Publié par Magali Marc le 14 septembre 2017
Premier ministre Benjamin Netanyahu et le président argentin Mauricio Macri –
Photo credit: Avi Ohayon (GPO)

À l’occasion de la visite de Benyamin Netanyahou en Argentine, en Colombie et au Mexique ces jours-ci, le Dr Navon dresse un bilan des relations entre Israël et les pays de l’Amérique latine.

Pour les lecteurs de Dreuz, j’ai traduit ce texte d’Emmanuel Navon, publié dans le Times of Israel le 13 septembre.

Israël et l’Amérique latine: ce n’est pas si simple

La visite du Premier ministre Nétanyahou en Amérique latine est opportune et attendue depuis fort longtemps. En effet, il est surprenant qu’aucun Premier ministre israélien avant lui n’y ait effectué de visite officielle. Alors qu’Israël essaie de faire contrepoids à l’influence grandissante de l’Iran sur la scène internationale et d’empêcher la «majorité (anti-israélienne) automatique» aux Nations Unies, des efforts diplomatiques en Amérique latine sont nécessaires.

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L’Amérique latine a joué un rôle important dans la naissance d’Israël. Trois des onze pays qui ont constitué le Comité spécial des Nations Unies pour la Palestine (UNSCOP) étaient latino-américains (Guatemala, Pérou et Uruguay). Le représentant du Guatemala à l’UNSCOP était George Garcia Granados, un diplomate qui avait rencontré deux fois Menachem Begin en secret lorsque les Britanniques essayaient de le tuer. Granados a insisté pour que l’UNSCOP adopte la partition et qu’elle soit approuvée par l’Assemblée générale.

Le président de l’Assemblée générale au moment du vote sur la partition était Oswaldo Aranha du Brésil.

Tout comme Granados, Aranha avait également de fortes sympathies sionistes. Le vote sur la proposition de partition de l’UNSCOP devait avoir lieu le 27 novembre 1947. Au moment où le vote approchait, il était clair qu’il n’y avait pas de majorité pour approuver le partage. Il fallait plus de temps pour recueillir du soutien, en particulier dans les pays d’Amérique latine.

Aranha a eu une idée qui a sauvé la situation. Le 28 novembre étant le jour de Thanksgiving (NdT: Action de grâce aux États-Unis), il a fait valoir auprès des délégués qu’il serait injuste de garder les travailleurs américains à l’ONU. Il a donc suggéré de renouveler les débats et les votes sur la proposition de l’UNSCOP après Thanksgiving. Sa proposition a été acceptée, et les 48 heures supplémentaires ont permis à l’Agence juive de recueillir plus de soutien parmi les délégations des Nations Unies.

Au cours du vote, le soutien des pays d’Amérique latine fut essentiel. À l’Assemblée générale, 33 pays ont voté «oui», 13 ont voté «non» et 10 se sont abstenus. Sur les 33 votes «oui», 13 provenaient d’Amérique latine (soit 40%).

Malgré ce soutien diplomatique, ces bonnes relations ont été assombries par l’asile offert à d’anciens criminels nazis comme Adolph Eichmann, Klaus Barbie et Joseph Mengele par les gouvernements latino-américains.

Après qu’Israël ait capturé Eichmann en Argentine en 1960, le gouvernement argentin s’est plaint qu’Israël avait violé les règles diplomatiques, mais ne s’est jamais excusé d’avoir offert un refuge à Eichmann.

D’autres nazis ont vécu une vie paisible en Argentine et sont morts de vieillesse, tel qu’Erich Priebke décédé en octobre 2013 à 100 ans. Comme beaucoup d’autres nazis, il a eu une vie aisée dans la station de ski argentine de Bariloche, là où Joseph Mengele a passé son permis de conduite et où Erich Priebke a tenu une charcuterie. On disait que c’était la meilleure en ville, et les clients l’appelaient «la charcuterie nazie».

Alors que la plupart des pays d’Amérique latine avaient voté en faveur de la partition aux Nations Unies en 1947, leurs votes à l’Assemblée générale sont devenus défavorables à Israël à partir des années 1960.

En 1964, un groupe de pays du Tiers Monde (connu sous le nom de «Groupe des 77») a été formé à l’Assemblée générale. Les pays d’Amérique latine faisaient partie de ce bloc qui était très influencé par les membres arabes et musulmans. Pour Israël, l’Amérique latine était «perdue» diplomatiquement, même si elle demeurait importante économiquement en raison de ses réserves de pétrole.

Avec la «révolution» iranienne de 1979, Israël a perdu un important fournisseur de pétrole et les exportateurs de pétrole comme le Venezuela, le Mexique, le Brésil et l’Équateur sont devenus des alternatives convoitées.

L’Amérique latine est redevenue importante pour Israël diplomatiquement après la guerre de Yom Kippour en 1973.

En raison de l’embargo sur le pétrole, la plupart des pays africains ont rompu leurs relations diplomatiques avec Israël, tandis que l’Europe occidentale et le Japon se sont aplatis devant les revendications arabes.

Israël a tenté de contourner son isolement diplomatique en tirant parti de ses intérêts communs avec des régimes autoritaires. Dans le cas de l’Amérique latine, cette politique a consisté à vendre des armes aux pays anti-soviétiques et aux dictatures.

