Publié par Gaia - Dreuz le 26 septembre 2017

Une ancienne collaboratrice de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a été entendue jeudi par les juges. Elle assure que sa supérieure de l’époque était “informée de tout”.

Les choses se compliquent pour Muriel Pénicaud sur le front judiciaire. Entendue jeudi pendant plus de six heures, l’ancienne directrice de la communication de Business France, Fabienne Bothy-Chesneau, est ressortie sous le statut de témoin assisté de son face-à-face avec les juges d’instruction Renaud Van Ruymbeke, Dominique Blanc et Charlotte Bilger.

Convoquée aux fins de mise en examen pour le délit de favoritisme, elle a convaincu les magistrats qu’elle n’avait été qu’une simple exécutante dans l’organisation de la French Tech Night à Las Vegas autour d’Emmanuel Macron en janvier 2016, qui intéresse la justice.

Selon nos sources, Fabienne ­Bothy-Chesneau a assuré sur ­procès-verbal que Muriel Pénicaud était “informée de tout”, contrairement à ce qu’assure la ministre depuis le déclenchement de l’affaire. La défense de l’ancienne chargée de communication a remis aux magistrats une pièce qui semble avoir fait pencher la balance en sa faveur. Il s’agit d’une “note relative aux délégations applicables au sein de Business France”. Daté du 23 avril 2015, le document détaille la différence entre les délégations de signature et les délégations de pouvoir au sein de l’organisme ­public. Il précise que la délégation de signature, attachée à une personne, “ne dessaisit pas le délégant de son pouvoir de décision ni de sa responsabilité”. En clair, Fabienne Bothy-Chesneau ne disposant que d’une délégation de signature, toutes ses actions engageaient bien la responsabilité de la directrice générale, Muriel Pénicaud… “C’est un fait indiscutable”, indique au JDD l’avocat de l’ex-dircom, Me Bruno Quentin, “parfaitement satisfait” de l’audition de jeudi.

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Une atmosphère “délétère et épuisante”

En début d’interrogatoire, Fabienne Bothy-Chesneau a été longuement interrogée sur l’ambiance de travail au sein de Business France, cet organisme dépendant du ministère des Finances dont le but est la promotion du made in France à l’étranger. Elle a décrit une atmosphère “pesante et lourde” et détaillé une série de conflits. Recrutée en mars 2015 par Muriel Pénicaud, Fabienne Bothy-Chesneau, venue du Trésor, s’attendait à travailler dans une ambiance sereine. Muriel Pénicaud lui apparaissait comme quelqu’un de chaleureux et de direct. Mais la directrice de la communication va déchanter et découvrir d’autres facettes de l’actuelle ­ministre du Travail.

D’entrée, explique-t-elle aux juges, Muriel Pénicaud ne “respecte pas ses engagements”. Sur 43 postes théoriques à la direction promotion et communication (dirigée par ­Fabienne Bothy-Chesneau), seuls 28 sont pourvus. Les renforts promis ne viendront jamais. Du coup, la charge de travail est “très lourde”, raconte l’ancienne directrice de la communication. Muriel Pénicaud est dépeinte comme ayant une “personnalité complexe” et difficile pour ses collaborateurs. Fabienne Bothy-Chesneau évoque “un management par le stress”, des employés “poussés à bout” et des cas de surmenage. “Une atmosphère délétère et épuisante pour les équipes”, a-t-elle résumé devant les juges.

Muriel, nous avons eu le cab Macron en ligne ce soir de 18 h 30 à 20 h…

Fabienne Bothy-Chesneau évoque dès juin 2015 un “premier clash” avec sa supérieure et une première période de grand surmenage. En septembre, après les vacances, rebelote. La directrice de la communication consulte des avocats en octobre pour négocier une rupture conventionnelle, estimant qu’elle ne pouvait plus “exercer correctement” sa mission. Une première date de départ est envisagée au 31 décembre 2015, elle sera repoussée au 31 janvier 2016. Cette chronologie a son importance puisqu’elle chevauche l’épisode de la soirée à Las Vegas du 6 janvier.

