Publié par Mireille Vallette le 18 janvier 2018

Le député de gauche genevois défend avec force la laïcité, condamne les tenants du littéralisme et est convaincu que les musulmans vont faire évoluer l’islam.

Pierre Gauthier est député. Il se représente au Grand Conseil genevois ce printemps. Il a appartenu longtemps à l’extrême gauche, mais des désaccords portant en particulier sur la laïcité et le communautarisme, l’on conduit à créer un nouveau parti, le Parti radical de gauche. Il s’est singularisé en prenant des positions résolues contre l’intégrisme et ses prosélytes. La chose est suffisamment rare à gauche pour titiller la curiosité.
Pourquoi, comment, jusqu’où la lutte contre les islamistes ? Interview.

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Qu’est-ce pour vous que la laïcité et doit-on accoler à ce terme des qualificatifs tels qu’inclusive ou ouverte ?

La laïcité, selon la définition du dictionnaire, c’est la séparation des Églises et de l’État, la non-ingérence des uns dans les affaires des autres. Ce n’est pas une religion, pas une philosophie, c’est un principe d’organisation de l’État. Le reste est littérature. Il n’y a pas de laïcité ouverte, fermée, rigide, dure, molle, gentille, méchante. Ce n’est pas un plat sur un menu, comme les tripes milanaises ou à la mode de Caen. Et tous les citoyens sont égaux devant la loi, sans privilège ni discrimination. C’est très simple.

Comment expliquer que la gauche ne se retrouve pas dans cette approche ?

Pour des raisons électoralistes. La gauche s’est imaginé qu’en accordant des droits civiques aux personnes immigrées de nationalité étrangère, elles allaient par reconnaissance voter pour elle. Je suis atterré par cette gauche, ma famille politique, qui imagine qu’en accordant des droits spécifiques aux intégristes, elle va gagner cet électorat… C’est stupide.

La gauche n’a-t-elle pas aussi tendance à considérer les musulmans comme les nouvelles victimes, un nouveau prolétariat ?

C’est vrai. Depuis le 19e siècle jusqu’aux 30 glorieuses, la gauche a considéré la société selon la grille du conflit de classes. Aujourd’hui, elle imagine que l’immigrant devient le prolétaire, et donc l’exploité. La gauche pense de plus que l’appartenance à une tradition religieuse différente fait appartenir la personne immigrée à cette catégorie des défavorisés. C’est illusoire et mensonger… Contrairement à la France, où une immigration s’est cristallisée dans les banlieues, les cités, etc. Là, c’est le manque de développement, d’action sociale qui constitue le problème. Mais la situation française n’a rien à voir avec la situation genevoise. On ne peut pas imaginer ici La Courneuve ou Trappes. En revanche, à Genève, nous sommes confrontés à un phénomène très inquiétant, la résurgence de l’islam politique.

Existe-t-il un islam non politique, qui n’est pas intimement lié au politique ?

C’est le problème. La religion musulmane n’a pas encore fait l’évolution du judaïsme et du christianisme. Ces religions, surtout le christianisme, n’étaient pas d’accord avec la loi de Séparation de 1907. Aujourd’hui, elles la défendent. Elles se rendent compte que c’est une loi de liberté. L’islam, ou plutôt les islams n’ont pas encore fait cette évolution, parce que la tradition est différente, parce que le temps n’a pas fait son œuvre. Je pense que les islams vont faire cette évolution au contact de la société occidentale.

Pour l’instant, c’est le contraire que l’on observe…

Je pense tout de même profondément que, de même que la religion chrétienne a passé d’une lecture littérale à une lecture symbolique de ses textes fondamentaux, les islams feront la même chose… Entre le VIIIe et le XIIIe siècle existait le courant des mutazilites, des rationalistes. Ils se sont fait balayer par le sunnisme. Mais du fait que l’islam est apparu avec sept siècles de retard par rapport au christianisme, il faut lui donner un peu de temps. Il y avait beaucoup de Corans jusqu’à ce qu’UN Coran soit désigné comme le vrai. C’est un peu pareil avec les Évangiles apocryphes, les différentes interprétations de la Bible. Les islams vont suivre ce chemin et passer de la lecture littérale à la lecture symbolique.

Je ne connais aucune mosquée qui a fait ce passage.

