposition révolutionnaire du Proche-Orient prend forme grâce à Donald Trump. Cette recomposition sera, si elle aboutit, l’un des changements géopolitiques les plus importants de ce début de vingt-et-unième siècle.
Un dernier point: le Qatar a sur son sol la plus grande base américaine de la région, Donald Trump le sait. La base restera. L’émir du Qatar pourrait, lui, se brûler s’il persiste à jouer un jeu dangereux pour lui. (J’ai ajouté cette phrase pour ceux qui pensent que Donald Trump ignore ce qu’il sait en réalité infiniment mieux qu’eux).
Un point supplémentaire : la France a joué ces dernières années la carte du Qatar et celle de l’Iran. Ces cartes risquent fort d’être des cartes perdantes assez rapidement. Macron, ces derniers jours, semble s’être mobilisé pour le Qatar, en concertation avec Erdogan, et avec l’Iran. Il n’est pas étonnant que les explications soient totalement absentes en France en ce contexte.
© Guy Millière pour Dreuz.info. Toute reproduction interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur.
D’apres Debka, qui me semble etre une bonne source d’informations, les Etats-Unis vont vendre au Quatar un certain nombre de F15. Cela rentre t-il dans le schema que vous decrivez ?
Prof Milliere,
Cette vente US de 36 F15 n’ est elle pas à contre courant de la doctrine Trump ?
Salutations distinguées,
Non, cela ne va pas a contre courant de la doctrine Trump. Des avions sans pièces de rechange ne sont pas utilisables. Le Qatar dépend de l’armement américain et des pièces de rechange fournies. Le contrat avait été passe avant Trump. Trump ne l’a pas annulé, pour les raisons que je viens d’indiquer. Le Qatar a sur son sol une base américaine, et l’émir du Qatar n’a strictement aucun intérêt a dépasser certaines lignes rouges en matière militaire.
Je savoure les explications de Guy Millière qui nous éclairent sur la réalité complexe du moyen-orient et sur les stratégies intelligentes de D.Trump.
C’est un peu comme si , en lisant ces lignes, nous avions le sentiment qu’en politique , tout peut encore se jouer positivement lorsqu’on ne fait pas le jeu des mauvaises alliances “à l’européenne ou à la française”.. ça redonne de l’espoir étant donné qu’en France, c’est exactement l’inverse qui perdure, et le vieil adage “Chez nous , on n’a pas de pétrole mais on a des idées” n’est plus du tout d’actualité, enfin , oui, encore, pour les très mauvaises idées politiquement parlant!
“En parallèle, l’avancée vers la chute de l’Etat Islamique s’accélère, et cette chute, dans laquelle les forces spéciales américaines dépêchées par Trump jouent un rôle essentiel,”
Je trouve cela désagréable de voir une telle phrase publiée. Les interventions des forces spé américaines ou d’autres pays ne devraient JAMAIS être mentionnées, par quiconque et quel que soit le média, car cela peut mettre encore et encore lesdits soldats et même leurs familles et proches en danger, ils n’ont vraiment pas besoin de cela.
A part ça, bon article intéressant.
Oui très intéressant cet article de mr Guy Milliere. Je partage également avec Chinöok la remarque selon laquelle faut-il mentionner les forces spéciales américaine même si elle sont sur le terrain afin de ne pas porter préjudice à leur boulot. Tout compte fait ce sont entre guillemets les force du bien et non du mal contrairement aux islamistes et autres frèreservices musulmans etc…Ou alors Dreuz.info à consulté un spécialiste de force de sécurité pour le contexte.
Encore merci à mr Guy Milliere c’est super édifiant.
Tout à fait d’accord avec vous “Chinook”. Une série TV évoque ce secret : l’Unité
Bonjour Lagaffe,
Ah, la série “THE UNIT”, j’ai tous les DVD, j’y reviens régulièrement. Il y a un épisode marquant, le premier je crois, qui détaille tout ceci. Je le revois régulièrement pour bien me rappeler mon propre devoir de réserve dont je suis très fière et qui m’accompagnera dans la tombe d’ailleurs, quand le moment sera venu !!!! Donc OK avec vous.
