Les deux pleines pages consacrées par le Monde des Livres à l’historienne et essayiste Bat Ye’or, à l’occasion de la parution de son Autobiographie politique
*, auront au moins eu le mérite de faire connaître au lectorat du Monde, pain quotidien des élites françaises, l’existence des travaux de celle qui, depuis plusieurs décennies, a porté à la connaissance des lecteurs du monde entier des sujets aussi importants que Le Dhimmi
* (sujet de son deuxième livre, Le Dhimmi, paru aux éditions Anthropos en 1980), la condition des minorités juive et chrétienne en terre d’islam et les notions essentielles de djihad et de dhimmitude. A ce titre, Bat Ye’or mérite la reconnaissance de tous ceux qui, sur plusieurs continents, ont découvert dans ses livres et ses écrits des notions indispensables à la compréhension du monde contemporain.
Le dhimmi, “ouvrage essentiel” (Le Monde en 1980)
Hélas, les lecteurs du Monde des Livres (et les auditeurs de France Culture, sur les ondes de laquelle sévit aussi le rédacteur en chef du supplément littéraire) n’en sauront pas beaucoup plus sur Bat Ye’or et sur son œuvre. Son article relève plus en effet d’une entreprise de dénigrement et d’amalgame que d’une authentique enquête journalistique digne de ce nom, comme en attestent les lignes suivantes :
“Les obsessions pugnaces et les angoisses virulentes qui structurent son parcours s’enracinent dans le déracinement. Elevée au Caire dans une famille juive bourgeoise et cultivée, d’ascendance italienne côté paternel et franco-britannique côté maternel, Bat Ye’or, de son vrai nom Gisèle Orebi, a vu son monde vaciller puis s’effondrer… De livre en livre, finalement, Bat Ye’or aura théorisé cette expérience d’inquiétude et de vulnérabilité, la radicalisant peu à peu jusqu’à l’universaliser dans un grand récit aux prétentions scientifiques douteuses, mais aux effets politiques explosifs”.
Ce portrait succinct contient plusieurs mensonges. Le premier est mineur, mais pas anodin. Bat Ye’or s’appelle certes Gisèle Orebi, de son nom de jeune fille, mais son vrai nom est Gisèle Littman, nom de son époux, David Littman, lui aussi historien et défenseur des droits de l’homme, disparu en 2012 (1). Ce dernier a non seulement partagé la vie de Bat Ye’or, mais il a aussi participé à ses combats et était lui aussi l’auteur d’une œuvre importante et reconnue, touchant à des sujets très voisins de ceux abordés par son épouse, dont il a été le plus proche collaborateur, comme on le découvre en lisant son autobiographie (que J. Birnbaum n’a apparemment pas lue).
Gisèle et David Littman z.l.
L’absence de toute référence à Littman dans l’article du Monde des Livres n’est pas seulement une faute de goût ; elle participe en réalité d’une tentative pour discréditer les écrits et la personne de Gisèle Littman, présentée par Jean Birnbaum comme “l’égérie des nouveaux croisés” et comme la coqueluche des sites et mouvements d’extrême-droite, surtout depuis la parution de son livre Eurabia.
Quand des intellectuels français reprennent à leur compte la terminologie islamiste
Le deuxième mensonge, plus significatif, consiste à faire croire que les écrits et travaux de Bat Ye’or participeraient d’une sorte de catharsis personnelle, tentative pour transformer une “expérience d’inquiétude et de vulnérabilité” en “grand récit” dont l’objectivité serait ainsi mise à mal par le vécu de son auteur… L’argument est familier aux lecteurs des auteurs post-modernes. Car comme on le sait aujourd’hui, il n’y a pas de vérité objective, mais seulement des “narratifs” concurrents… En vérité, derrière tout le fatras idéologique post-moderne auquel semble adhérer Birnbaum, se cache un autre “grand récit”, comme l’a bien vu Bat Ye’or elle-même, grand récit qui reprend à son compte la terminologie islamiste en parlant de “croisés” :
“Il est curieux de voir ce vocabulaire qui est celui des organes et des penseurs de l’Organisation de la conférence islamique parfaitement intégré par les intellectuels français – surtout lorsqu’on connaît les contextes et le sens auxquels il est associé. Le mot croisé, par exemple, est pris dans le sens médiéval du chrétien ennemi total et absolu de l’islam. Je ne suis pas certaine de la pertinence de ce terme aujourd’hui au vu des milliards prélevés sur les impôts payés par les Occidentaux pour le développement économique, l’aide aux réfugiés et aux migrants du monde musulman”.
