Publié par Sidney Touati le 24 octobre 2017

Depuis 1870, la France perd toutes les guerres et quand elle l’emporte en 1918, elle est saignée à blanc. Le traumatisme subi par la nation tout entière est énorme.

(Cet article fait suite au précédent « Réflexions sur l’Europe post-nazie ».)

Après 1945, une étrange mécanique se met en route. On a le sentiment que les échelons du commandement sont imprégnés, pour des motifs divers et variés, par l’esprit qui a conduit à la défaite. Les décisions prises vont toutes dans le sens d’un affaiblissement du pays. Tout se passe comme si, à chaque échelon de responsabilité, chacun rivalisait dans la volonté de fuir les réalités ou de se soumettre à une sorte de force d’inertie négative.

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Le pli de la soumission. La fin de la conscience morale. L’épuration ratée

La défaite de juin 40 est un choc immense. Mais il y a plus grave que la défaite militaire. Il y a l’humiliante période de la collaboration avec l’occupant nazi.

Pendant quatre années toute la machine d’Etat, machine économique comprise, fonctionne dans une sorte de soumission active à la plus grande entreprise criminelle de tous les temps.

Elmar Michel, responsable de la politique économique en zone occupée écrit :

« On peut constater que la collaboration a conduit, sur le plan économique, durant les quatre années d’occupation, à l’intégration plus ou moins complète de l’économie française dans une économie de guerre européenne se trouvant sous la direction de l’Allemagne. »

La France est condamnée au paiement d’une indemnité exorbitante de 400 millions de francs par jour, plus d’éventuelles pénalités, au titre des frais d’occupation.

Vichy et les différentes administrations participent à cet immense hold-up.

Pourtant, la totalité du personnel de la fonction publique qui se met au service de l’Allemagne via le Maréchal et Vichy, a été formée sous la 3ème République. Les valeurs au nom desquelles l’Etat a été construit, sont perdues. La représentation parlementaire s’est volontairement sabordée. Seule la mécanique du commandement/soumission perdure. Une grande partie des décideurs ont perdu leur âme.

Le statut des Juifs adopté dès les premiers jours du régime, ses conséquences atroces, ont pour effet de faire de toute la machinerie d’Etat les complices du plus grand des crimes : l’extermination méthodique d’un peuple. Ils sont nombreux à tirer profit du nouveau régime. Jean Paul Sartre récupère le poste laissé vacant par un professeur Juif exclu de la fonction publique ; il est nommé à la rentrée de 1941 au lycée Condorcet.

Cela ne lui pose apparemment, aucun problème de conscience. Pas plus que le vol des biens juifs, baptisé « aryanisation » ne pose problème à ceux qui en profitent avec la bénédiction des autorités et l’aval de la « Justice ».

De l’instituteur qui signifie à l’élève Lévy qu’il est exclu de l’école, aux fonctionnaires des impôts qui saignent le peuple pour satisfaire aux demandes du Reich, en passant pas les membres du conseil d’Etat ou de la Cour de Cassation qui appliquent avec conscience les lois scélérates, chacun à son niveau participe à la monstrueuse machine nazie. Police et justice acceptent d’appliquer les décrets-lois rétroactifs du ministre de l’intérieur Pucheu, décrets destinés à faire condamner des innocents, Juifs pour la plupart.

L’expression la plus pathétique de cette atonie morale est à rechercher du côté de ces gendarmes français chargés de garder les camps où sont parqués des milliers d’enfants Juifs.

Ils appellent cela faire « leur travail ». Ils gardent des enfants abandonnés à eux-mêmes en attendant de les envoyer vers les chambres à gaz. Jean Toussaint Desanti raconte : « Ils ne criaient pas, ce matin de 1942, les enfants juifs. Ils ne pleuraient pas. Ils attendaient simplement, entourés et gardés. Ils étaient là, c’est tout. Ils ne cherchaient aucun secours de ceux qui passaient. ». Etrange et tragique métamorphose qui fait d’un bon père de famille un tortionnaire à statut, payé par l’Etat Français.

