Max Arbez a reçu à titre posthume la médaille des Justes de l’Etat d’Israël pour honorer sa mémoire. Avec la complicité de son épouse Angèle, Max Arbez avait pu faire passer de France en Suisse, durant les années de guerre, deux ou trois centaines de juifs pourchassés par la traque nazie et la police de Vichy. L’Hôtel Arbez est en effet une enclave à cheval sur le canton de Vaud et le département du Jura. Membre d’un réseau, Max était appelé par tous les temps et à toute heure à aller en France au-devant de familles ou de personnes désirant entrer en Suisse : résistants, juifs, tous recherchaient un lieu où prendrait fin leur cauchemar.
[dreuz-paypal]
Le rapport Bergier publié en Suisse il y a quelques années donnait le chiffre de 25000 personnes refoulées à leur entrée en Suisse entre 1940 et 1945, ce qui a terni l’image de la Confédération dans les médias. Or des études approfondies sont venues depuis démentir ce diagnostic peu conforme à ce qui s’est passé sur le terrain. Ainsi, Serge Klarsfeld, chasseur d’anciens nazis, a déduit de son enquête rigoureuse que le chiffre de 25000 refoulements était faux : son calcul précis aboutissait à 2800 refoulés, ce qui est encore beaucoup, bien entendu. L’historienne genevoise Ruth Fivaz-Silbermann a étudié de près les documents et les archives établissant les rejets de réfugiés juifs. Sa conclusion est identique à celle de Serge Klarsfeld. Selon les deux chercheurs, ce sont 15000 juifs qui ont été accueillis en terre helvétique. Henri Spira, auteur d’un livre sur les passages de frontière franco-suisse est du même avis. Chacun sait que dans les pays européens de l’époque, les idées pro-nazies n’étaient pas rares chez les hommes politiques. En Suisse, le conseiller fédéral Pilet-Golaz se situait dans cette mouvance et il avait donné des consignes de refoulement assez strictes aux services concernés. Les gardes-frontières n’ont pas tous agi en conformité avec ces injonctions et beaucoup ont tendu la main aux persécutés juifs cherchant à gagner la Suisse. Il a même été démontré par l’historienne Fivaz-Silbermann que le directeur de la division de police fédérale, dénommé Heinrich Rothmund, avait pris discrètement des dispositions pour assouplir les restrictions d’accueil envers les Juifs. Des gradés en charge de la frontière, tels Frédéric Rapp, Heinrich Hatt, Daniel Odier, Fernand Demierre, ont refusé d’obéir aux ordres de refoulement.
Dès 1942, des journaux suisses révèlent au public que les réfugiés juifs sont refoulés à la frontière. Ce sont surtout les médias suisses-allemands qui protestent avec le plus de virulence alors que les gazettes de Romandie restent plus vagues : le « Journal de Genève » soutient les mesures strictes et qualifie de sentimentalisme la posture de sollicitude. Dans l’ensemble cependant, l’opinion publique suisse n’adhère pas à ce refus d’accueil des familles et des personnes en danger.
[dreuz-newsletter]
C’est dans ce contexte bien particulier que Max Arbez, depuis sa position stratégique, passe à l’action, en raison de ses valeurs humaines et spirituelles. Parmi les nombreux passages vers la liberté et la sécurité, un événement mérite d’être raconté. Un jour de décembre 1942, on avertit Max Arbez qu’un jeune couple juif originaire d’Alsace souhaite passer en Suisse. Il va aussitôt à leur rencontre dans le brouillard et la neige et les rejoint côté français. Il les achemine vers la frontière et les fait passer par sa maison, tout semble se dérouler comme pour les autres fuyards. Mais sur sol helvétique un garde-frontière les arrête et les reconduit au poste de douane franco-suisse, là où veillent des soldats de la Wehrmacht en raison des accords avec le gouvernement de Vichy. Esther, la jeune femme terrorisée se rebiffe et un incident éclate avec les soldats. L’officier allemand arrive et s’en prend violemment à la jeune femme. Samuel Rothkopf, le jeune homme, s’interpose et tente de s’enfuir avec sa fiancée. C’est alors que l’officier Fischer prend son arme et tire. Le jeune homme s’effondre, touché gravement. Max Arbez qui a de loin aperçu le déroulement rapide des faits envoie sa sœur Andrée – qui parle allemand – pour négocier de pouvoir reprendre le blessé et s’en occuper. Tel le samaritain dans l’évangile, Max est touché de voir ce jeune, qui aurait pu être son fils, perdre son sang. Les Allemands acceptent pour se débarrasser du problème, et le jeune Samuel est emmené allongé sur une luge pour être soigné à l’hôtel. Malheureusement, il décède. Max et sa sœur font le choix de le garder au sous-sol de l’hôtel, et un cercueil artisanal est confectionné avec des planches de sapin. Peu après, la décision est prise : Max, à la manière de Joseph d’Arimathie, veut offrir une sépulture décente au jeune homme avec qui il avait cheminé vers la liberté. Ainsi, la dépouille de Samuel est transportée sur un traîneau jusqu’au caveau funéraire familial Arbez. La lourde plaque de marbre est glissée et le cercueil de Samuel Rothkopf est installé dans la tombe où il va reposer en paix jusqu’en juin 1947. A cette date, la guerre étant finie depuis deux ans, les parents de Samuel Rothkopf ont appris par des réseaux où se trouvait le corps de leur fils ; ils atterrissent à Genève et montent à la Cure/Vaud. Le kaddish est récité et le corps de Samuel, exhumé du caveau Arbez , est transporté pour rejoindre la terre d’Israël.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, Commission judéo-catholique des évêques suisses, pour Dreuz.info.
