Publié par Thierry Ferjeux Michaud-Nérard le 6 août 2017

 

“L’affaire Bettencourt : une expertise très particulière menée à la hussarde au petit jour”. Bernard Debré évoque dans Points de vue Santé le cas d’un “médecin très particulier”.

L’affaire Bettencourt n’a pas fini de poser un certain nombre de questions. Liliane Bettencourt a été considérée comme incapable de prendre une décision à la suite d’une expertise en 2011. Cette expertise a été diligentée par le juge Gentil et effectuée par le Professeur Gromb qui est médecin légiste (et non pas psychiatre). Comme le démontre Le Parisien, l’expertise a été menée “à la hussarde” en 2011 par le Pr Gromb avec le juge Gentil, dans la chambre de Liliane Bettencourt, “avant même qu’elle ne soit véritablement réveillée”. Cette expertise datée de 2011 affirme que Liliane Bettencourt était déjà en situation de faiblesse en 2006.

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C’est la première fois que je vois une expertise rétrospective, ce qui a étonné de nombreux médecins.

⇒ Lu dans la presse : “L’expertise judiciaire, la toute première réalisée, a été au cœur d’une polémique.

“Une IRM cérébrale avait pourtant été prescrite par le neurologue de Madame Bettencourt et avait conclu que cette dernière n’était pas en état de faiblesse en 2010… La pierre angulaire de cette “opération Bettencourt” (menée rapidement “à la hussarde et au petit jour” laisse) “perplexe devant cet acharnement”, des connivences fortes entre le juge et l’expert, ces “conflits d’intérêts” n’ayant pas été notés dans le procès-verbal de l’expertise ou par le juge. Il s’agit d’une situation “particulièrement ambiguë et néfaste”

La défense a dénoncé la partialité des examens menés par le Dr Gromb, proche du juge Gentil et témoin à son mariage. Malgré cela, la Cour de cassation avait finalement validé l’expertise.

Cette situation laisse planer un doute terrible sur les conditions et donc sur la valeur de l’expertise.

Rappel du code de déontologie médicale :

  • Article 33 (article R.4127-33 du code de la santé publique) – Diagnostic :

Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés“.

“La démarche diagnostique est un temps important dont la qualité conditionne toute la démarche du médecin et (qui conditionne souvent les suites qui seront données). Tout examen entraînant une sujétion, des contraintes ou des désagréments pour le patient, son opportunité doit être discutée préalablement, en évaluant le bénéfice qu’on peut en attendre au regard des contraintes qu’on impose au patient. Ce qui constitue une faute, c’est de ne pas chercher à faire le diagnostic “avec tout le soin nécessaire”, et de rester dans le vague en confiant au hasard” (les suites sur le plan de l’expertise, avec cette notion tellement étrange sur le plan médico-légal d’une soi-disant “démence” à un stade modéré !)

  • Article 35 (article R.4127-35 du code de la santé publique) – Information du patient :

Le médecin doit à la personne qu’il examine une information loyale, claire et appropriée sur son état, et les investigations qu’il propose. Tout au long de (l’expertise), il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension“.

“Le devoir d’information du patient a toujours été reconnu et la jurisprudence de la Cour de cassation l’a formulé, admettant qu’il découlait, implicitement mais nécessairement, de l’obligation d’obtenir du patient son consentement préalablement à toute intervention. Celui-ci ne pouvait être donné que si le patient avait reçu sur l’intervention envisagée une information “simple, approximative, intelligible et loyale” lui permettant de prendre une décision (quant à sa participation à l’expertise) en connaissance de cause.”

⇒ Lu dans la presse :

“Difficulté à dire son âge, son lieu de résidence ou à répondre à des questions sur son quotidien : cinq experts médicaux chargés d’examiner Liliane Bettencourt en 2011 ont dressé le portrait d’une femme aux facultés mentales “particulièrement diminuées” [à mesurer], souffrant d’une “démence” à un stade modéré”. [?]

Une “démence à un stade modéré”, si tant est qu’un tel diagnostic puisse jamais exister, ne peut pas être la justification d’une altération de ses facultés mentales ou corporelles ou d’un état de démence complet supprimant totalement sa capacité civile et la mettant dans l’incapacité de s’occuper de ses intérêts.

L’altération des facultés mentales ou corporelles doit être médicalement constatée pour décider une mesure de protection. Selon le principe de nullité des actes, un acte pourra être annulé “s’il est apporté la preuve” que l’auteur ne disposait plus de ses facultés de discernement, “au moment où l’acte a été réalisé”.

Dans leur rapport (conjoint) d’expertise médicale judiciaire, cinq praticiens – deux neurologues, un médecin ORL, un psychologue, sous la direction de Sophie Gromb, avaient estimé que la vulnérabilité de la vieille dame remontait à septembre 2006… la date retenue pour le début des faits d’abus de faiblesse… (lemonde.fr).

