Publié par Gilles William Goldnadel le 6 mars 2018
Maître William Goldnadel, le président de France-Israël et d’Avocats sans frontières, qui vient d’être élu au comité directeur du Conseil représentatif des institutions juives de France, pose ici, dans son cabinet parisien, à l’issue d’une interview du Figaro.

Le gouvernement polonais a fait voter en février par le parlement une loi visant à punir quiconque affirmerait que la Pologne a une responsabilité dans la Shoah. Gilles-William Goldnadel recommande de rester prudent sur ce sujet et de ne pas instrumentaliser la mémoire à des fins idéologiques.

Le 1er mars de cette année, les derniers Justes polonais encore vivants ont publié dans le Figaro à l’adresse des premiers ministres d’Israël et de Pologne et des présidents des parlements de ces deux pays un «Appel solennel des Justes polonais parmi les Nations du Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem.»

J’y reproduis ci-après son dernier paragraphe: «Nous «Justes parmi les Nations», mus par la vérité sur cette période de l’histoire gravée dans notre mémoire, nous demandons que l’on fasse preuve d’empathie et de pondération et que les législateurs se montrent sensibles, que les textes des médias soient responsables et que les études historiques bénéficient d’une réelle indépendance si l’on veut qu’elles contribuent à éclaircir ce qui réclame des éclaircissements. Choisissons le dialogue, comportons-nous de manière cordiale.». C’est peu d’écrire que cette adresse m’a touché et que j’entends la faire mienne.

Deux prises de position ont été publiées sur le sujet, et aucune des deux n’aura emporté ma conviction. Éric Zemmour tout d’abord a pris fait et cause pour le gouvernement polonais. Il observe que les Français sont mal placés pour donner des leçons, eux qui sont champions du monde de la production de loi mémorielle interdisant parfois la contestation.

À l’inverse, Benoit Raysky dans Atlantico le 15 fevrier charge sans ménagement Zemmour en lui reprochant sa coupable indifférence à l’antisémitisme polonais .

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Je n’ai pas l’habitude de vouloir asseoir forcément mon séant à équidistance entre deux chaises, la recherche systématique de la posture de confort n’étant pas mon fort. Mais je ne saurais souscrire aux deux thèses précitées. Ce n’est pas parce que la France a cru devoir effectivement dicter l’histoire par la loi qu’on est obligé de l’imiter. L’argument est insuffisant. Zemmour a de bonnes raisons de contester la loi de contestation du communiste Gayssot. Simone Veil n’y était pas non plus favorable, pas plus, modestement, que l’auteur de ces lignes. Ceci posé, la négation, chaque fois pour des raisons idéologiques, des génocides juif, arménien et vendéen pose problème. De même, on peut comprendre que le Parlement ait voulu honorer la mémoire des victimes de l’esclavage. Ce qui heurte avec raison, c’est le négationnisme par la conceptrice de la loi, Christiane Taubira, de la traite esclavagiste arabique, encore plus longue et cruelle que la traite occidentale, pour des raisons également idéologiques. Le fait que cet esclavage n’ait pas complètement disparu devrait être de nature à transformer l’amertume en colère. De même le mauvais traitement réservé aux historiens de cette mémoire-là, comme Olivier Pétré-Grenouilleau ou Jacques Heers. Dans ce cadre mémoriel compassionnel, on se demande aussi pourquoi on ne rendrait pas hommage aux millions de victimes du totalitarisme communiste. La méchante manière dont ont été traités les auteurs du Livre Noir du communisme, à commencer par Stéphane Courtois, permet, hélas, de répondre à la question.

Il n’en demeure pas moins que l’on peut parfaitement considérer que le gouvernement polonais a été bien mal inspiré de fulminer une loi mémorielle d’interdiction dans un domaine où la sensibilité extrême voisine avec l’extrême complexité.

On peut parfaitement comprendre et partager l’extrême courroux des Polonais de voir les camps d’extermination nazis en Pologne occupée appelés «camps polonais». Il n’en demeure pas moins que le projet va plus loin dans le désir d’interdire la contestation de la mémoire historique officiellement exaltée.

Même si je donne personnellement tort au gouvernement israélien d’avoir critiqué avec trop d’alacrité le projet d’un gouvernement polonais, par ailleurs très attentif aux problèmes existentiels de l’État juif, Éric Zemmour devrait davantage prendre en considération la lourde responsabilité polonaise à l’égard de la question juive. Il n’est en effet pas douteux que l’antisémitisme polonais était profondément ancré dans une bonne partie du peuple polonais catholique à l’égard du «peuple déicide».

Il était à la fois d’essence religieuse et identitaire, pour autant qu’on puisse, précisément dans ce pays, séparer les deux notions. Il préexistait avant la deuxième guerre mondiale. Il perdurera pendant la Shoah et en dépit d’elle. Les révoltés du ghetto de Varsovie ne purent pratiquement compter que sur eux-mêmes jusqu’à leur fin tragique. À la libération, les survivants juifs connurent encore un pogrom à Kielce. Et lors de la guerre des six jours, un antisionisme et un antisémitisme sans juifs, dont le communiste Moczar fût le serviteur le plus efficace, persuadèrent de nombreux survivants à quitter le pays.

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Ces faits sont ineffaçables de la mémoire juive.

Ceci lourdement posé, Benoît Raysky ne devrait pas oublier la terrible souffrance du peuple polonais catholique. La souffrance des enfants polonais catholiques morts eux aussi à Auschwitz des causes du nazisme allemand. La souffrance des Justes polonais qui ont sauvé des juifs au péril de leur vie.

Et ne pas être dupe non plus du fait que certains font leur miel de la polémique actuelle pour discréditer un gouvernement que la politique d’affirmation identitaire chrétienne et le refus de la migration massive révulsent foncièrement.

L’auteur de ces lignes a souvent écrit dans ces colonnes que le souvenir si douloureux de la Shoah ne devait ni servir d’outil de règlement de comptes politiques prosaïques ni d’instrumentalisation idéologique fantasmatique. Cette réflexion est valable pour la Pologne comme pour la France.

Au-delà de l’extrême complexité et de la sensibilité extrême, je veux demeurer ici dans le souvenir lumineux de Jan Karski à qui Claude Lanzmann aura rendu une éternelle justice.

Bourgeois polonais, empreint de préjugés – lui aussi – à l’origine, on le voit pleurer dans le film Shoah en se remémorant son impuissance à convaincre les autorités alliées – et parfois juives – de la réalité du drame en train de se jouer dans son pays.

Justes polonais, désirant «l’empathie et la pondération», soyez bénis.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Gilles-William Goldnadel. Publié avec l’aimable autorisation du Figaro Vox.

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