Il est bon de rappeler que tous les fonctionnaires doivent personnellement faire allégeance au régime et prêter serment au Maréchal.

Personne ne demandera des comptes à ces fonctionnaires, à ces « bourreaux ordinaires ». Personne ne posera la question : pourquoi avez-vous fait cela ? Comment avez-vous pu vous rendre les complices actifs du crime organisé ?

Comment est-on parvenu à neutraliser voire à détruire chez ces fonctionnaires, la notion du bien et du mal dans l’accomplissement de leur sinistre mission ? Le nœud du problème est dans cette question. Question qui ne sera jamais posée. C’est à ces fonctionnaires que l’on confiera le soin, à la Libération, d’administrer la France. Il ne suffit pas de crier « vive de Gaulle » pour être libéré du traumatisme de juin 40 et être délivré de tout ce qui a été fait pendant plus de quatre années.

En 1945, on se contentera de débarrasser le pays de la « poignée de misérables et d’indignes, dont l’Etat fait et fera justice » (message radio du général de Gaulle du 14 octobre 1944). La messe est dite. Qu’importe si la machine d’Etat se met au service du nouveau régime comme elle s’était mise au service des nazis ; comme si le sinistre épisode de Vichy ne concernait ni la France, ni les Français car ajoute le général dans le même discours : « l’immense majorité d’entre nous furent et sont des Français de bonne foi ».

Pas la moindre réflexion sur les causes de ce naufrage national.

Les grands procès des plus hauts responsables auraient pu être l’occasion d’un examen et d’une prise de conscience collective des causes de la débâcle et de la honteuse Collaboration.

Pourquoi les élus du peuple se sont-ils sabordés en 40 ? Pourquoi les grands corps de l’Etat qui devaient être théoriquement les garants de l’ordre républicain ont-ils collaboré ? Pourquoi les plus hauts magistrats ont-ils accepté d’appliquer des lois qui étaient la négation de tous les principes fondamentaux du droit issus de l’héritage des Lumières et de la Révolution Française ? Durant toutes ces longues années, dans la magistrature, un seul juge a démissionné. Un seul. Le « petit juge » Didier envoie sa démission. Il écrit : il m’est impossible d’appliquer des lois contraires aux principes que mes maîtres m’ont enseignés. Chez ce magistrat, la rétroactivité des lois est un monstre. Pourquoi la conscience morale a-t-elle joué chez cet homme « ordinaire » et si peu ou pas du tout chez les autres ?

Son buste devrait figurer dans tous les palais de justice.

La question de la dérive criminelle des grands corps de l’Etat n’est pas posée. Elle ne pouvait l’être dès lors que les juges appelés à examiner les « collabos » étaient les mêmes que ceux qui jugeaient les « résistants » et autres opposants au régime.

Les fonctionnaires qui ont contribué à l’asservissement et à l’exploitation du peuple, sont les mêmes que ceux qui appliqueront le programme de la « Résistance ».

Même police, même administration fiscale, même justice… Pas étonnant que la démarche de la France libérée consistera à se re-construire sur un mythe, pour ne pas dire sur un mensonge, celui d’une France résistante, glorieuse et donc, corollaire de ce mensonge, faire taire les déportés, oublier les camps de la mort ; occulter leur calvaire. Il faudra qu’ils attendent longtemps avant que leur parole ne soit prise en compte.

Se comportant en véritable chef mafieux, Pétain ne dira pas un mot durant son procès. Il laisse un jeune avocat parler à sa place. Ce silence lui permettra de sauver sa tête. Condamné à mort, il ne sera pas exécuté.


Laval qui souhaitait parler sera fusillé sans avoir été questionné.

On avait honte. On avait hâte de tourner la page. On a recouvert avec le voile purificateur de la « Résistance » la montagne de crimes dans laquelle la France s’était vautrée pendant quatre longues années. On a coupé quelques têtes, sans toucher aux institutions.