Voilà pourquoi on a compris que Liliane Bettencourt était une femme diminuée depuis 2006 !

Si on admet que la démence se caractérise par la perte des capacités cognitives et intellectuelles, une altération de la mémoire, un déficit des fonctions cognitives, des troubles du langage et des perturbations des capacités exécutives, on sait que les troubles de la conscience sont inconstants. Ces perturbations interfèrent avec le fonctionnement du sujet qui n’est plus en mesure de gérer les tâches de la vie quotidienne.

La première partie de l’expertise prend du temps et nécessite beaucoup de patience pour mettre la personne en confiance. Elle s’appuie sur les échelles d’évaluation permettant de mieux étudier les stades de la maladie. La règle de l’expertise, c’est d’abord la compréhension de ce que vit la personne, et ensuite une “évaluation judicieuse des capacités restantes”. Une bonne capacité de relation avec les proches permet de soulager le stress, ce qui fait que les compétences ignorées des experts permettent à la personne examinée d’apporter des solutions “assez satisfaisantes” au jour le jour.

Le harcèlement des questions différentes par des intervenants inconnus et des voix différentes, subi par une personne qui entend mal, où chacun cherche à justifier sa participation aux honoraires d’expertise, peut mettre gravement en difficulté la personne examinée et même la déstabiliser complètement

Une observation pertinente doit se poser les bonnes questions :

  • La personne examinée est-elle réellement incapable de s’exprimer valablement ?
  • Est-ce que la personne examinée réagit à une cause externe, c’est-à-dire à une situation de stress provoquée par un environnement inconnu et complexe, peuplé d’étrangers ?
  • La personne examinée est-elle capable de réussir à maîtriser ces éléments étrangers ?
  • Les exigences sur le plan physique et psychologique de cette expertise réalisée au lever du jour dépassent-elles ses capacités d’adaptation à un environnement trop complexe et peuplé d’étrangers ?
  • Cet environnement trop complexe et peuplé d’étrangers est-il vécu comme hostile ?

Le harcèlement des questions différentes par des intervenants inconnus et des voix différentes, subi par une personne qui entend mal, où chacun cherche à justifier sa participation aux honoraires d’expertise, peut mettre gravement en difficulté la personne examinée et même la déstabiliser complètement, une fois placée dans un environnement inconnu, beaucoup trop complexe et surtout peuplé d’étrangers rébarbatifs.

⇒ Lu sur lemonde.fr, le récit des conditions particulières de l’expertise jugée partiales par la défense :

Liliane Bettencourt, une femme diminuée depuis 2006. Cinq experts médicaux chargés d’examiner Liliane Bettencourt en 2011 ont dressé le portrait d’une femme aux facultés mentales particulièrement [?] diminuées, souffrant d’une “démence” à un stade modéré [?]. Deux neurologues, un ORL, un psychologue, placés sous la direction de la médecin légiste Sophie Gromb, s’étaient rendus le 7 juin 2011 au domicile de Liliane Bettencourt, alors âgée de 88 ans, à la demande du juge d’instruction Gentil. Dans leur rapport, les cinq praticiens avaient estimé que la vulnérabilité de la vieille dame remontait à septembre 2006 [où sont les preuves médico-légales ?], date retenue pour le début des faits d’abus de faiblesse…

“La chute de la vieille dame en Espagne, à cette époque [?], marque le début des troubles les plus apparents”, a rappelé la neurologue Auriacombe, indiquant que l’expertise a conclu que Liliane Bettencourt souffrait d’une “démence à un stade modérément sévère” [?], associant maladie d’Alzheimer et symptômes de troubles vasculaires. Elle souffrait de troubles cognitifsde l’orientation spatio-temporelle. [au saut du lit !]

L’ORL a évoqué une surdité sévère évolutive, avec une vitesse d’aggravation importante” [?].

La neurologue a fait état de la difficulté pour la vieille dame de comprendre une batterie de questions simples, sur elle-même ou sa vie du moment. Lorsque je lui demande quelle année nous sommes, elle a beaucoup de mal à comprendre ce que je veux lui dire [elle a une surdité sévère], tout comme sa difficulté à dire le lieu où elle se trouvait. Liliane Bettencourt était incapable de répéter trois mots qu’elle venait de lire ou de répondre sur son programme de la journée. Même difficulté devant le test très simple de vocabulaireselon le psychologue Daunizeau.

Selon le neurologue Dartigues, la discussion avec la personne pouvait avoir une certaine cohérence“… Selon le psychologue Daunizeau : “Une attitude qu’elle a dû peaufiner [?] tout au long de son existenceen raison de son statut [?] de fille unique promise à un avenir grandiose” [?] dans un univers tout à fait à part” [?]. [Bravo, le psychologue !]