Passez une bonne journée et un bon week-end.
J’adore aussi cette série ! :)) Dommage qu’elle ait été stoppée en partie à cause de la grève des scénaristes… Ça ne faisait pas dans le sentimentalisme.
La présence de ces forces spéciales américaines est connue de tous et ne peut être cachée! Les publications arabes et turcs en parlent.
Cette présence des forces spé occidentales doit être absolument cachée pour ne pas mettre les soldats et leurs familles en danger, c’est impératif !!!! Le grand public et donc les anti-militaristes ne doivent pas être au courant afin de ne pas compromettre des opérations en cours et futures. Moins le grand public en sait, et mieux c’est.
Les djihadistes se doutent très bien qu’il y a des forces spéciales US, elles sont formées pour ce genre d’intervention, c’est leur essence même… Si les djihadistes ne s’en doutaient pas, ils seraient encore plus cons que ce qu’ils sont, et ils auraient été éclatés depuis longtemps…
Les médias américains parlent du rôle des forces spéciales américaines dans les opérations en cours. Cela ne met pas les soldats en danger: les mettre en danger impliquerait de dire qui ils sont et ou ils sont exactement. Pour la meme raison, leurs familles et leurs proches, qui sont aux Etats Unis, ne sont pas en danger.
Je partage votre intervention mrapide Guy Milliere.
Merci….De ces explications.
Errata: c’est Mr Guy Milliere et non mrapide Guy Milliere
Bonjour M. Millière,
en toute cordialité, je pense quand même que toutes les opérations spéciales devraient rester undercover, la presse ou le grand public ne devrait rien en savoir, jamais, en aucun cas.
Car par définition même, lesdites opérations sont trop importantes pour que le grand public s’en empare et s’en fasse un argument anti-armée. Cela préserverait d’ailleurs aussi les activités et objectifs de Mr TRUMP.
Et puis, M. Millière, j’ai longuement expliqué sur Dreuz mon vécu de widowed military girlfriend, ce qui fait que je me sens d’autant plus concernée dans un tel cas.
” Pour la meme raison, leurs familles et leurs proches, qui sont aux Etats Unis, ne sont pas en danger.” : les emplacements des bases de certaines forces spéciales sont connus aux USA, et ce genre de news sur des interventions overseas pourrait exciter une tête de friperie terroriste à commettre un attentat à l’aveugle, ce qui serait déjà bien trop.
Ceci dit, sans rancune et bien cordialement.
Chinook
Je savoure, moi aussi. Merci Guy !
Quand allez-vous parler du “dictat” qui se met en place en France ?
Tous les candidats de “En Marche” ont du faire allégeance et accepter par écrit, leur soutien inconditionnel de non renoncement à la politique qui sera mise en place, pour pouvoir obtenir leur investiture.
Le Parlement Français deviendra une chambre d’enregistrement sans contestation possible.
D’autre part, plusieurs médias et journalistes commencent être inquiétés quand à leur avenir. Par exemple Natacha Polony, Olivier Delamarche, RTen francais, Sputnik.fr
« Les pays arabes sunnites… savent en outre que les Etats-Unis n’ont plus besoin d’eux pour s’approvisionner en énergie. » Il y a plus de 10 ans que j’espérais entendre ça, confirmé d’ailleurs lorsque l’Arabie saoudite a fait état de ses préoccupations concernant son avenir post-pétrole lors du voyage du Président Trump.
Et laa découverte de sources d’énergie par Israël il y a 2 ou 3 ans, c’est la cerise sur le gâteau !
@Guy Millière: un grand merci!
Vos explications sur la stratégie de Trump nous donnent à boire du petit lait.
en plus elles nous rendent intelligents car elles sont claires et concises.
Espérons que Abbas sera bien bloqué; il ne mérite rien de mieux, le Qatar, Erdogan et l’Iran, non plus.
Le pire, c’est la politique de Macron, type “Frères Musulmans” qui risque de glisser sur une peau de banane; cela risque d’être assez jouissif, de l’extérieur
Merci pour cette analyse documentée.