L’opération Vegas s’enclenche en urgence fin novembre 2015. Lors de l’audition de jeudi, il a longuement été question de l’e-mail daté du 20 novembre 2015 adressé par Julie Cannesan, l’adjointe de Fabienne Bothy-Chesneau, à Muriel Pénicaud elle-même. “Muriel, commence le mail, horodaté de 21 h 15. Nous avons eu le cab Macron en ligne ce soir de 18 h 30 à 20 h…”

S’ensuit un débriefing sur deux sujets, la présence du “M” (autrement dit : le ministre) à Davos et au CES, le Consumer Electronic Show, salon américain de l’innovation technologique à Las Vegas. Dans ce message du 20 novembre 2015, comme l’a révélé Le Monde en juillet, Julie Cannesan évoque en toutes lettres le budget “300 K euros”, ajoutant que “le Medef se propose de rechercher des sponsorings à hauteur de 65 K euros”.

L’opération couvrait trois prestations disctinctes

D’entrée, un tel budget (d’autant que finalement le Medef n’a rien apporté) aurait dû alerter : pour des opérations de ce genre excédant 207.000 euros, Business France se doit, pour respecter les règles de la commande publique, d’organiser un appel d’offres. Mais fin 2015, Havas sera mandaté sans la moindre mise en concurrence. Devant les juges, Fabienne Bothy-Chesneau a assuré qu’au sein de Business France “personne n’a évoqué la nécessité de mettre en place un appel d’offres”. Elle a également certifié qu’il n’avait jamais été envisagé d’inclure Las Vegas dans le contrat-cadre du programme Creative France pour lequel Havas avait déjà remporté un appel d’offres mi-2015… “La French Tech a toujours été une opération distincte”, a-t-elle déclaré.

Muriel Pénicaud a ­toujours eu le même ­niveau d’information que moi en ce qui concerne tous les aspects d’organisation de cette soirée

Interrogée par les magistrats sur le dépassement de seuil, la directrice de la communication s’est défendue en expliquant que l’opération couvrait en réalité trois prestations distinctes : la première pour “l’influence” autour de la soirée, la deuxième pour “l’organisation” proprement dite et une troisième pour les frais d’hébergement. Elle imagine donc que le budget global pouvait, divisé par trois, ne pas excéder le seuil tout en précisant qu’en interne, à l’époque, personne ne s’était posé la question. “Muriel Pénicaud a ­toujours eu le même ­niveau d’information que moi en ce qui concerne tous les aspects d’organisation de cette soirée”, a-t-elle martelé. Fabienne Bothy-Chesneau a été interrogée sur un autre de ses e-mails : celui du 15 décembre 2015, adressé à un cadre de Havas : “Nous travaillons dans des conditions difficiles et en mode urgence permanente, mais nous avons encore besoin de vous pour cette opération au CES […]. Je sais que vous voyez Julie ce midi, […] et ensuite MP, il faudrait dégager dix minutes sur ce sujet”, écrivait-elle, établissant un contact de “MP”, Muriel Pénicaud, avec Havas concernant Las Vegas.

Ce n’est pourtant qu’en ­février 2016, après coup, qu’un comptable de Business France a tiqué sur les factures de Havas et l’absence de mise en concurrence. Muriel Pénicaud a alors commandé un audit à l’agence Ernst & Young en assurant qu’elle découvrait le sujet. Devant les juges, Fabienne Bothy-Chesneau a estimé que cette attitude n’était “vraiment pas ­correcte”.

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Interrogée sur le cabinet Macron

Que vont désormais faire les trois magistrats? A ce stade, aucun cadre de Havas n’a été entendu. Selon les avocats de l’agence de communication, Mes Olivier Baratelli, Pierre Cornut-Gentille et Vincent Brenot, “toute cette opération à Las Vegas aurait parfaitement dû être prise en compte dans le cadre de l’appel d’offres Creative France, sans aucun problème”. Autres auditions prévisibles, celles de Julie Cannesan et d’Henri de Joux, le directeur financier de Business France. Restera le cas de Muriel Pénicaud elle-même. Sous quel statut l’actuelle ministre sera-t-elle convoquée? Témoin ­assisté ou mise en examen? A moins que les juges n’optent pour la mise en examen de Business France en tant que personne morale, ce qui éviterait à la ministre du Travail des poursuites directes et entraînerait inéluctablement sa démission… Dernière inconnue, des membres du cabinet Macron à Bercy seront-ils aussi convoqués, notamment Barbara Frugier, actuellement en poste à l’Elysée? Jeudi, face aux magistrats, Fabienne Bothy-Chesneau a assuré que le choix de Havas n’avait pas été imposé par le cabinet Macron.

Source : Lejdd.fr

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