Les machines bureaucratiques sont restées intactes

On a pris les mêmes et on a continué. Car s’il y a par certains aspects rupture, cette rupture n’est qu’apparente. Dans les soubassements de la société, il y a une étonnante continuité entre la 3ème République, l’Etat Français (Vichy), la 4ème République et au-delà. René Bousquet est l’exemple type de cette continuité des hommes et des appareils d’Etat sous les différents gouvernements et républiques. Brillante carrière sous la 3ème République ; secrétaire général de la police de Vichy, il sera l’organisateur de la grande rafle du Vélodrome d’Hiver, directement responsable de la déportation de 60 000 juifs de France. Cela ne l’empêchera nullement de faire une brillante carrière après la guerre, occupant de très hautes fonctions et d’être un proche du Président Mitterrand que ce dernier protègera lorsqu’il fera l’objet de plaintes et de poursuites pénales.

Que se passe-t-il lorsqu’une nation agit sous l’emprise d’un traumatisme non élucidé ?

Elle répète, elle décline sous différentes formes la situation traumatique.

Une histoire non comprise est une histoire qui se reproduit.

L’histoire de la France depuis 1945 est commandée par ce sinistre mécanisme de la répétition. Elle fait penser à une sorte de disque rayé qui revient inlassablement à la case départ.

Tous ceux qui tenteront de faire prendre au pays un autre chemin que celui du déclin, seront rapidement éliminés, tel Mendes-France.

Chaque grand moment de l’histoire de la France d’après guerre, sera l’expression de cette répétition traumatique provoquée par l’effondrement de juin 40 : la décolonisation ratée, mai 68, la construction européenne, l’immigration-intégration ratée. Jusque dans le détail s’affiche partout et toujours le retour à Vichy.

L’esprit de Vichy, l’esprit de la capitulation est présent partout

Et tout d’abord le refus d’informer les masses, l’absence de débats en un mot l’impossibilité qu’ont les citoyens d’accéder au vrai dont le grand historien Marc Bloch disait qu’il constituait l’une des caractéristiques de l’hitlérisme. 

« L’hitlérisme refuse à ses foules tout accès au vrai. Il remplace la persuasion par la suggestion émotive. »

L’écologie politique et les peurs qu’elle véhicule n’est-elle pas la résurgence du retour à la terre prôné par le maréchal ? L’extension continue du domaine de la bureaucratie…l’écrasement du monde du travail et de la production sous un déluge de taxes, impôts et autres prélèvements obligatoires…l’inflation des lois et décrets…la rupture entre la caste des « élites » et le peuple…ne sont-ils pas constitutifs du syndrome de Vichy pour qui faire une loi c’est résoudre un problème et cacher la vérité, une méthode de gouvernement ?

C’est ainsi que la construction européenne s’est faite dans le dos des peuples

Le plus grave est qu’à force de garder pour soi la vérité, les « élites » elles-mêmes ont perdu le goût de sa recherche. Elles détiennent le vrai comme elles occupent un poste ou jouissent de privilèges. Elles ne s’interrogent plus. Ne doutent plus. Il suffit d’ouvrir les grands journaux d’information qu’ils soient écrits ou audio-visuels, pour mesurer le vide sidéral dans lequel ils évoluent. Comme sous Vichy, dire la vérité se résume à la dérisoire dénonciation d’une personne et la formulation de lieux communs et d’une vérité convenue. La délation et la calomnie sont devenues les formes privilégiées de cette information-propagande-spectacle, axes majeurs de l’art de gouverner. C’est ainsi que les officines comparables à « je suis partout » tiennent le haut du pavé ; que la politique est réduite aux faits divers crapuleux ; que la justice devient l’auxiliaire et le complice de ces manœuvres délétères au lieu de se tenir à l’écart de ce marécage nauséeux.

Nous verrons dans les articles suivants que jusque dans le détail, la France, à chaque crise, décline une nouvelle version du sinistre Juin 40 pour aboutir in fine, au triomphe de l’Allemagne et à la soumission-défaite de la France.

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