Il est évident que ce nulle part sur nos médias francophones nous ne trouvons d’équivalent.
Reste donc à chacun de faire son propre travail d’analyse critique et de recoupement avec d’autres sources.
Outre le port en eau profonde de Tartous et la base de Lattakié, il me semble qu’avec la Crimée et le conflit Ukrainien, Trump dispose également de munitions pour pouvoir “dialoguer” dans de bonnes conditions avec Poutine.
Les Européens doivent bien s’en rendre compte. Mais là encore leurs initiatives pour tirer l’Ukraine vers l’UE n’est peut-être pas le ticket gagnant… Ils affaiblissent et contrarient Poutine et en faisant cela facilite le travail à Trump dans son rapport à la Russie.
La cohérence de la politique de l’UE (si il y en à une) est difficile à cerner…
Mais le point conjoncturel le plus important me semble se situer dans la peur palpable des Saoud qui se sentent menacés jusque sur leur pas de porte au Yemen et par les avancées et triomphes des enturbannées de Téhéran sous la présidence Obama. Les signes de faiblesses sont craints comme nulle part. C’est que dans les pays musulmans, les prétendants aux coups d’Etat et aux coups fourrés, tapis dans l’ombre, ne sont jamais très loin. Les grandes manifestations de fraternité sont le plus souvent l’expression culturelle d’un vaste théâtre surjoué fait de rapports occultes et d’alliances secrètes.
Aussi, Trump ne pourra pas faire l’économie d’une autre raclée, définitive celle-là, à mettre à l’ISIS en Afghanistan, et cette fois-ci en “vitrifiant” la zone si possible !!
http://www.lefigaro.fr/international/2017/06/16/01003-20170616ARTFIG00148-daech-s-empare-de-la-forteresse-afghane-de-ben-laden.php
Le redécoupage de la Syrie et de l’Irak risque d’être une catastrophe. Cette obsession des USA de faire exploser les pays pour les morceler sur des critères “ethniques a déjà été appliqué à la Yougoslavie. On a vu le résultat : guerre civile et purification ethnique suivies d’un bombardement massif de la Serbie. Avec à la clé la création d’une enclave islamo mafieuse au Kosovo et la création d’un confetti (le Monténégro).
J’espère que la solution “Trump” s’orientera à terme vers un maintien des frontières actuelles. Certes elles sont artificielles… mais pas plus que celles des USA !
Faire éclater les frontières de Syrie et d’Irak puis aider les palestiniens à si installer résoudrait partiellement le danger démographique arabo-musulman d’Israel.
Par ailleurs, Israel devrait faire voter une loi israélienne limitant la présence de non juifs à 20/25% de la population, tout en mettant la bride aux ultra religieux.
Merci Mr Millière. Si cette stratégie est réelle, elle est brillante et a le mérite 1 – de faire avancer le problème kurde ce qui est un impératif de minimum pour la stabilité du Moyen-Orient. 2 – de calmer un des grands foyers de l’islamisme que représentent les Frères musulmans. 3 – de pactiser avec les autorités sunnites seules capables d’écraser l’idéologie islamiste, de l’intérieur si je puis dire. Celle-ci étant bien l’objectif ultime.
Mais je me pose deux questions : Quelle preuve avons-nous que cette stratégie est bien celle de Trump (ce n’est pas parce qu’elle paraît brillante qu’elle existe) ?. Pourquoi l’Iran serait-il un plus grand ennemi que le wahhabisme qui alimente l’idéologie islamiste ?
Et je me fais deux remarques : Cette stratégie représente un pacte avec le diable (sunnite) au détriment d’un malheureux bouc émissaire (chiite). Peut-on demander au diable de ne plus faire le diable ? Car enfin, c’est bien l’Arabie Saoudite qui finance l’islamisme dans le monde entier !
Rectification dans mon précédent commentaire, en fin de premier paragraphe, il faut remplacer “Celle-ci étant” par “Ce qui est”. En effet, c’est bien l’écrasement d’une idéologie dont il est question.