Les musulmans ici en Suisse sont comme les catholiques ou les protestants selon l’étude récemment faite par Saïda Keller-Messahli : entre 80 et 85 pour cent ne pratiquent pas régulièrement et seuls 10 à 15 % fréquentent les mosquées. Le problème, c’est que ces mosquées sont dans leur immense majorité entre les mains de prédicateurs d’obédience salafiste. C’est comme si tous les temples et toutes les paroisses catholiques étaient aux mains d’Ecône. Et encore, les gens d’Ecône sont bien gentils par rapport à des intégristes comme Ramadan ou Blancho. Il existe une profonde divergence entre la masse des musulmans et cette engeance maléfique et selon moi ultra minoritaire qui est à la solde d’une idéologie régressive, machiste, misogyne, islamophobe…

Cette grande masse semble vous rassurer. Mais à quoi sert-elle ? Elle ne se bat pas du tout contre cette minorité qui fait avancer le radicalisme.

Cette ultra minorité intégriste, littéraliste, donc salafiste, Frères musulmans, etc. a la mainmise sur les lieux de culte et distille une idéologie en totale opposition avec nos principes fondamentaux de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité, etc. Par paresse, par couardise, par anémie intellectuelle, certains partis politiques imaginent que ces prédicateurs et leurs membres sont les représentants des musulmans. C’est là que ça devient hallucinant. C’est comme si on disait : «ce sont les intégristes catholiques qui sont les représentants des catholiques». Or, l’État dit aux musulmans : «Ces extrémistes vous représentent.» Par exemple, alors que le Bureau de l’intégration est laïque, Pierre Maudet, président de la sécurité, mandate son délégué pour aller présenter ses hommages à l’UOMG, l’Union des organisations musulmanes de Genève dirigée par Hani Ramadan. L’État n’a pas à donner une caution de respectabilité à ces personnes qui s’arrogent abusivement la représentation des musulmans, à des gens qui prônent la lapidation, l’enfermement des femmes dans des sacs poubelle, etc.

Toutes les communautés sont opposées à l’interdiction de l’enfermement des femmes sous un niqab (ou burqa).

Bien sûr. Et ce contre quoi je m’élève, c’est qu’on donne à ce pseudo-clergé une respectabilité qu’il n’a pas. Ils disent par exemple : «Les femmes ont le droit de s’habiller comme elles veulent… C’est mon droit, c’est mon choix», comme cette clique des Indigènes de la République en France, ou la dernière pantalonnade des Verts avec la présence sur leur liste d’une femme voilée… Le voile islamiste n’est pas une obligation religieuse. L’université d’Al-Azhar vient de le rappeler.

Mais Al-Azhar dit tout et son contraire…

Personnellement, après avoir beaucoup lu sur ce sujet, j’estime que le port du voile n’est pas une obligation de même que les femmes chrétiennes n’ont pas l’obligation de porter un fichu sur la tête. Et pourtant quand j’étais enfant, ni ma mère, ni ma sœur n’entraient à l’église sans se couvrir les cheveux.

Cette idée que le foulard serait une tradition chrétienne est une absurdité. D’autant que les musulmanes portent leur foulard toute la journée, et si possible partout.

Revenons-en à la case laïcité. Dans la rue, les gens s’habillent comme ils veulent. De même, un usager d’un service public peut manifester ce qu’il veut. Mais pas l’agent de l’Etat. Pour celui-ci : ni croix, ni voile, ni kippa. Vous tenez le guichet de l’administration fiscale ? Vous n’avez pas le droit de vous trimbaler avec une croix gigantesque sur le corps (rires).
De plus, le voile islamiste a une signification, il signifie que les femmes seraient des êtres mineurs qui n’auraient que des demi-droits et qui devraient dissimuler leur corps aux hommes sinon, ces derniers seraient libres de les violer à leur guise. On ne peut pas dire : je porte des chaînes parce que je suis contre l’esclavage. Les gens de la gauche capitularde ne veulent pas voir le symbole. Ils disent «c’est un bout de tissu». Mais alors, pourquoi ces intégristes musulmans lui accordent-ils tant d’importance ?

Malgré tout, dans la rue, le foulard ne vous pose pas de problème ?

Non, je m’en fiche complètement.

Et dans les entreprises ?

C’est du domaine privé. Elles doivent avoir le droit de réglementer comme elles le veulent.

Et le niqab ?

Dans ce cas, on peut légiférer pour restreindre un droit fondamental, et ceci pour une raison d’ordre public, de sécurité publique…

La question du symbole n’entre pas en matière ?

Non, je suis pour l’interdiction, mais au nom de la sécurité. Dans la rue, je ne vois pas pourquoi on interdirait un voile plus qu’une kippa ou le chapeau noir des orthodoxes.

Le foulard à l’école ?