Il est dans les périodes noires de la vie du monde des gens qui chacun a leurs manières différentes se lèvent pour dire non, halte, ça suffit…
Je ne sais pas si ces gens sont assis maintenant à la droite de dieu en tous cas ils le méritent.
Max & Angèle MERCI
Père,
En sait-on davantage sur ce qu’il est advenu d’Esther (la cachée) ?
Votre silence à son sujet semble présager du pire, ce pire si commun alors.
B-‘E
en effet, veuillez voir mon post plus bas.
c’est dans le moment dure que l’ont reconnait les gens de valeur , les courageux mais aussi les salauds … Max et Angèle font parti des meilleurs …. merci pour ce que vous avez fait
Max Arbez fait-il partie de votre famille M. Arbez?
De mon côté , mon père et son frère, deux jeunes Juifs ont trouvé refuge en Suisse durant la guerre; après un court « stage » dont mon père m’a dit qu’il n’avait rien eu de bien terrible en prison, ils ont séjourné en Suisse, en recevant régulièrement des fonds de leurs parents restés en Roumanie. Je n’ai plus en mémoire les dates précises ni les lieux mais c’était sans doute en une période où les Suisses étaient encore accueillants, ce qui n’a pas été le cas, je pense, à partir de 1942 – 43. Là encore il faut distinguer selon les dates et les responsables politiques, mais je n’ai pas fait ce travail historien.
Oui, la souche familiale des Arbez est arrivée à Lausanne en 1493, venant de Rhénanie…Une partie s’est installée dans la Vallée de Joux.
Monsieur l’Abbe, Vous continuez le rayon de lumiere, le nom et (je crois m’en souvenir)
la descendance de Max Arbez.
Monsieur Arbez, avez-vous pensé à raconter dans un livre les histoires de votre père ?
Nous avons besoin d’être encouragés par de tels témoignages !
Merci à vous pour tout l’amour que vous témoignez au peuple élu (dont je ne fais pas partie, mais qui m’est cher à moi aussi et à ma famille…).
Max Arbez
Merci et bravo Israël d’honorer la mémoire de ce saint homme.
à propos de Heinrich Rothmund:
Le tampon J en Suisse 1935-1944 – En Direct de Notre Passé – EDNP
http://www.ednp.ch/static/tampon-j.html
Translate this page
On entend de plus en plus parler de persécutions, de déportations et de camps de la mort mais, en Suisse, Heinrich Rothmund, chef de la Division de police, émet une circulaire qui ordonne aux cantons de refuser le statut de réfugié politique aux personnes fuyant les persécutions raciales et de les refouler à la frontière.
les ordres venaient de Pilet Golaz, du Conseil Fédéral, mais on sait que Rothmund les a contournés dans la mesure de ses moyens.
Pour répondre aux lecteurs qui se sont inquiétés du sort d’Esther la jeune femme accompagnant Samuel, j’ai fait des recherches. La réalité est triste: après le coup de feu tiré par l’Officier Fischer sur Samuel, Esther a aussitôt été arrêtée par la Wehrmacht en poste à la frontière côté français, et elle a été convoyée avec d’autres malheureux prisonniers juifs de la région vers le camp d’Auschwitz Birkenau. Ses parents sont venus d’Israël en 1970 remercier Max et Angèle à La Cure (VD) pour avoir tenté de sauver les deux jeunes Samuel et leur fille.