Il est plausible d’imaginer[encore bravo, le psychologue !] que si elle a l’initiative de la conversation, Liliane Bettencourt pouvait tout à fait abuser son interlocuteur… Voilà pourquoi il est plausible d’imaginer” que Liliane Bettencourt soit atteinte de “démence” à un stade modéré [?]. L’expertise a été au cœur d’une polémique, la défense dénonçant la partialité des examens menés par le docteur Gromb, proche du juge Gentil pour avoir été témoin à son mariage.

⇒ Lu sur Atlantico :

L’idée qu’une personne atteinte de démence ne peut plus prendre aucune décision par elle-même est très répandue. Est-ce vraiment le cas ? Philippe Hedin est le directeur d’une association d’aide aux personnes dépendantes : “Une personne démente ne perd pas toutes ses facultés décisionnelles (à tout moment et) en tout à cas jusqu’à un certain stade.”

Il est important d’en tenir compte et ne pas décréter qu’elle est devenue incapable.” Bien au contraire, lui demander son avis, l’associer, contribuera à maintenir des capacités. Ses goûts, ses envies, ses refus sont à prendre en compte. “Il faut tenir compte du fait que la personne conserve des moments de lucidité”. Il faut maintenir ses capacités, ses compétences, et surtout ne pas la mettre en situation d’échec. Ne pas la réduire à la maladie (présupposée), mais la considérer comme une personne (capable de participer à l’expertise).

Pourquoi est-il si compliqué de concevoir que la démence n’empêche pas les moments de lucidité ?” Il y a des personnes qui peuvent donner l’impression qu’elles sont toujours capables de raisonner et qui vont “faire illusion”. D’autres ont des moments de conscience alternatifs. Il y a des moments où la personne est “déphasée”, et d’autres où elle est en phase avec son interlocuteur, pouvant discuter normalement.

En bref, l’expertise comporte un certain nombre de questions restées sans réponse :

  • Où sont “les preuves médico-légales” qui justifient le fait que la vulnérabilité de la vieille dame remonterait à septembre 2006, date retenue pour le début des faits d’abus de faiblesse ?
  • En quoi “la chute de la vieille dame en Espagne,” à cette époque “marque-t-elle le début des troubles les plus apparents” sur le plan strictement de la preuve médico-légale ?
  • En quoi des facultés mentales de la personne qui seraient “particulièrement diminuées” expliquent-elles seulement une “démence” à un stade “modéré” et une démence à un stade “modérément sévère” ?
  • En quoi le fait que le neurologue Dartigues note que la discussion avec Liliane Bettencourt pouvait avoir une certaine cohérence permet-il de dire au psychologue qu’elle pouvait “abuser” son interlocuteur ?
  • En quoi le fait que la discussion avec Liliane Bettencourt pouvait avoir une certaine cohérence permet-il au psychologue “d’imaginer” “une attitude qu’elle a dû peaufiner tout au long de son existence en raison de son “statut” de “fille unique promise à un avenir grandiose” dans un “univers tout à fait à part”, et qu’il “est plausible “d’imaginer” qu’elle “pouvait “tout à fait abuser” son interlocuteur”. (AFP).

Au total : malgré les contradictions étranges et les conditions très particulières de l’expertise menée “à la hussarde au petit jour” (Bernard Debré dans Points de vue Santé / Le Parisien), les juges n’ont pas pu ou n’ont pas voulu reprendre les conclusions du rapport très complet du Président de la 19e chambre du T.G.I. de Paris, Robert Barrot, intitulé : “La critique judiciaire des rapports d’expertise médicale…”

Selon le Président Robert Barrot, le principe de la critique des rapports d’expertise doit être “justifié à la fois sur le plan juridique et sur le plan technique”. Selon lui, “la critique (est) un esprit de vigilance et d’attention qui, lorsqu’un rapport d’expertise présente des anomalies, s’exprime par une contestation motivée”. Robert Barrot met en cause directement le raisonnement suivi par les experts dans leur rapport. C’est pourquoi les juges (et les avocats) doivent pouvoir “analyser le raisonnement des experts pour en détecter les failles“. La mission d’expertise ne demande pas seulement une “description” des signes cliniques éventuels, mais une “explication” claire et logique à propos du raisonnement suivi par les experts pour aboutir à des conclusions qui doivent découler directement et certainement des troubles cliniques constatés.

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C’est pourquoi les “explications” et les conclusions des experts doivent être considérées comme “une proposition soumise à la critique judiciaire”. Malgré cela, “la Cour de cassation a décidé de valider l’expertise médicale jugée partiale par la défense. À l’audience, les avocats sont revenus sur la validité du travail des experts, les accusant d’avoir privilégié certains documents tout en en délaissant d’autres. (lemonde.fr)

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Thierry-Ferjeux Michaud-Nérard pour Dreuz.info.

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