J’y suis viscéralement opposé. L’école est censée développer le libre arbitre de l’élève, l’aider à décider souverainement de son choix –croyant, athée, agnostique, etc.– quand il arrivera à sa majorité. Si un enfant arrive à l’école revêtu d’un étendard qui dit : moi j’ai décidé d’appartenir à telle forme convictionnelle, il sera imperméable à toute autre évolution. Le voile –comme la kippa ou le T-shirt «Ni Dieu, ni Maître»– sont des signes d’obédience à une idéologie déjà fixée. Ça veut dire que l’école ne servira à rien. En revanche, à partir de 18 ans, les gens sont majeurs, ils font ce qu’ils veulent.
L’école est aussi un lieu d’égalité, notre parti va donc jusqu’à proposer de porter l’uniforme… quoique je n’aime pas ce terme.

A propos du voile à l’école, auriez-vous voté avec l’UDC en Valais ?

Oui, bien sûr. Sans problème. On est dans le cadre d’une démocratie directe ou semi-directe, donc laissons le peuple se déterminer. On va me dire «Ouais, t’es populiste…». Populiste est un mot stupide. Populiste, populaire, peuple, démocratie directe… La démocratie directe, c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de me faire naturaliser. La Suisse est un des rares pays où la population peut dire au politique je ne suis pas d’accord, vous avez tort ou voici ce qu’on aimerait. Même si… J’ai voté contre l’interdiction de minarets parce que je pense que ce n’est pas juste.

Mais les votants ont saisi cette occasion de dire stop à l’offensive de l’islam, la question des minarets était secondaire…

Oui, mais c’est mon côté tolérant, je ne veux pas assimiler le musulman lambda parfaitement intégré et l’ultra minorité agissante et pernicieuse, tenante de l’islam politique. Je ne peux pas accepter par exemple comme ça s’est produit, que des religieux organisent une rupture du jeune sur la voie publique, la fête de la Menorah ou des baptêmes symboliques aux Pâquis…

La Déclaration des droits humains garantit pourtant «la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites». Hani Ramadan le rappelle souvent.

Qu’est-ce que ça veut dire «en public» ? Une église n’est pas privée. Vous pouvez y entrer. Je peux aller au culte de Saint-Pierre, c’est un lieu public. Il ne s’agit pas de «pratiquer le culte», mais de «manifester sa religion».

Avez-vous réalisé que c’est une frange de jeunes qui partout en revient le plus dogmatiquement aux préceptes, aux rites, au Coran littéraliste et à l’idolâtrie de Mahomet ?

Comme travailleur social, j’ai beaucoup travaillé avec des jeunes. Ils ont besoin de rupture avec la génération précédente, de quelque chose qui les différencie, mais question islam, ils ont besoin en même temps, et c’est extrêmement troublant, de s’accrocher à cette fiction : «c’est ma culture». Ce n’est pas une culture, c’est une tradition. La culture libère et la traduction opprime. Quand on est dans la lecture littéraliste on est complètement dans l’erreur et quand on arrive à la lecture symbolique, on est dans une perspective philosophique.

Quels sont les livres qui vous ont marqué sur l’islam ?

Je n’ai pas lu le Coran in extenso, parce que ça me cassait les pieds, mais beaucoup de livres sur l’islam. Celui de Ibn Warrak «Pourquoi je ne suis pas musulman» est pour moi un livre fondateur. Et toute l’œuvre de Djemila Benhabib que je trouve formidable. Et Mohamed Sifaoui. Et bien d’autres.

 

Quand le ton monte…

Lorsqu’il s’énerve à propos d’une tribune libre d’un professeur d’éthique en faveur du burkini, Pierre Gauthier a un langage plus mordant. Sur le voile «et ses avatars», il parle d’une «idéologie violente, “régressiste”, intégriste, homophobe, antisémite, sexiste, misogyne, antirépublicaine, communautariste, obscurantiste, discriminatoire et liberticide [qui] est à la base des mouvements terroristes (Al Qaeda, Daesh, Frères musulmans, etc…)» Le burkini est même «un étendard justifiant le terrorisme». Et il critique les complices de «ce fascisme de la pire espèce».
Le programme de la Liste de gauche met l’accent majeur sur la laïcité. Pour le reste, il s’agit d’une gauche assez classique, très étatiste et prête à octroyer moult fonds et fonctionnaires afin d’aider la population modeste.

Mais ce qui m’a fait douchée, c’est cette revendication exprimée le plus naturellement du monde dans ce programme : «Tout citoyen a le droit au mariage et à l’adoption, ainsi qu’au droit de décider de son genre.»

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