De tous les États d’Amérique latine, seul Cuba a rompu ses relations diplomatiques avec Israël après la guerre de Yom Kippour. L’Amérique latine est devenue le dernier bastion de la présence d’Israël dans le Tiers Monde après 1973 : Israël a été isolé de l’Afrique et n’avait pas de relations diplomatiques avec la Chine et l’Inde.

À part Cuba après 1959 et le Nicaragua après 1979, l’Amérique latine n’est pas devenue rouge pendant la Guerre froide.

Les États-Unis tenaient à empêcher qu’un effet domino communiste se manifeste dans ce qu’ils considéraient comme leur arrière-cour.

Au Chili, le socialiste Salvador Allende a été éliminé par la CIA peu de temps après son élection en 1973. Et les dictateurs latino-américains savaient qu’ils pouvaient compter sur les États-Unis pour garder à distance les rebelles communistes.

Pourtant, cette politique a été suspendue sous la présidence de Jimmy Carter (1977-1981). Carter a cessé de donner carte blanche aux dictateurs anti-communistes en Amérique latine en raison de leurs violations des droits de l’homme.

Ainsi, Carter a opposé son veto en 1977 à l’octroi d’un prêt à l’Argentine pour l’achat d’armes américaines. Israël a rempli le vide temporairement laissé par l’Amérique en devenant un important fournisseur d’armes pour la plupart des pays d’Amérique latine comme l’Argentine, l’Équateur, le Guatemala et le Honduras. En 1980, par exemple, Israël aurait fourni 80% du matériel militaire salvadorien.

Sauf en ce qui concerne le Nicaragua après la révolution sandiniste de 1979, tous les pays d’Amérique centrale ont acheté des armes en provenance d’Israël. Il s’agissait d’une relation gagnant-gagnant puisque l’Amérique latine avait besoin d’armes israéliennes et qu’Israël avait besoin du pétrole de l’Amérique latine (surtout après la révolution iranienne de 1979).

Les guérilleros communistes ont également eu des liens étroits avec l’OLP et avec des dirigeants arabes anti-occidentaux. Ainsi, les sandinistes, au Nicaragua, ont coopéré avec l’OLP depuis 1969 et ont bénéficié du soutien militaire et financier du dictateur libyen Muammar Kadhafi.

Ces dernières années, les relations entre Israël et l’Amérique latine ont été éclipsées par l’influence de l’Iran et du Hezbollah.

  • Le 18 juillet 1994, le centre communautaire juif de Buenos Aires a été bombardé, tuant 85 personnes. Il a été révélé en octobre 2006 que l’Iran avait ordonné le bombardement et que le Hezbollah l’avait exécuté.
  • En juin 2013, Alberto Nisman, procureur spécial de l’Argentine, a publié un rapport de 500 pages montrant que l’Iran avait construit un réseau en Argentine depuis 30 ans. Le rapport de Nisman a révélé que les activités de renseignement de l’Iran en Amérique latine sont menées directement par des fonctionnaires iraniens et par le Hezbollah.
  • Nisman a été retrouvé mort le 18 janvier 2015, quelques heures seulement avant de témoigner devant le Congrès. Nisman avait rédigé des mandats d’arrêt concernant la présidente Cristina Fernández de Kirchner pour sa complicité présumée dans la dissimulation du rôle de l’Iran et du Hezbollah dans le bombardement de 1994.

La présence du Hezbollah en Amérique latine augmente grâce à l’expansion des missions diplomatiques, des services secrets iraniens, de ses entreprises et de ses investissements. Le Hezbollah a commencé son infiltration de l’Amérique latine au milieu des années 1980, en établissant son premier bastion majeur dans la région des «Trois frontières», une zone refuge pour criminels et terroristes de toutes obédiences aux frontières de l’Argentine, du Brésil et du Paraguay.

À partir de cette base, au cœur de l’Amérique du Sud, le Hezbollah a mis en place des entreprises illicites pour financer ses opérations au Moyen-Orient et ailleurs dans le monde. Parmi les principales entreprises signalées par l’organisation figurent le blanchiment d’argent, la contrefaçon, le piratage et le trafic de drogue.

La zone des trois frontières constitue la source la plus importante de financement indépendant du Hezbollah. Le Hezbollah est entré en Amérique latine grâce à l’Iran, ce qui a renforcé ses liens avec le Vénézuéla, la Bolivie, l’Équateur et le Nicaragua.

L’ancienne présidente de l’Argentine, Cristina Kirchner, a développé des liens solides avec l’Iran. Son successeur et adversaire politique, Maurizio Macri (élu en décembre 2015), a rectifié la politique étrangère de l’Argentine. Il est bien disposé envers l’Occident et envers Israël, et Netanyahou a raison de bâtir une relation personnelle avec lui ainsi qu’avec d’autres dirigeants latino-américains partageant les mêmes idées.

C’est donc un bon moment pour ce voyage du Premier ministre en Amérique latine et cette initiative diplomatique est digne d’éloges.

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Reproduction autorisée avec la mention suivante : traduction, © Magali Marc (@magalimarc15) pour Dreuz.info.

* Le Dr Emmanuel Navon est un expert en relations internationales qui enseigne à l’Université de Tel-Aviv et au Centre interdisciplinaire Herzliya. Il est chercheur principal au Kohelet Policy Forum et analyste principal pour I24News

 

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