Une historienne à l’écoute des courants souterrains de l’histoire
Jean Birnbaum, comme Ivan Jablonka dont il reprend presque mot à mot l’analyse très orientée (dans son article paru il y a une dizaine d’années dans la Vie des idées), opère une distinction entre l’historienne auteur du Dhimmi, que le Monde des livres lui-même avait salué comme un “livre de référence” lors de sa parution en 1980, et la polémiste auteur d’Eurabia, devenue “l’égérie des croisés” et “l’inspiratrice” du tueur Breivik (accusation délirante et indigne, que Birnbaum reprend à son compte). Comme si rien ne s’était passé entre 1980 et 2005 (dates de parution respectives du Dhimmi et d’Eurabia), comme si Bat Ye’or seule, et pas le monde dans lequel nous vivons, avait changé…On reconnaît ici l’attitude dogmatique et la cécité au monde qui nous entoure propres aux idéologues de gauche, dont fait partie Birnbaum (2).
Si Bat Ye’or l’historienne est descendue de sa tour d’ivoire dans l’arène politique, en écrivant Eurabia et en forgeant ce néologisme entré, n’en déplaise aux gardiens de la pensée dominante, dans le vocabulaire politique contemporain, c’est parce que les nécessités de l’heure l’exigeaient. Après le 11 septembre, on ne pouvait plus se contenter d’analyser l’histoire de l’islam et de ses rapports conflictuels avec le monde environnant, comme s’il s’agissait uniquement du passé.
A l’opposé de cette exigence de lucidité et de courage, de nombreux universitaires français et occidentaux ont préféré fermer les yeux sur la réalité nouvelle de l’islam conquérant. Citons le cas de Gilles Kepel, ponte de l’islamologie en France, dont le grand livre Djihad, paru en l’an 2000, était sous-titré “Expansion et déclin de l’islamisme”… Quand sa thèse a volé en éclats dans le fracas des attentats du 11 septembre, nous n’avons pas entendu l’auteur se remettre en question. Au contraire, il a depuis lors publié plusieurs ouvrages médiocres et idéologiquement marqués, renvoyant dos-à-dos les militants de l’islam radical et les néo-conservateurs américains !
Dans une interview qu’elle m’avait accordée en 2005 pour le Jerusalem Post, Bat Ye’or expliquait ainsi la notion d’Eurabia, que ses détracteurs s’obstinent à décrire comme une “théorie du complot” :
“Eurabia est un nouveau continent qui est en train d’émerger, un continent de culture hybride, arabo-européenne. La culture européenne, dans ses fondements judéo-chrétiens, est en train de s’affaiblir progressivement, et de disparaître pour être remplacée par une nouvelle symbiose, islamo-chrétienne. J’ai reconnu ce processus, que j’avais déjà étudié dans mon livre sur les chrétientés d’Orient, où j’analysais les causes historiques du déclin des civilisations chrétiennes sous l’Islam… Ce qui m’a intéressée, c’est de tenter de découvrir les indices qui dessinent une évolution future, les courants souterrains de l’histoire qui mènent à des développements prévisibles, mais souvent imperceptibles”.
Le lecteur jugera qui a raison, entre le politologue français qui prédisait le “déclin de l’islamisme” en 2000, et l’historienne juive égyptienne qui tente depuis quatre décennies d’alerter le monde et d’éclairer les esprits sur les réalités de l’islam et de sa volonté de conquête.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Pierre Lurçat pour Dreuz.info.
(1) Voir la page Wikipédia très exhaustive qui lui est consacrée : https://en.wikipedia.org/wiki/David_Littman_(activist)
(2) Birnbaum est pourtant lui aussi auteur d’un livre consacré à l’aveuglement de la gauche face à l’islam.
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à lire Islam et judéo-christianisme de Jacques Ellul . PUF 2006 /2015 avec texte de Bat ‘Yeor . lisible et profond.
Monsieur, je n’ai pas lu le livre de Kepel, l’islamologue dont vous parlez.
Je n’ai rien perdu, j’en suis convaincue.
Il a prédit, d’après ce que vous en dites, ce qu’il souhaitait qu’il se
produisît, n’ayant pas le courage, à l’instar de ses semblables de
gauche — et de la fausse droite— de prendre les armes contre
l’ennemi tenace de l’occident judéo-chrétien.
Par contre, j’ai lu qqs uns des livres de Mme Gisèle Littmann ( Bat
Yé’or, à qui j’ai eu l’honneur de serrer la main, à l’issue de ses
conférences, données à Paris).
Les écrits de cette historienne hors pair m’ont indiqué, sans
méprise possible, quelle était l’unique voie à prendre: les armes,
ainsi qu’on le fait, en Israël, puisqu’il s’agit bien de combattre le djihad.
Les écrits et conférences de Bat Yé’or ont résonné particulièrement,
dans mon esprit, car, lorsque j’étais étudiante en ethnologie, dans les
années 70, à Paris VII, j’eus à supporter les cours de Vincent Monteil,
spécialiste de l’islam — dont je ne connaissais rien.
V. Monteil citait parfois Israel.
A chaque fois, c’était sur le mode venimeux, haineux.
Si bien qu’un jour, je levai la main, pour poser une question.
Je demandai à ce professeur: » Monsieur, ne peut-on aimer l’islam
sans détester Israël? ».
La question le désarçonna. Il balbutia Dieu sait quoi; mes camarades
étudiants , déjà à cette époque, n’avaient PAS ETE GENES par les
propos constamment anti-israéliens de l’enseignant dhimmi.
Que l’on me démontre que la judéo-phobie n’est pas consubstantielle à l’islam , et à son texte sacré , à la main , je ne demande qu’à être détrompé .
L’immonde dire la vérité ? Hou la ! Surtout pas , car cela fait le jeu de les strêmeu drouate.
» dont l’objectivité serait ainsi mise à mal par le vécu de son auteur… »
Pour moi, au coeur du particulier, l’universel.
Avec leur objectivité d’entrée, ils passent le sujet à la trappe et font dans la robotisation du monde, sa déshumanisation… Cela au nom du socialisme…
Merci Pierre Lurçat pour votre article qui rend un hommage mérité à Bat Ye’or.
Pour moi Gisèle Littman est simplement une des voix les plus importantes au monde actuellement. Bien sur, notre planète traverse en ce moment de graves crises, mais je pense que la plus importante et la plus pressante est celle de la menace mortelle que fait peser l’Islam conquérant et hégémonique sur notre civilisation. L’Islam a toujours voulu conquérir l’Occident. Un siècle apres sa fondation, une armée musulmane était aux portes de Poitiers, en 732. Puis l’Islam a pris Constantinople la Chrétienne en 1493. En 1571, seule la victoire navale de Lépante a évité la chute de l’Italie et de l’Europe du Sud. En 1683 une immense armée armée musulmane a été stoppée in extremis aux portes de Vienne par l’armée du roi de Pologne Jan Sobieski venu au secours avec d’autres troupes commandées par le Duc de Lorraine.
Aujourd’hui, enhardi par le déclin européen et enrichi par la manne de milliards de petro- dollars, l’Islam repart à l’attaque. Nous devons gagner cette nouvelle bataille, la nième d’une longue guerre, ou bien nous sommes perdus. Mais pour gagner une guerre, il faut en comprendre les enjeux et bien connaitre son ennemi. C’est là que le travail de Gisèle Littman est si remarquable, si essentiel. Grace à elle, nous comprenons le danger mortel qui nous guette. Comme la vigie en haut du mat ou la sentinelle qui veille depuis son poste avancé, elle nous prévient du danger.
Si nous ne l écoutons pas, ce sera de notre faute… et nos enfants nous maudirons.
Le texte de Birnbaum n’est lui aussi qu’un « narratif », subjectif et insignifiant. Il faut rester cohérent dans ses références « intellectuelles ».
Comment connaître les dates et lieux des prochaines conférences de Gisèle Littman?
Merci à l’auteur de cette page qui remet à l’honneur cette historienne méritante!
c’est une femme qui, même si elle nage à contre-courant, mérite largement le Prix Nobel ,d’Histoire ou je ne sais quoi, mais un Prix Nobel
Birnbaum ne semble pas du tout conséquent avec lui-même alors!
chacun qui veut briller d’un éclat qu’il prend à l’autre qu’il dénigre?